Les récents féminicides de Catherine, 54 ans et Fatiha, 27 ans, tuées vendredi dernier par leurs ex-compagnons ou encore l'affaire du policier insultant une victime et jugé ce 8 mars à Pontoise (Val‑d'Oise) mettent de nouveau en lumière les défaillances des forces de l’ordre dans le traitement des plaintes pour violences conjugales.
Ce sont respectivement les 23e et 24e féminicides de l’année 2023, selon le recensement effectué par le collectif féministe Nous toutes. Dans la même journée vendredi 3 mars, deux femmes ont été tuées par leur ex-compagnon. En début d’après-midi, Catherine, 54 ans, a été tuée de vingt-quatre coups de couteau à son domicile de Saint-Laurent‑d’Arce en Gironde par son ancien compagnon. Ce dernier a été retrouvé pendu dans un garage par les gendarmes. Quelques heures plus tard, Fatiha, 27 ans, mourrait poignardée par son ex-conjoint sur le parking juste devant l’hôtel où elle travaillait à Amiens (Somme). L’auteur des faits a ensuite retourné l’arme contre lui.
Catherine et Fatiha sont mortes alors qu’elles avaient toutes deux déjà dénoncé aux autorités les violences antérieures de leur ex-compagnon. En vain. En ce mercredi 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, force est de constater que l’accueil des femmes victimes de violences conjugales dans les commissariats et les gendarmeries ne les protège pas toujours de la mort en 2023 en France.
Deux plaintes non remontées au procureur
Catherine se sentait menacée depuis plusieurs jours par cet ex-compagnon dont elle était séparée depuis mi-janvier. Ce dernier avait déjà été condamné en 2005 à vingt ans de réclusion pour tentative d’assassinat sur une ancienne conjointe. Il était sorti en 2017 et n’avait pas fait depuis l’objet de suivi judiciaire. Catherine craignait pour sa vie depuis quelque temps. « J’ai discuté avec sa sœur, expliquait le maire de Saint-Laurent‑d’Arce Jean-Pierre Suberville (sans étiquette) auprès de France 3 Nouvelle-Aquitaine. D’après ce que Catherine disait aux gens qu’elle avait au téléphone, elle sentait que cela pouvait arriver. »
C’est d’ailleurs parce qu’elle se savait en danger qu’elle avait porté plainte à deux reprises contre lui le mois dernier auprès des gendarmes. Une fois pour des « violences sans incapacité » et une fois pour « diffusion d’images portant atteinte à l’intimité de sa vie privée », a indiqué le procureur de Libourne Olivier Kern dans un communiqué. Sa dernière plainte datait du 23 février, une semaine avant sa mort. Aucune de ces deux plaintes n’a pourtant fait l’objet d’une remontée auprès du parquet de Libourne, rapporte franceinfo. Pourtant, la procédure en la matière est claire : toute plainte pour violence conjugale doit être immédiatement transmise au procureur. C’est à lui que revient ensuite la décision d’ouvrir ou non une instruction.
« Dysfonctionnement du système »
Fatiha aussi se sentait menacée. Le couple était séparé depuis le mois d’août dernier à la suite d’un dépôt de plainte de la jeune femme pour des violences conjugales, indique France 3 Hauts-de-France. Selon BFM-TV, il faisait l'objet d'une convocation par procès-verbal (CPPV) avec placement sous contrôle judiciaire et interdiction d’entrer en contact avec Fatiha. Selon une amie de la jeune femme, il a pourtant continué de la harceler et n'a écopé que d'« une simple interdiction d’approcher. Ils ne lui ont pas mis de bracelet, ils n’ont pas mis de téléphone [grave danger, ndlr] à la disposition de Fatiha, il n’y a rien eu. Pourquoi ? Juste, pourquoi ? », s’interroge-t-elle auprès de RMC. Pour l'heure, le parquet d'Amiens n'a pas communiqué indique France 3. Pour l'avocate pénaliste engagée contre les violences conjugales, Yael Mellul, interviewée par Le Parisien, il est clair que « ces femmes ne devraient pas être mortes. Elles le sont, car il y a eu un dysfonctionnement du système. »
On peut en effet parler de « système » car Catherine et Fatiha ne sont pas des cas isolés. Avant elles, il y a par exemple eu Chloé, victime d’une tentative de féminicide à Blois (Loir-et-Cher) en décembre 2022. La jeune femme de 24 ans est sortie du coma en février. Le jour de la violente agression, Chloé avait bien tenté de porter plainte en se rendant au commissariat de police où un agent avait refusé de prendre sa plainte, l’invitant à se représenter le lendemain. Il avait aussi refusé de la raccompagner chez elle alors même qu’elle se sentait menacée. Les conclusions de l'enquête administrative décidée par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) en décembre sont tombées le 5 février dernier. Le policier qui n'a pas pris la plainte de Chloé ne sera pas poursuivi par la justice. Il a été mis à pied et doit passer en conseil de discipline prochainement. Il encourt une simple sanction disciplinaire.
