Clémence Pajot : « Ce n’est plus admis­sible qu’en France, les forces de l’ordre ne soient pas auto­ma­ti­que­ment aver­ties lorsqu’un ex-​conjoint violent approche sa femme »

À l’heure où quarante-​huit femmes sont déjà mortes tuées par leur conjoint ou ex-​conjoint depuis le début de l’année, les récents fémi­ni­cides de Mérignac et d’Hayange ont mon­tré des défaillances consi­dé­rables dans le sui­vi judi­ciaire des hommes vio­lents. À chaque fois, les vic­times avaient en effet aler­té les forces de l’ordre sur la dan­ge­ro­si­té de leur ex-​compagnon, en vain. 

clemence pajot
©DR

Dans une cir­cu­laire envoyée le 27 mai der­nier, la Chancellerie demande aux magistrat·es de ren­for­cer la mise en œuvre du bra­ce­let anti-​rapprochement pour lut­ter contre les vio­lences conju­gales. Selon les chiffres du minis­tère de la Justice, on comp­tait 47 bra­ce­lets actifs au 11 mai, et désor­mais 78, soit une hausse de 65 % en trois semaines. Mis en place en sep­tembre 2020 à la suite du Grenelle contre les vio­lences conju­gales, ce dis­po­si­tif de sur­veillance élec­tro­nique ordon­né par un juge pénal ou civil per­met de géo­lo­ca­li­ser une femme et un auteur réel ou pré­su­mé de vio­lences conju­gales, en don­nant l’alerte aux forces de l’ordre dès qu’un cer­tain péri­mètre est fran­chi. Pour la direc­trice de la Fédération natio­nale des centres d’information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF), Clémence Pajot, il est urgent d’accélérer le déploie­ment de cette mesure de pro­tec­tion, à l’heure où 48 femmes ont déjà été tuées par leur conjoint ou ex-​conjoint en 2021.

Causette : Pourquoi les bra­ce­lets anti-rap­pro­che­ments sont-​ils effi­caces en matière de lutte contre les vio­lences conju­gales ? 
Clémence Pajot : Le dis­po­si­tif en France est trop récent pour en avoir une éva­lua­tion pré­cise, mais on sait que c’est une pro­tec­tion effi­cace pour les femmes si on regarde les effets du dis­po­si­tif espa­gnol Cometa, mis en place il y a dix ans. En Espagne, on comp­tait, en 2020, 1 955 bra­ce­lets actifs et 8 157 cumu­lés depuis le démar­rage. En 2019, il y a eu 55 fémi­ni­cides en Espagne contre 149 en France. 
Le bra­ce­let anti-​rapprochement n’est pas suf­fi­sam­ment déployé sur notre ter­ri­toire, il tarde à se géné­ra­li­ser. Trop de magis­trats hésitent encore à l’utiliser alors qu’aujourd’hui on sait per­ti­nem­ment que le fémi­ni­cide de Mérignac [Chahinez fut brû­lée vive le 4 mai der­nier par son ex-​compagnon, déjà empri­son­né pour vio­lences conju­gales, ndlr] aurait pu être évi­té si l’homme avait été équi­pé d’un bra­ce­let. Les forces de l’ordre auraient été aler­tées lorsqu’il se serait rap­pro­ché de la vic­time.
Il est impé­ra­tif de recou­rir aux 1 000 bra­ce­lets mis à dis­po­si­tion des juges ain­si que d’augmenter le stock dis­po­nible. Ce n’est plus admis­sible qu’en 2021, en France, les forces de l’ordre ne soient pas auto­ma­ti­que­ment aver­ties lorsqu’un homme violent approche sa femme ou son ex-femme. 

