102 femmes ont été tuées par leur conjoint ou leur ex-conjoint en 2020. Face à ces féminicides, le ministre Gérald Darmanin veut renforcer le déploiement de policier·ères et gendarmes spécialisé·es dans le traitement des violences conjugales, prioriser ces affaires dans les commissariats ou gendarmeries et bannir les mains courantes.
« Les violences intra-familiales sont en train de devenir le premier motif d’intervention des policiers et gendarmes, devant tous les autres, y compris les procédures concernant les stupéfiants », a indiqué le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin dans une interview publiée dimanche soir sur le site du Parisien. Cet entretien a été accordé pour accompagner la publication, lundi 2 août, d’une étude nationale sur les morts violentes au sein du couple. 102 féminicides et 23 hommes tué·es par leur (ex)-conjoint·es y sont recensé·es pour l’année 2020. Des chiffres en hausse par rapport à ceux annoncés jusque-là par le ministère de la Justice, qui évoquait 90 femmes tuées sous les coups de leur (ex)-conjoint en 2020. Cet ajustement s’explique par la prise en compte de cas dans un premier temps mis de côté du bilan, par manque d’information sur le contexte de l’homicide, ou par mauvaise analyse. Les chiffres stabilisés du ministère pour l’année 2019 sont, eux, de 146 féminicides et 27 homicides d’hommes.
L’étude met en avant un ensemble de données issues de l’analyse de ces homicides. On apprend ainsi que, dans 80% des cas, la qualification pénale retenue a été le meurtre, 14% l’assassinat et 6% des violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de tuer. Les « disputes » et la « non-acceptation d’une séparation » demeurent les motifs le plus courants du passage à l’acte selon la typologie dressée par le ministère. Le Nord est le département en tête de ce triste tableau, avec 7 morts, suivi par le Pas-de-Calais et les Alpes-Maritimes (5 cas chacun). Une fois que ces chiffres sont rapportés à la population, c’est par contre la Charente (3 cas) et les Bouches-du-Rhône (2 cas) qui se détachent, avec un taux supérieur à 0,8 cas pour 100 000 habitants. 44% des victimes ont entre 30 et 49 ans, 19% 70 ans et plus. Du côté des auteur·trices, 43% ont entre 30 et 49 ans et 22% plus de 70 ans. 64% des victimes sont sans emploi ou retraitées (respectivement 49 et 31 d’entre elles). Du côté des auteur·trices, c’est 66% de personnes sans emploi ou retraitées (respectivement 46 et 36 d’entre elles).
44% des personnes qui tuent par arme à feu les détiennent illégalement
Les statistiques montrent aussi que dans 84% des cas, ces homicides ont lieu au domicile du couple. Dans 68% des cas, des armes ont été utilisées : à feu, 33% ; blanches, 30% ou par destination, 5%. Viennent ensuite la strangulation (16%) et les coups ayant entraîné la mort (7%). A noter que les criminels ayant utilisé une arme à feu étaient 56% à détenir une arme déclarée et légalement possédée. Et dans 58% des cas, les auteur·trices n’ont pas consommé d’alcool au moment des faits, ni n’en consomment régulièrement.
L’étude va plus loin que ces données sociologiques. Elle montre aussi que plus d’un tiers des femmes victimes (35%) avait déjà subi des violences de la part de la personne qui a mis fin à leur vie, qu’elles soient physiques et /ou psychologiques. Parmi ces femmes, plus des deux tiers (67%) avaient signalé ces faits aux forces de l’ordre, soit 24 femmes. 18 d’entre elles avaient même déposé plainte pour ces violences antérieures, soit 18% du total des 102 femmes tuées en 2020. Une seule d’entre elles bénéficiait d’une ordonnance de protection. Ces chiffres implacables montrent le manquement des autorités, qu’elles soient policières ou judiciaires à avoir agi à temps pour protéger la victime, ou leur échec pour cerner la dangerosité de leur (ex)-conjoint.
« Proscrire définitivement » les simples mains courantes
Enfin, cette étude démontre ce que les militantes féministes et les expert·es judiciaires observent : les femmes qui tuent le font souvent après avoir elles-mêmes subi des violences de la part de leur victime. « Sur un total de 22 femmes auteurs, la moitié avaient déjà été victime de violences de la part de leur partenaire, indique le ministère. 8 femmes avaient signalé ces faits aux forces de l’ordre et 2 autres s’en étaient confiées à des témoins. » Autant de morts évitées si la réponse des autorités ou la réaction des témoins avait été à la hauteur ?
