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© Kelly Sikkema

Impôts et pres­ta­tions sociales : pour­quoi la poli­tique « fami­lia­liste » de l'État fran­çais crée des injus­tices finan­cières pour les femmes

Dans un rap­port publié ce ven­dre­di, l'Observatoire de l'émancipation éco­no­mique des femmes, éma­na­tion de la Fondation des femmes, démontre que les prin­cipes de soli­da­ri­té éco­no­mique au sein du couple et de conju­ga­li­sa­tion de l'impôt des couples mariés des­servent le plus sou­vent les femmes.

« Les méca­nismes de l'État pro­vi­dence sont cen­sés venir en aide à tous mais sont en fait basés sur une vision des familles qui n'existe plus et donc créent des entraves à l'émancipation éco­no­mique des femmes », affirme Lucile Peytavin, his­to­rienne spé­cia­liste des droits des femmes et membre de l'Observatoire de l'émancipation éco­no­mique des femmes. Cette ins­tance, lan­cée par la Fondation des femmes et finan­cée par le Crédit muni­ci­pal de Paris, publie ce 3 février la note La dépen­dance éco­no­mique des femmes, une affaire d'État ?.

Dedans, Lucile Peytavin et Lucile Quillet, jour­na­liste experte du tra­vail des femmes, s'emparent des zones d'ombre en matière de fis­ca­li­té et de redis­tri­bu­tion des richesses quand on les regarde au prisme du genre : qu'il s'agisse des pres­ta­tions sociales ou de l'impôt des couples mariés, les femmes font face à des injus­tices et perdent de l'argent.

RSA, APL… Toutes ces pres­ta­tions qui dimi­nuent lors d'une mise en couple

Premier écueil, les pres­ta­tions sociales : nom­breuses sont celles qui sont dimi­nuées ou tout sim­ple­ment sup­pri­mées au titre de la « soli­da­ri­té conju­gale ». Ce prin­cipe, qui sti­pule que les pres­ta­tions ver­sées dépendent du reve­nu du couple et non pas de l'individu, a géné­ra­le­ment pour effet de péna­li­ser les femmes, qui gagnent en moyenne moins que les hommes et sont donc plus béné­fi­ciaires des pres­ta­tions sociales. Récemment, il a fait l'objet d'une âpre bataille par­le­men­taire en ce qui concerne l'Allocation adulte han­di­ca­pé (AAH), qui sera fina­le­ment décon­ju­ga­li­sée en octobre 2023.

Lire aus­si l L’Assemblée vote en faveur de la décon­ju­ga­li­sa­tion de l’AAH qui entre­ra en vigueur en 2023

Mais l'Observatoire de l'émancipation éco­no­mique des femmes liste toutes les pres­ta­tions pour les­quelles la soli­da­ri­té conju­gale joue encore : Revenu de soli­da­ri­té active (RSA), Aide per­son­na­li­sée au loge­ment (APL), prime d'activité, Assurance vieillesse pour les parents au foyer (AVFP), pen­sions de réver­sion… À noter que pour les pen­sions de réver­sion de la fonc­tion publique et l'Allocation de sou­tien fami­lial (ASF), une simple mise en couple suf­fit à voir sup­pri­mer la pres­ta­tion dans son inté­gra­li­té, quel que soit le reve­nu du conjoint. 

Création d'une situa­tion de dépendance

« Pour l'État fran­çais, la mise en couple implique une soli­da­ri­té interne au couple, décrypte Lucile Peytavin, autrice de l'essai Le Coût de la viri­li­té. Mais en fait, cette soli­da­ri­té crée la dépen­dance de la per­sonne la moins bien lotie dans le couple et cette dépen­dance peut être délé­tère en cas de vio­lences. » Ainsi, cer­taines femmes hési­te­raient à quit­ter leur conjoint violent, ne béné­fi­ciant plus de la pres­ta­tion sociale per­met­tant leur indé­pen­dance économique. 

La note de l'Observatoire sou­ligne les consé­quences absurdes du prin­cipe de soli­da­ri­té conju­gale : « Alors que la prime d’activité s’adresse au tra­vail indi­vi­duel de cha­cun, son cal­cul prend pour­tant en compte les reve­nus du par­te­naire. À tra­vers son mode de cal­cul, cette aide qui a voca­tion à encou­ra­ger l’activité éco­no­mique indi­vi­duelle ren­voie les femmes au cha­pe­ron­nage éco­no­mique de leur conjoint. »

Le mariage, ce bou­let fis­cal pour les épouses

En paral­lèle de ces ini­qui­tés dans le sys­tème de redis­tri­bu­tion, c'est aus­si les moda­li­tés de l'impôt des couples mariés qui créent des injus­tices. En France, par défaut, les couples mariés sont sou­mis à la conju­ga­li­sa­tion de l'impôt, qui désa­van­tage la per­sonne du couple gagnant le moins. En effet, cette conju­ga­li­sa­tion crée un taux d'imposition com­mun en addi­tion­nant les reve­nus des deux membres du couple. Comme en géné­ral, les femmes per­çoivent moins que leur époux, elles se retrouvent avec un taux d'imposition plus haut que celui qu'elles obtien­draient en décla­rant avec le taux per­son­na­li­sé (le même que celui d'une per­sonne non mariée). A l'inverse, les hommes voient leur taux d'imposition bais­ser. Mathématiquement, ce « cadeau fis­cal pour les pri­vi­lé­giés du couple », comme le qua­li­fie Lucille Quillet, entraîne un manque à gagner pour l'État.

Pour ne pas payer ce taux com­mun, les femmes mariées doivent cocher l'option « taux per­son­na­li­sé » lors de leur décla­ra­tion de reve­nu en ligne… Encore faut-​il qu'elles le sachent et « qu'elles ne subissent pas la pres­sion de leur mari pour main­te­nir ce qui pour eux est un avan­tage », sou­ligne l'experte, autrice de l'essaie Le Prix à payer, ce que le couple hété­ro coûte aux femmes.

Anomalie fran­çaise

« C'est un sys­tème injuste et héri­té de la poli­tique fis­cale fami­lia­liste de la France d'après-guerre, reprend-​elle. Comme nous l'a expli­qué Hélène Périvier, éco­no­miste à l’Observatoire fran­çais des conjonc­tures éco­no­miques (OFCE) que nous citons dans notre note, cette poli­tique fis­cale avait pour but de décou­ra­ger les femmes de gagner leur vie et donc de tra­vailler pour ser­vir la poli­tique nata­liste d'alors. » Mais les cher­cheuses pointent l'anomalie fran­çaise par rap­port à ses voi­sins : « La France est l’un des der­niers pays euro­péens à appli­quer une impo­si­tion com­mune des couples. La majo­ri­té des pays de l’Union euro­péenne applique une impo­si­tion sépa­rée par défaut : Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, Grèce, Italie, Pays-​Bas, Royaume-​Uni, Suède, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Slovaquie, Slovénie. »

Pour la Fondation des femmes et le Crédit muni­ci­pal de Paris – dont la clien­tèle, à 80% fémi­nine, se tourne sou­vent vers l'organisme de prêt à la suite d'« acci­dents de vie » tels que le divorce – cette note doit « ouvrir un débat sur la moder­ni­sa­tion des règles admi­nis­tra­tives et fis­cales ». « Au nom de l’émancipation éco­no­mique des femmes mais aus­si du pro­grès social », mar­tèlent ces organismes.

Lire aus­si l Inégalités : très cher couple

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