L’Espagne est régu­liè­re­ment citée comme un modèle de lutte contre les vio­lences conju­gales, comme le rap­pe­lait le rap­port du centre fran­ci­lien Hubertine Auclert – dont vous êtes l’ancienne direc­trice – publié en novembre 2020. Pourquoi notre voi­sin euro­péen fait figure d’exemplarité et pour­quoi la France peine-​t-​elle à rat­tra­per cet écart ? 
C.P. : Il y a en Espagne une culture de la pro­tec­tion des femmes. En par­ti­cu­lier depuis le vote à l’unanimité en 2004 d’une « loi de pro­tec­tion inté­grale contre les vio­lences de genre » consi­dé­rée comme l’une des lois les plus pro­tec­trices pour les vic­times dans le monde. Une culture que nous n’avons pas en France, du moins pas encore suf­fi­sam­ment.
L’Espagne alloue éga­le­ment un bud­get plus consé­quent à la lutte contre ces vio­lences. Le pays a voté en 2017 un pacte d’État doté d’un mil­liard d’euros ajou­té au bud­get exis­tant. Pour com­pa­rer, en 2020, les vio­lences conju­gales ont coû­té aux Espagnols, 16 euros par habi­tant, en France, 5 euros.
Concrètement, les juges espa­gnols émettent dix-​sept fois plus d’ordonnance de pro­tec­tion qu’en France. Le nombre de plaintes et de condam­na­tions pour vio­lence est aus­si beau­coup plus éle­vé. Là-​bas, des uni­tés de police et des tri­bu­naux sont aus­si spé­cia­li­sés uni­que­ment dans le trai­te­ment des vio­lences de genre.
Nous sommes à la traîne, car il y a un véri­table manque de coor­di­na­tion entre la police et la jus­tice, ain­si qu’un manque de moyens et de for­ma­tion dans la lutte contre les vio­lences conju­gales sur notre ter­ri­toire. La com­mu­ni­ca­tion doit être struc­tu­rée pour deve­nir sys­té­ma­tique et fonc­tion­nelle entre la police, la jus­tice, les ser­vices péni­ten­tiaires, les ser­vices sociaux et les asso­cia­tions spé­cia­li­sées. Afin d’adapter le niveau de pro­tec­tion au degré de dan­ger encou­ru par la vic­time, à l’instar de la pla­te­forme espa­gnole, VioGén, qui peut être consul­tée et com­plé­tée à tout moment par les acteurs et actrices qui luttent contre les vio­lences. Nous avons impé­ra­ti­ve­ment besoin du même outil infor­ma­tique pour offrir une meilleure pro­tec­tion aux femmes. 

Comment observez-​vous les récents efforts du gou­ver­ne­ment pour déployer les bra­ce­lets et leurs usages ?
C.P. : On observe en effet la mobi­li­sa­tion d’un cer­tain nombre d'acteurs ins­ti­tu­tion­nels et pri­vés. On constate des efforts mais ce n’est pas encore ça. Il est tou­jours dif­fi­cile pour les femmes vic­times de vio­lences conju­gales de por­ter plainte et ce n’est pas nor­mal. On a besoin d’une police for­mée et spé­cia­li­sée pour abou­tir sur le ter­rain à une meilleure pro­tec­tion.
Hélas, on consi­dère encore aujourd’hui que la femme doit appor­ter à la jus­tice la preuve du dan­ger. Dans le cadre des ordon­nances de pro­tec­tion, les CIDFF nous font régu­liè­re­ment remon­ter que les femmes se voient refu­ser cette mesure si elles n’ont pas un cer­ti­fi­cat médi­cal de moins de deux mois et un dépôt de plainte [Toute per­sonne vic­time de vio­lences conju­gales peut deman­der au juge aux affaires fami­liales une ordon­nance de pro­tec­tion, sans dépôt de plainte préa­lable, ndlr]. Ce n’est pas admis­sible. La jus­tice et les forces de l’ordre doivent croire ces femmes lorsqu'elles disent qu’elles res­sentent du dan­ger et non attendre qu’elles en four­nissent la preuve. 


Lutter loca­le­ment contre les violences 

Fondée en 1972, la Fédération natio­nale des centres d’informations sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF) compte cent trois asso­cia­tions locales spé­cia­li­sées répar­ties sur tout le ter­ri­toire. Elles visent à favo­ri­ser l’accès des femmes à l’information sur leurs droits en pro­po­sant notam­ment un accom­pa­gne­ment juri­dique aux vic­times de violences.

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