Les routières sont sympas (5⁄5). Tout a commencé un soir de janvier 2019, quand le journaliste Jean-Claude Raspiengeas s’est rendu pour un reportage à L’Escale-Village, le plus grand resto routier de France. De là naîtra un an d’enquête. Et au bout du chemin, un livre : Routiers. En exclusivité pour Causette, Jean-Claude Raspiengeas a repris la plume pour nous emmener à la rencontre de cinq routières, cinq femmes de tempérament qui, une chose est sûre, n’ont pas choisi leur métier par erreur.
![Les routières sont sympas : Lélé, toujours à plein régime 1 huguette durand](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/08/huguette-durand-819x1024.jpg)
Comment s’y retrouvait-elle ? Jusqu’en 2019, année où elle a pris sa retraite, à 63 ans, Huguette Durand cumulait les fonctions de routière, de cheffe d’entreprise, de secrétaire de l’association La Route au féminin, de mère et de grand-mère. « Lélé » (son surnom) sillonnait encore, toute la semaine, les autoroutes allemandes, à partir de la région de Grenoble. Quarante ans à conduire des poids lourds, 3 millions de kilomètres au compteur et pas un accident.
Un tel bilan pourrait laisser croire qu’elle a suivi avec fougue une très ancienne vocation que l’on imagine, comme tant de routières, forgée depuis l’enfance. Nullement. Huguette est entrée dans le métier « par hasard », via un stage à l’ANPE, l’ex-Pôle Emploi. « Dans les années 1970, explique-t-elle, les centres de formation n’acceptaient pas les femmes. Permis en poche, le plus dur a été de trouver du travail. On ne nous embauchait pas. J’en pleurais. » Huguette s’est tout de suite sentie à l’aise derrière le volant de ces monstres, juchée à 2,50 mètres du sol, dominant le paysage pour s’envoler, chaque jour, vers l’inconnu. « Ça m’a plu tout de suite. Quand je conduis, je sais que je suis au bon endroit au bon moment. »
“Pas de gonzesse sur le parking”
Lélé revendique son choix, reprenant le mot de l’une d’elles : « Nous, les routières, on ne fait pas ce boulot par erreur ! » Pour preuve de leur détermination, elles doivent s’accrocher, résister aux mauvaises blagues, aux provocations et à certains assauts machistes. Première femme routière à Grenoble, Huguette n’osait pas franchir le seuil des restos routiers, tétanisée par « le grand silence » qui accueillait sa venue. « La première année, j’ai perdu 10 kilos. J’avais peur d’entrer, d’affronter tous les regards braqués sur moi. Ils n’avaient jamais vu de nana conduire un camion. J’ai même été arrêtée par un flic parce que j’étais au volant… » Mais rien n’est gagné. Certes, signe des temps, les pin-up sur les calandres et les posters de bimbos dénudées ont déserté les cabines de ces mâles solitaires, mais certains renâclent encore à partager la route avec le sexe dit « faible ». « Il y a peu, sur une plateforme, raconte Huguette, mon voisin a ouvert sa vitre pour me jeter à la figure : “J’veux pas d’une gonzesse à côté de moi sur le parking !” »
Huguette a eu deux enfants qu’elle a élevés en alternance avec sa sœur, routière et mère elle aussi. Quand l’une roulait, l’autre gardait les enfants et vice-versa. « La première fois que j’ai laissé ma fille aînée, j’ai pleuré toute la semaine sur la route. L’arrachement était trop dur. » Plus tard, elle l’emmènera parfois avec elle, la laissant même discrètement passer les vitesses.
Longtemps, Lélé a dû subir la concupiscence de certains routiers. « Jeune, on se sent une proie partout. Au resto, dans les usines, les stations-service, sur les parkings la nuit, témoigne-t-elle. La plupart sont pères de famille. Mais, loin du terrier, ils chassent. » Dans son regard brille une lueur amusée. « Nous aussi… On n’est pas des saintes. »
Lélé, avec son mari, et sa sœur Mimi ont fondé, en 1984, leur entreprise de transport, Durand-Lémi, reconnaissable sur la route à ses camions, des Renault hyper équipés, joliment décorés. Elle y est toujours aux manettes. Elle est également très active dans La Route au féminin, exemple de réussite et ‑d’accomplissement pour les benjamines dans le métier, même si elle note des améliorations, Huguette reste amère : « Nous demeurons une minorité dont les compétences tardent à être reconnues. Il existe encore des employeurs qui ne prennent pas de nanas. Une entreprise de transport sans femme, c’est inconcevable. Le patron a forcément reçu des CV de routières. Alors, quoi ? »
Les routières sont sympas, une série en cinq épisodes
Le vol de nuit de Maya972
Toupinette, la route en rose
Famounette, la Calamity Jane des stations-services
L'Ouragan et son rêve d'enfance