Les rou­tières sont sym­pas : le vol de nuit de Maya972

Les rou­tières sont sym­pas (1⁄5). Tout a com­men­cé un soir de jan­vier 2019, quand le jour­na­liste Jean-​Claude Raspiengeas s’est ren­du pour un repor­tage à L’Escale-Village, le plus grand res­to rou­tier de France. De là naî­tra un an d’enquête. Et au bout du che­min, un livre : Routiers. En exclu­si­vi­té pour Causette, Jean-​Claude Raspiengeas a repris la plume pour nous emme­ner à la ren­contre de cinq rou­tières, cinq femmes de tem­pé­ra­ment qui, une chose est sûre, n’ont pas choi­si leur métier par erreur. 

stivelle malfleury 1
© Serge Picard 

Combien sont-​elles à ne rou­ler que la nuit ? Nul ne peut le dire. À 35 ans, Stivelle Malfleury appar­tient à cette longue cohorte de l’ombre. Poids plume, elle tire son 44 tonnes dans une obs­cu­ri­té per­pé­tuelle, trouée par sa ran­gée de phares sur­puis­sants, zébrée par le défi­lé des poids lourds qu’elle croise, qui se suc­cèdent sans dis­con­ti­nuer. Sur les pare-​brise, le pré­nom des chauf­feurs cli­gnote en lettres fluo, colo­rées. Ou leur sur­nom, comme celui de Stivelle, « Maya972 », avec le numé­ro de son dépar­te­ment d’origine, la Martinique. Née au Vauclin, la jeune femme est arri­vée en métro­pole à 18 ans pour deve­nir agent de voyages. Elle a long­temps dis­tri­bué le cour­rier dans Paris, rêvant d’être rou­tière. Mais elle crai­gnait que son gaba­rit ne soit pas adap­té aux monstres à conduire. Elle a fina­le­ment béné­fi­cié d’une for­ma­tion en alter­nance et s’est lan­cée sur les routes.

La tonique et tou­jours riante Maya972, qui dort la jour­née, quitte son domi­cile tous les soirs vers 23 heures pour rejoindre le dépôt de son entre­prise où l’attend son Mercedes 360 Actros. Un café, un bout de palabre avec ses col­lègues, tous des hommes, dont Fredo972 qui la suit et roule en convoi avec elle, quelques conseils sur la conduite en fonc­tion de la météo et du char­ge­ment. Puis le tra­di­tion­nel « Bonne route ! » signe le début de l’aventure. Stivelle décolle, à vide, depuis Villejust (Essonne) vers un entre­pôt à 50 km de là. Toutes les nuits, la même rou­tine, le même tra­jet. Inlassablement. 

2 heures du mat, elle appareille

Autour de minuit, elle recule pour se mettre à quai avec sa remorque dans un entre­pôt, grap­pille un fond de som­meil, papote sur les réseaux sociaux, attend son tour. À 1 heure, le char­ge­ment débute. Elle trans­porte de la presse. À 2 heures du matin, Stivelle appa­reille. Elle lâche ses 360 che­vaux en direc­tion de Pouilly-​en-​Auxois (Côte‑d’Or). Depuis dix ans, tou­jours le même ruban uni­forme de bitume, au cœur de la nuit, sans quit­ter l’autoroute. Là où tant d’autres se seraient las­sés, Maya972 en rede­mande. « J’aime les longs tra­jets et l’ambiance de ces heures-​là, la soli­tude, l’autonomie, la tran­quilli­té, l’absence de stress. La nuit ne me pèse pas. Je me sens comme un pois­son dans l’eau. Je suis une soli­taire, j’aime rou­ler. Je ne quitte pas ma cabine. Je ne vais pas dans les res­tos rou­tiers. Je ne dors pas sur les par­kings. Du coup, per­sonne ne m’a jamais impor­tu­née… » Dans le rétro­vi­seur, les phares de Fredo972 et, par moments, un point ensemble au télé­phone pour s’assurer que tout baigne. 

Stivelle sait jugu­ler le coup de mou qui s’insinue au milieu de la nuit. Sans s’arrêter, elle gri­gnote un en-​cas, écoute de la musique, gam­berge, orga­nise dans sa tête les jours à venir. 

Vers 5 h 30, pas­sé le péage, elle se range sur un par­king de for­tune, Fredo972 à ses basques. Tous deux échangent leurs remorques avec deux autres chauf­feurs mon­tés du Sud-​Est. Puis cha­cun repique vers son port d’origine. La ronde repart dans l’autre sens. C’est le sys­tème du relais, qui sup­pose une orga­ni­sa­tion par­fai­te­ment hui­lée pour ne pas rompre la chaîne. Maya972 perce de nou­veau l’interminable rideau d’obscurité pour finir d’avaler les 650 km de sa nuit. Elle ne s’accorde que les 45 minutes de repos obli­ga­toires pour se poser un peu, boire un café avec Fredo, si le poids de leur char­ge­ment res­pec­tif leur per­met de se suivre. Sinon, cha­cun trace, à son rythme, vers Paris. 

Pendant la crise du Covid-​19, Maya972 a été épar­gnée, tout au plus a‑t-​elle tra­vaillé trois nuits sur cinq, puis quatre. Elle n’a été équi­pée du maté­riel de pro­tec­tion qu’au bout de deux semaines. Mais moins de camions sur une auto­route déga­gée et finis les bou­chons mati­naux en remon­tant vers la capitale. 

Une forme de gra­vi­té a pris le pas sur l’enthousiasme de ses débuts. La han­tise des acci­dents entre­vus, les témoi­gnages qui s’accumulent sur les réseaux sociaux, les traces de drames sur la chaus­sée… « Je com­mence à voir les dan­gers que j’ai long­temps occul­tés. J’ai pris conscience depuis peu qu’on pou­vait par­tir un soir et ne pas revenir. » 


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