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À l’image de Chloé, Ophélie aussi a été mal-reçue par les forces de l'ordre lorsqu’elle a demandé de l’aide. Le 31 juillet dernier, cette femme de 31 appelle le commissariat, car son ex-conjoint la menace en bas de chez elle. Au bout du fil, elle tombe sur un fonctionnaire de police qui ne semble pas prendre son inquiétude au sérieux. « Il dit qu’il va me tuer », dit pourtant la jeune femme au policier. « Non », répond ce dernier sur un ton ironique, précise franceinfo qui a pu consulter le PV de retranscription de l’appel. Pour se défendre, Ophélie lance à son ex-compagnon : « Commence pas à crier mon nom en bas de chez moi, casse pas les couilles Issa ». Le policier au bout du fil assène alors un violent « Et tu parles mal grosse merde. Alors tu m’étonnes qu’il te menace. Et rappelez plus, démerdez-vous avec. »
Une heure et demie plus tard, Ophélie rappelle la police et tombe sur un fonctionnaire plus compréhensif. Selon franceinfo, c’est en réalité le même policier qui fait mine de ne pas la reconnaître. « Ah bon, il vous a insultée ? […] “Démerdez-vous grosse merde”, ça m’étonnerait », lui répond-il quand elle se plaint de son précédent interlocuteur. Le lendemain, Ophélie sera roué de coups par cet ex-compagnon.
Ce policier de 48 ans est cité à comparaître ce mercredi 8 mars devant le tribunal correctionnel de Pontoise (Val‑d’Oise) pour « omission de porter secours ». « J’ai immédiatement catégorisé cet appel avec les fantaisistes », a‑t-il expliqué au cours de son audition à l’IGPN, rapporte franceinfo. S’il a formulé des regrets et reconnu « avoir mal parlé à la dame », il a aussi indiqué avoir eu « l’impression qu’elle était en train de parler avec le sourire ». « Une femme en danger n’est pas agressive en général avec l’individu qui la menace », a‑t-il argué.
Inaction
Avant elles, il y a eu encore Aurélie Langelin, 33 ans, retrouvée morte en mai 2021 couverte d’ecchymoses au domicile de son compagnon à Douai (Nord). Celui-ci avait déjà été condamné à plusieurs reprises pour vol, menaces et violences. Peu de temps avant sa mort, elle avait elle aussi déposé plainte contre lui pour menaces de mort. Sa famille vient d’ailleurs de déposer une plainte pour « non assistance à personne en péril » la semaine dernière contre les quatre policiers intervenus le soir de la mort d’Aurélie. Appelés la nuit précédant le décès de la jeune femme, ils sont en effet intervenus dans l’immeuble pour une altercation entre le compagnon d’Aurélie et une voisine. Les policiers avaient choisi de ne rien faire alors que les témoins ont par la suite évoqué pendant l'enquête, qu'Aurélie présentait cette nuit-là des « bleus sur les jambes » et se faisait insulter par son compagnon, qui menaçait de la « niquer », de la « crever », de la « buter », indique franceinfo.
C'est en fait le féminicide de Chahinez Daoud à Mérignac (Gironde) quelques semaines avant celui d’Aurélie Langelin qui, pour la première fois, a soulevé une indignation nationale quant aux manquements de la police pour protéger les victimes. Cette femme de 31 ans avait été blessée par balle par son ex-époux avant qu’il l’immole par le feu en pleine rue. Chahinez avait porté plainte plusieurs fois contre lui, la plus récente en mars, deux mois avant sa mort. En janvier 2022, les six policiers convoqués en Conseil de discipline pour leur responsabilité dans le féminicide de Chahinez avaient écopé de sanctions légères allant de l’avertissement à trois jours de sanctions avec sursis.
