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Visuel au centre : Leah Vernon alias LeahV, influenceuse des médias sociaux Hijabi @lvernon2000. © Captures écran @jins_podcast

“Jins” : “Le pre­mier pod­cast qui parle de sexua­li­té et d’amour pour les per­sonnes arabes et/​ou musulmanes”

Ici, ni clichés ni tabous. Religions, identités queers, séropositivité, règles, représentation des sexualités maghrébines au cinéma, transmasculinité… Voilà trois ans que Jamal anime Jins, podcast plein de finesse sur l’amour et la sexualité des personnes arabes et/ou musulmanes. Causette l’a rencontré.

Causette : Dites-nous tout : c’est quoi, Jins ?
Jamal
: C’est le premier podcast qui parle de sexualité, de genre, de féminisme et d’amour pour les personnes arabes et/ou musulmanes, de France et d’ailleurs. Jins, ça veut dire “sexe” en arabe, mais pas que : c’est aussi la sexualité, le genre… Et c’est la même racine étymologique que jinsia, qui signifie nationalité. Donc ça parle beaucoup d’identités.

Pourquoi préciser à chaque fois “pour les personnes arabes et/ou musulmanes” ?
Jamal
: C’était très important pour moi de mettre l’accent sur le “et/ou”, puisque l’arabité et l’islamité, ce sont évidemment deux identités différentes. On peut être arabe et musulman, arabe et chrétien, arabe et juif, arabe et apostat, athée… De la même façon qu’on est copte d’Égypte ou maronite du Liban, on peut être juif séfarade ou mizrahi. On peut être amazigh, donc non arabe, avoir des religions syncrétiques… Et on peut aussi être perçu comme une personne noire ou n’être pas directement perçu comme une personne racisée, alors qu’on est musulman ou musulmane. Donc c’était important pour moi de pouvoir être à l’intersection de toutes ces identités-là, tout en ayant un contexte culturel très fort.

Qu’est-ce qui vous a décidé à lancer Jins, en 2021 ?
Jamal : Il y avait une volonté très forte de parler enfin des sujets et des identités dont on ne parlait jamais, ou peu et mal, surtout dans les médias mainstream. D’avoir un nouveau point de vue sur ces identités-là. Et le déclic, c’est l’ensemble des choses que j’ai vécues, qui m’ont amené à ces questionnements, à lire plus de cinq cents ouvrages sur ces questions sociologiques, anthropologiques, psychologiques, sexologiques du monde arabe et/ou musulman. D’avoir réussi aussi à replonger dans ma spiritualité à moi, c’est-à-dire replonger dans l’islam avec lequel j’ai grandi pour m’en détacher et pour y revenir à ma façon. C’est aussi, évidemment, avec toutes les choses que j’ai vécues en matière de racisme. Comprendre que j’étais arabe en arrivant en France, ça a été aussi un déclic. Et puis c’était aussi comprendre comment on pouvait éviter les messages grossophobes à la télé, comment on pouvait être tout autant anti-islamophobie qu’anti-antisémitisme, etc. Pour moi, toutes ces questions étaient extrêmement importantes à aborder d’un point de vue nuancé et sans qu’aucune identité ne soit laissée de côté.

Les questions liées aux vécus queers et LGBTIA+ occupent une place majeure dans votre podcast. Pourquoi ce prisme ?
Jamal : Il est important pour moi de parler des identités queers, LGBTQIA+ dans les contextes de la religion, dans les contextes arabes ou, plus généralement, dans les contextes des personnes qui sont racisées ou qui sont spirituelles. Tout simplement parce qu’à chaque fois qu’on associe les deux dans une même phrase, il y a un moment de choc, de recul. C’est quelque chose qui semble antithétique, oxymorique, qu’on n’arrive pas à comprendre. Sauf que, évidemment, on peut être à la fois une personne religieuse et queer ou LGBTQIA+. Et si on relit les textes religieux de manière féministe, avec beaucoup d’amour, de compréhension, on se rend compte qu’il y a pléthore de références qui permettent non seulement d’accepter, mais aussi de pouvoir covivre avec toutes ces identités, en particulier les identités queer. Donc, l’idée, c’était de rappeler qu’il y a des lectures des textes religieux qui sont faites avec amour. Et que les créations de Dieu, que sont aussi les personnes LGBTQIA+, ne sont pas des erreurs de la nature.

