Les rou­tières sont sym­pas : Lélé, tou­jours à plein régime

Les rou­tières sont sym­pas (5⁄5). Tout a com­men­cé un soir de jan­vier 2019, quand le jour­na­liste Jean-​Claude Raspiengeas s’est ren­du pour un repor­tage à L’Escale-Village, le plus grand res­to rou­tier de France. De là naî­tra un an d’enquête. Et au bout du che­min, un livre : Routiers. En exclu­si­vi­té pour Causette, Jean-​Claude Raspiengeas a repris la plume pour nous emme­ner à la ren­contre de cinq rou­tières, cinq femmes de tem­pé­ra­ment qui, une chose est sûre, n’ont pas choi­si leur métier par erreur. 

huguette durand
© Serge Picard

Comment s’y retrouvait-​elle ? Jusqu’en 2019, année où elle a pris sa retraite, à 63 ans, Huguette Durand cumu­lait les fonc­tions de rou­tière, de cheffe d’entreprise, de secré­taire de l’association La Route au fémi­nin, de mère et de grand-​mère. « Lélé » (son sur­nom) sillon­nait encore, toute la semaine, les auto­routes alle­mandes, à par­tir de la région de Grenoble. Quarante ans à conduire des poids lourds, 3 mil­lions de kilo­mètres au comp­teur et pas un accident. 

Un tel bilan pour­rait lais­ser croire qu’elle a sui­vi avec fougue une très ancienne voca­tion que l’on ima­gine, comme tant de rou­tières, for­gée depuis l’enfance. Nullement. Huguette est entrée dans le métier « par hasard », via un stage à l’ANPE, l’ex-Pôle Emploi. « Dans les années 1970, explique-​t-​elle, les centres de for­ma­tion n’acceptaient pas les femmes. Permis en poche, le plus dur a été de trou­ver du tra­vail. On ne nous embau­chait pas. J’en pleu­rais. » Huguette s’est tout de suite sen­tie à l’aise der­rière le volant de ces monstres, juchée à 2,50 mètres du sol, domi­nant le pay­sage pour s’envoler, chaque jour, vers l’inconnu. « Ça m’a plu tout de suite. Quand je conduis, je sais que je suis au bon endroit au bon moment. »

“Pas de gon­zesse sur le parking”

Lélé reven­dique son choix, repre­nant le mot de l’une d’elles : « Nous, les rou­tières, on ne fait pas ce bou­lot par erreur ! » Pour preuve de leur déter­mi­na­tion, elles doivent s’accrocher, résis­ter aux mau­vaises blagues, aux pro­vo­ca­tions et à cer­tains assauts machistes. Première femme rou­tière à Grenoble, Huguette n’osait pas fran­chir le seuil des res­tos rou­tiers, téta­ni­sée par « le grand silence » qui accueillait sa venue. « La pre­mière année, j’ai per­du 10 kilos. J’avais peur d’entrer, d’affronter tous les regards bra­qués sur moi. Ils n’avaient jamais vu de nana conduire un camion. J’ai même été arrê­tée par un flic parce que j’étais au volant… » Mais rien n’est gagné. Certes, signe des temps, les pin-​up sur les calandres et les pos­ters de bim­bos dénu­dées ont déser­té les cabines de ces mâles soli­taires, mais cer­tains renâclent encore à par­ta­ger la route avec le sexe dit « faible ». « Il y a peu, sur une pla­te­forme, raconte Huguette, mon voi­sin a ouvert sa vitre pour me jeter à la figure : “J’veux pas d’une gon­zesse à côté de moi sur le parking !” »

Huguette a eu deux enfants qu’elle a éle­vés en alter­nance avec sa sœur, rou­tière et mère elle aus­si. Quand l’une rou­lait, l’autre gar­dait les enfants et vice-​versa. « La pre­mière fois que j’ai lais­sé ma fille aînée, j’ai pleu­ré toute la semaine sur la route. L’arrachement était trop dur. » Plus tard, elle l’emmènera par­fois avec elle, la lais­sant même dis­crè­te­ment pas­ser les vitesses. 

Longtemps, Lélé a dû subir la concu­pis­cence de cer­tains rou­tiers. « Jeune, on se sent une proie par­tout. Au res­to, dans les usines, les stations-​service, sur les par­kings la nuit, témoigne-​t-​elle. La plu­part sont pères de famille. Mais, loin du ter­rier, ils chassent. » Dans son regard brille une lueur amu­sée. « Nous aus­si… On n’est pas des saintes. »

Lélé, avec son mari, et sa sœur Mimi ont fon­dé, en 1984, leur entre­prise de trans­port, Durand-​Lémi, recon­nais­sable sur la route à ses camions, des Renault hyper équi­pés, joli­ment déco­rés. Elle y est tou­jours aux manettes. Elle est éga­le­ment très active dans La Route au fémi­nin, exemple de réus­site et ‑d’accomplissement pour les ben­ja­mines dans le métier, même si elle note des amé­lio­ra­tions, Huguette reste amère : « Nous demeu­rons une mino­ri­té dont les com­pé­tences tardent à être recon­nues. Il existe encore des employeurs qui ne prennent pas de nanas. Une entre­prise de trans­port sans femme, c’est incon­ce­vable. Le patron a for­cé­ment reçu des CV de rou­tières. Alors, quoi ? »


Les rou­tières sont sym­pas, une série en cinq épisodes

Le vol de nuit de Maya972

Toupinette, la route en rose

Famounette, la Calamity Jane des stations-​services

L'Ouragan et son rêve d'enfance


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