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Catherine, Fatiha, Chloé, Ophélie, Aurélie et Chahinez – pour ne citer qu’elles – avec une constante : victimes de violences conjugales, elles ont tenté en vain d’obtenir de l’aide de la gendarmerie ou de la police. Ni leurs craintes ni la dangerosité de leur ex-compagnon n’ont été prises au sérieux par les forces de l'ordre. Alors même que l’accueil dans les commissariats et les gendarmeries des femmes victimes de violences était l’un des axes majeurs du Grenelle des violences faites aux femmes en 2019, notamment par la formation des gendarmes et policiers à une meilleure prise en charge des victimes. Le policier qui a reçu l'appel d'Ophélie a affirmé qu'il n'avait pas été formé à recueillir ce type d'appel, mais « sensibilisé uniquement à l'école de police », indique franceinfo.
« Porter plainte ne suffit pas »
« Que fait-on pour protéger les victimes ? », interrogeait la présidente de l’Union nationale des familles de féminicide Sandrine Bouchait au micro de RMC après les féminicides de Catherine et Fatiha ce vendredi. « Porter plainte ne suffit pas, dénonçait-elle. Il y a un réel problème de suivi et de prise en charge des auteurs. C’est le délai de traitement des plaintes. »
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Concernant le traitement des deux plaintes déposées par Catherine en février, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a demandé samedi l’ouverture d’une enquête administrative de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) afin de déterminer s’il y a eu des dysfonctionnements. Une décision saluée par la ministre déléguée à l’Égalité entre les femmes et les hommes, Isabelle Lonvis-Rome qui a déclaré sur BFM-TV qu’il est « très important qu’on y voie clair dans cette affaire », avant d’ajouter que les féminicides sont une « priorité » pour le gouvernement et que « beaucoup a été lancé déjà depuis 2017 en matière de protection des victimes ». Elle en veut notamment pour preuve les 160.000 policier·ières et gendarmes formé·es depuis 2019, les 4 000 téléphones grave danger et les 1 000 bracelets anti-rapprochement distribués, ainsi que l’augmentation de 80 % du nombre de places en hébergement d’urgence.
Pour l’avocate pénaliste Yael Mellul interviewée par Le Parisien, « les mesures d’éloignement sont bien insuffisantes face aux dangers auxquels sont exposées les victimes. On sait que l’interdiction d’entrer en contact ne freine pas les ex-conjoints violents. C’est le même constat pour les bracelets anti-rapprochement ». Dans le cas du féminicide de Catherine, il aurait par exemple fallu « une réponse pénale beaucoup plus forte : le placement en détention », explique-t-elle au quotidien.
Création d'un fichier national des auteur·trices de violences intrafamiliales
Dans une interview accordée au magazine Elle le 1er mars dernier, la première ministre Élisabeth Borne a annoncé dans le cadre du plan interministériel « pour l’Égalité entre les femmes et les hommes », la création en novembre prochain, d’un fichier national des auteur·trices de violences intrafamiliales, qui permettra de connaître leurs antécédents de violences en croisant les fichiers des ministères de l’Intérieur et de la Justice. Il permettra de « renforcer la vigilance des forces de l’ordre et d’éviter ces situations », précise Elisabeth Borne auprès du magazine faisant référence aux féminicides dans lesquels les victimes avaient porté plainte pour violences contre leur ex-compagnon.
Selon Matignon, les informations suivantes seront accessibles dans ce fichier : les détentions d’armes, les antécédents de violences et les mesures de protection des victimes comme une ordonnance de protection ou le port de bracelet anti-rapprochement. En réalité, cette mesure avait déjà été annoncée par Jean Castex en 2021, alors premier ministre, après la publication d’un rapport de vingt-sept pages pointant l’impressionnante série de défaillances ayant précédé le féminicide de Chahinez Daoud.
Pour rappel, en 2021, 122 femmes sont décédées des suites de violences conjugales. Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, parmi les 39 femmes victimes ayant subi des violences antérieures à leur mort, 25 avaient signalé ces faits aux forces de l’ordre et 21 avaient déjà déposé plainte contre l’auteur des violences.