Dans l’interview qu’il a donnée au Parisien, Gérald Darmanin donne l’impulsion pour que « les plaintes pour violences conjugales soient traitées devant toutes les autres, devant les cambriolages, devant les stupéfiants, devant les vols à la tire ». Pour atteindre cet objectif, l’exécutif compte déployer un·e officier·ère spécialisé·e dans le traitement des violences conjugales dans chaque commissariat ou brigade de gendarmerie. Si Gérald Darmanin ne donne pas d’échéance pour la création de ces nouveaux postes, il en donne une autre au niveau national. « Dès la fin août, promet le ministre, un responsable national sera nommé auprès de chacun des directeurs généraux de la police, de la gendarmerie et du Préfet de police, sur le modèle de ce qui existe en terme de terrorisme ou de trafic de drogue. »
Pour le ministère de l’Intérieur, l’urgence est aussi d’augmenter les effectifs d’officier·ères de police judiciaire (OPJ). Actuellement, il existe 17 000 OPJ et le ministère table sur 22 000, en rendant le métier plus « attractif » avec des primes. Gérald Darmanin veut aussi « proscrire définitivement » le simple dépôt de main courante, déposition qui n’enclenche pas de poursuites judiciaires. Pour ce faire, il souhaite que si la victime n’a pas porté plainte quand elle s’est rendue chez les forces de l’ordre, le ou la policier.ère ou gendarme émette systématiquement un signalement au procureur, afin que celui-ci ouvre une enquête judiciaire.
Colmar : police et justice main dans la main contre les violences conjugales
Enfin, le ministre affirme vouloir donner la possibilité aux forces de l’ordre de croiser le fichier des auteur·trices de violences conjugales (créé le mois dernier) et celui des possesseur·euses d’armes, qui contient aussi les personnes interdites de port d’arme. « Cela permettra de vérifier si un mis en cause pour des faits de violences conjugales est détenteur d’une arme, et donc de la lui saisir, sans même le témoignage de sa conjointe », précise-t-il au Parisien.
Un rapport de l’IGPN sur les dysfonctionnements autour du féminicide de Chahinez Daoud
Le journal est aussi revenu sur le féminicide de Chahinez Daoud le 4 mai dernier, brûlée vive en pleine rue à Mérignac (33) par son ex-conjoint. Le Canard enchaîné avait révélé en juillet une série de dysfonctionnements dans la prise en charge des plaintes de la victime, affirmant notamment que le policier qui avait traité son dépôt de plainte avait lui-même été condamné pour violences intrafamiliales et placé au recueil des plaintes en attendant une commission disciplinaire. Soulignant que le rapport de l’Inspection générale de l’administration (IGA) sur ces dysfonctionnements « démontre une mauvaise organisation de la police nationale en Gironde », Gérald Darmanin se dit favorable à ce qu’il soit rendu public en septembre. Il indique aussi avoir demandé à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) un rapport complémentaire pour établir les responsabilités sur le cas du policier condamné pour violences conjugales et placé à ce poste d’accueil des victimes.
De quoi faire oublier la polémique autour de la mauvaise communication du ministre sur un nouveau dispositif mis en place au commissariat d’Orléans pour améliorer l’accueil des victimes ? Inspiré par ce qui se fait déjà notamment au Mans depuis 2019, le commissariat d’Orléans a affiché en juillet une pancarte de Tableau d’accueil confidentialité (TAC) qui informe les victimes qu’une fois arrivées à l’accueil, elles peuvent désigner du doigt – grâce à une feuille posée devant elles – l’infraction pour laquelle elles viennent porter plainte : orange pour toute violence sexiste ou sexuelle, bleu pour le reste. Le dispositif est censé assurer d’une part la discrétion des échanges (elles n’ont pas à dire tout haut ce pour quoi elles viennent) et d’autre part, la qualité du service puisqu’elles sont alors censées être prises en charge par un·e agent·e spécialisé·e dans le traitement des violences sexistes et sexuelles. Mais sur Twitter, Gérald Darmanin a évoqué « deux files d’attente distantes [sic] », dont le résultat serait au contraire de montrer du doigt la personne venue porter plainte pour violence conjugales et devant se placer dans une hypothétique « file orange ». Face aux internautes pointant, dès lors, l’absence totale de discrétion pour les victimes et le découragement que cela peut susciter, le ministère s’inscrivait en faux et affirmait avoir été mal compris.