Depuis le départ, vous avez souhaité garder votre anonymat. Pourquoi ?
Jamal : Déjà parce que je n’ai pas forcément envie de porter la lumière sur mon identité à moi, ce n’est pas le sujet. Et aussi parce qu’au-delà des messages d’amour, j’ai aussi reçu des messages de haine, des vagues de cyberharcèlement, liés à une profonde impossibilité de comprendre qu’une femme peut disposer librement de son corps, qu’elle soit en situation de handicap, qu’elle porte le foulard, qu’elle soit travailleuse du sexe. Pour moi, ce qui est important, c’est l’intégrité et la dignité de la personne humaine, quelle qu’elle soit. Et ça, pour moi c’est un principe de l’islam. Donc l’anonymat est parti de ça aussi, dans le sens où je préfère faire un travail de l’ombre, lire, malaxer les contenus de toutes ces études, pour pouvoir les délivrer de manière plus buvable à un ensemble d’audiences différentes, qu’elles soient prêtes à l’entendre ou pas. Ce qui est certain, c’est qu’il y a beaucoup de personnes aujourd’hui qui sont queers ou hétérosexuelles, qui sont musulmanes ou pas, qui portent le foulard ou pas, qui sont transgenres ou cisgenres et qui, peut importe leur identité, ont besoin de ce genre de message libérateur, puisque à l’intersection. On n’aime pas trop ce mot en France : on a l’impression que ça vient d’outre-Atlantique, que c’est le “wokisme”, on le transforme en idéologie… Alors qu’en fait, ça ne dit rien d’autre, précisément, que le fait d’être éveillé à ces questions-là et de pouvoir se battre pour que chaque personne ait la même dignité et les mêmes droits.

On sait qu’il y a beaucoup de préjugés et de représentations dévalorisantes dès lors qu’il est question d’islam, d’arabité et de sexualité. Vous qui interrogez justement ces sujets, pensez-vous que les mondes arabo-musulmans ont un problème avec le sexe ?
Jamal : Je pense que le patriarcat au pouvoir dans les pays musulmans a un problème avec le sexe, oui. Je ne pense pas que les personnes arabes et/ou musulmanes en ont un. À l’inverse, on est même plutôt assez obsédé par ça, puisqu’on en parle tout le temps, partout, même dans les lois. Ce qui nous obsède, ce sont les corps, le fait de ne pas pouvoir les montrer ouvertement. Il y a un sujet énorme autour du tabou du sexe, mais aussi autour du tabou de l’amour – qui ne se dit pas nécessairement par des “Je t’aime” ou des “I love you” et c’est OK. Et bien sûr que les pays musulmans n’ont pas encore vraiment résolu cette question-là. Mais ces pays ne sont pas un monolithe dans lequel on peut rassembler l’intégralité des islams, des islamités et des lois. Et puis surtout, ce ne sont pas que des pays arabes. L’Indonésie compte 273 millions de personnes en très grande majorité musulmanes et c’est un pays sud-est asiatique. La Turquie, qui est à la base un peuple ottoman, est l’un des pays les plus musulmans au monde. On a aussi l’Iran, qui n’est pas arabe. Et même dans les pays du Maghreb, on a différents types de courants, d’écoles juridiques.

Et au-delà de ça, bien sûr, il y a le regard occidental, ce fameux regard blanc – on parle de white gaze au cinéma notamment – qui imagine que les identités et les sexualités arabes ou musulmanes sont d’un certain type. C’est-à-dire qu’elles sont enfermées dans une forme d’idéalisation fétichisante et d’hypersexualisation : les hommes racisés auraient des sexes hypertrophiés, des musculatures énormes et une certaine tendance à être agressifs au lit, dominants. Là où les femmes arabes et musulmanes seraient forcément des jeunes prudes, vierges, soit soumises soit un peu “épicées” au lit. Ce syndrome de la “beurette”, qui est un mot que je prohibe évidemment – comme celui du “garçon arabe”, dont la bestialité dans la sexualité serait énorme – est évidemment à proscrire, et on devrait l’abandonner au plus vite.

Lire aussi I Salima Tenfiche : « Le terme “beurette” montre que le corps des femmes arabes est le dernier territoire de conquête coloniale »

Dans une interview, vous parliez des “trois H”. Quels sont ces “trois H” et comment vous en emparez-vous dans votre podcast ?
Jamal : Jins est né de cette volonté de parler des “trois H”, que j’ai découvert notamment avec les sociologues marocain·es Sanaa El Aji et Abdessamad Dialmy. Dans ces trois H, il y a d’abord le haram, qui désigne ce qui est religieusement illicite ; la hugra, qui désigne la discrimination, l’oppression ou un pouvoir qui s’exerce de manière assez injuste envers une autre personne ; puis il y a la hshouma, la honte. Et il y a vraiment cette idée qu’être qui l’on est, c’est à la fois une honte, religieusement illicite, et que c’est quelque chose qu’on ne devrait surtout pas dire au pouvoir environnant. Sauf que moi, je crois en la victoire de la bienveillance, de la lumière et de l’amour. Et l’amour, en arabe, c’est le hub : pour moi, c’est le quatrième H.

