Dans le cadre de sa quatrième analyse des facteurs de précarité des femmes, publiée ce jeudi, la Fondation des femmes s’est intéressée au coût du divorce. Le couple hétérosexuel est une véritable “trappe à pauvreté” pour les femmes, affirme l’institut, où les inégalités se creusent tout au long du mariage.
“La précarité en France a un visage : celui d’une mère isolée”, dénonce Anne-Cécile Mailfert. La Fondation des femmes publie aujourd’hui sa quatrième analyse des facteurs de précarité des femmes — en partenariat avec le Crédit municipal de Paris – de son Observatoire de l’émancipation économique des femmes. Rédigée par les expertes Lucile Peytavin et Hélène Gherbia, la note de cette année s’intéresse aux conséquences de la séparation chez les femmes en couple hétérosexuel. À l’heure où le gouvernement promet de se pencher sur la question des familles monoparentales (dont 82 % ont une femme à leur tête), la Fondation publie dans son analyse un chiffre choc : 20 % des femmes basculent dans la pauvreté au moment du divorce, contre 8 % des hommes.
En France, selon l’Insee, près d’un mariage sur deux aboutit à un divorce (dans 44 % des cas). Loin du jackpot pécuniaire souvent dépeint dans les représentations populaires, ce processus de séparation appauvrit lourdement les femmes, rattrapées par une accumulation de coûts suscités par le mariage. “Ce que la nouvelle note de l’Observatoire de l’émancipation économique des femmes tend à établir, c’est que s’émanciper d’un mariage ne libère pas des inégalités femmes-hommes. Les femmes, après une séparation ou un divorce, continuent de s’occuper des enfants et d’en payer le prix”, décrit Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, dans un communiqué.
“Illusion d’égalité”
Au-delà de faire état de l’étranglement financier que représente la séparation pour les mères, l’intérêt de ce rapport est d’analyser les mécanismes d’appauvrissement qui apparaissent en amont, tout au long de la relation de couple. Car “les inégalités économiques femmes/hommes semblent exploser soudainement au moment du divorce, mais c’est une illusion, met en garde Hélène Gherbi, coautrice de la note. Elles n’apparaissent pas subitement dans le couple au moment de la séparation. Elles se construisent et se renforcent tout au long du mariage”.
Pour les autrices, ce phénomène est dû à la “pénalité maternelle” – la charge parentale est inégale, 40 % des femmes “modifient leur activité après une maternité” et voient leur revenu diminuer –, les politiques publiques patriarcales (comme la conjugalisation de l’impôt) qui ne se révèlent que très rarement avantageuses pour les femmes, ou encore la répartition inégale des dépenses au sein du couple. La nature des dépenses tend par exemple à augmenter le patrimoine des hommes (voitures, immobilier, etc.), tandis que les femmes investissent dans des biens consommables pour le foyer (produits d’hygiène, nourriture, etc.), dont il ne reste trace lors d’une séparation. Un “fonctionnement [qui] a un impact majeur sur l’enrichissement personnel de chacun·e”, conclut l’analyse.
170 euros, la moyenne des pensions alimentaires
Autant de facteurs qui creusent le fossé d’inégalité au sein du couple et précarisent les femmes en cas de séparation. Le divorce se révèle ainsi une “épreuve économique pour les femmes”. La procédure en elle-même peut laisser les femmes lésées, dans la mesure où “en privilégiant le règlement amiable et pacifié des séparations, les politiques actuelles compliquent la prise en compte des asymétries et des rapports de force conjugaux”, écrit dans cette note la sociologue Émilie Biland-Curinier. Certains arrangements peuvent notamment être acceptés par les femmes sous la contrainte dans les cas de violences conjugales, où se jouent des violences économiques et/ou liées à la parentalité.
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La parentalité, enfin, apparaît comme l’épicentre des inégalités femmes-hommes en cas de séparation. “Avant ou après le divorce, où sont les pères ?” interroge la note. Déjà peu enclins à partager l’impact économique de la charge parentale en couple (seuls 6 % des pères réduisent ou arrêtent leur activité à l’arrivée d’un enfant), les pères accusent également très peu le coup financier des enfants en cas de séparation. “Après un divorce, la résidence principale des enfants est en grande majorité [75 %] fixée chez la mère”, révèle l’analyse, et les contributions alimentaires (versées dans 97 % des cas par le père) – qui doivent “permettre au parent qui a la garde des enfants de subvenir à leurs besoins et leur éducation” – restent impayées pour 30 à 40 % des foyers. Le montant moyen de cette contribution s’élève par ailleurs à 170 euros mensuels par enfant, “ce qui est largement insuffisant au regard de ce que coûte l’entretien d’un enfant”, dénonce dans cette analyse la Collective des mères isolées.
La Fondation des femmes décrit le mariage hétérosexuel comme “un système à deux vitesses”, qui “permet aux hommes de renforcer leur sécurisation économique” et pénalise les femmes – surtout les mères –, “fragilisées économiquement par le mariage”. Sous couvert “de la pratique du 50/50 dans la répartition des dépenses”, qui néglige le principe d’équité en fonction des salaires, souvent plus bas pour les femmes, le mariage crée un fossé invisible d’inégalités révélées en cas de séparation. “Le mariage appauvrit les femmes : il est essentiel pour elles de bien choisir leur régime matrimonial et leur procédure de divorce pour anticiper et atténuer ses effets négatifs sur leurs revenus”, recommande Lucile Peytavin, coautrice de cette analyse. Il s’agit d’entrer dans une union en toute connaissance de cause, donc, de protéger ses arrières, mais aussi d’exiger davantage : avec cette note, la Fondation des femmes réclame ainsi “des politiques publiques ambitieuses pour le pouvoir économique des mères isolées”.