Votre podcast se revendique comme féministe. De quelle approche féministe vous réclamez-vous ?
Jamal : Jins, c’est parti du principe que tout le monde a le droit de disposer librement de son corps, ce qui est un principe féministe de base. Et j’ai créé ce podcast en me réclamant d’un féminisme intersectionnel. En partant du principe que je suis un allié des luttes et qu’il est important de reconnaître que j’ai un privilège d’homme cisgenre et un privilège de classe, puisque je suis né dans une famille bourgeoise casablancaise, au Maroc. Et puis je me réclame aussi d’un féminisme islamique, parce que je suis musulman et que ce mot-là ne doit pas faire peur – de la même façon qu’on dit catholique, on peut dire islamique ou judaïque. C’est un féminisme qui permet de réfléchir au fait qu’on a le droit de lire le Coran avec amour, avec un principe d’équité et de justice, et de l’interpréter de manière qu’il n’y ait plus de traces patriarcales dans l’interprétation. C’est un féminisme spirituel, “droits-humaniste” (avant de se dire qu’il faut appliquer bêtement et de manière littérale les textes, il revient aux droits humains avant tout) et qui est aussi inclusif. Après, il n’a pas vocation à convertir en masse les populations de France et d’ailleurs : plutôt à affirmer que les femmes musulmanes sont aussi des femmes, comme le dirait en France l’éminente sociologue Hanane Karimi.

Savez-vous qui écoute Jins ?
Jamal : Ce sont à 70 % des femmes, à 25 % des hommes et, pour 5 %, des personnes qui ne se prononcent pas sur leur genre. Deux tiers viennent de France, 15 % écoutent depuis le Maghreb, environ 10 % au Benelux et en Suisse, et autant aux États-Unis, en Angleterre et au Canada. Au-delà des statistiques, c’est un point de rendez-vous où l’on sait qu’on va se sentir plutôt en sécurité, qu’on va réfléchir de manière non taboue, sans qu’aucune question ne soit mise de côté. L’idée, c’est de venir trouver des réponses qu’on n’a pas ailleurs, parce qu’on n’ose pas poser ces questions-là. Dans Jins, j’ai toujours voulu allier les deux choses incompatibles qu’on imaginait les plus intimes, qui sont la religion et le sexe.

Aujourd’hui, il y a une petite communauté de trente mille auditeur·rices pour qui c’est extrêmement important de pouvoir continuer à libérer la parole autour de ces sujets. J’ai des personnes qui me disent : “Bon ben voilà, ma mère a écouté Jins, maintenant elle accepte le fait que je sois une jeune femme d’origine algérienne et lesbienne.” Il y a des gens qui me disent qu’ils couchent mieux ensemble, certains qui me disent qu’ils ont réfléchi à revenir un peu plus dans la religion, d’autres qui n’arrivent pas à y revenir et c’est OK.

Selon vous, dans quelle mesure votre podcast contribue-t-il à faire évoluer les mentalités ?
Jamal : Il a évidemment prétention à faire avancer les choses socialement, puisque je le fais en tant que militant, mais aussi en tant que conférencier, poète, essayiste, éditeur, scénariste et aussi, donc, en tant que podcasteur. Je passerai par tous les chemins s’il le faut pour pouvoir visibiliser les identités qu’on plonge dans l’obscurité, voire dans l’obscurantisme. Moi, je ne me tournerai pas vers des imams 3.0 sur TikTok qui prêchent en six secondes – je les appelle les faux imams et les faux amis. On a vraiment des compagnons de non-lutte, qui sont très très suivis aussi. Je n’ai pas vocation du tout à dire que c’est moi qui ai raison, je dis juste que ça existe aussi comme interprétation. Et je pense que c’est suffisant pour se poser les bonnes questions, pour adopter sa propre vision de la religion. J’ai prétention à porter un discours apaisé. Je n’ai jamais eu envie de me disputer avec personne. Même si mon inclusion est radicale et mon militantisme très clair, j’ai compris au fur et à mesure du temps qu’on a besoin que la majorité se réveille. Je parlais tout à l’heure du terme de l’éveil, du “wokisme”. Et je crois qu’on a besoin de réveiller les foules pour qu’elles agissent enfin, qu’elles sortent du silence, de l’obscurité, de l’obscurantisme et qu’elles rejoignent d’autres foules qui existent déjà et qui sont déjà engagées. Pas forcément pour entrer dans une époque de modernité absolue, mais juste pour se dire que les personnes ont droit d’exister, peu importe qui ils, elles ou iels sont. Qu’elles sont valides, que leur discours est valable et surtout, qu’elles ne sont pas seules.

Le mot de la fin ?
Jamal : Faites l’amour et faites la révolution de l’amour !

Lire aussi I Delphine Horvilleur, Kahina Bahloul et Alice Peyrol-Viale : une juive, une musulmane et une catho sont dans un resto…

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