Depuis le mois d’octobre, Bisan Owda, réalisatrice et journaliste palestinienne, documente sa (sur)vie à Gaza et informe au quotidien le monde sur la situation critique de la Palestine via les réseaux sociaux.
“Gaza… ma ville, ma maison, l’endroit que j’aime le plus et le seul que je pourrai jamais aimer ! S’il vous plaît, restez forts, nous reviendrons”, écrivait Bisan Owda sur Instagram le 1er janvier dernier. La nouvelle année s’annonçait et, avec elle, la suite de la guerre que mène Israël contre la Palestine depuis les attaques du 7 octobre dernier. Accolée à ce message, une vidéo montre la réalisatrice sur une plage de Khan Younès, une ville du sud de la bande de Gaza où se massent actuellement des centaines de milliers de personnes déplacées.
Au jour le jour
“Nous sommes sans-abri dans notre propre patrie.” Face caméra, Mohammed Amine, un assistant social de 72 ans, raconte à Bisan Owda ses nombreux déplacements depuis le mois d’octobre, forcé de quitter son quartier pour atterrir dans une tente à Khan Younès. “C’est ma maman qui l’a fait.” Un petit garçon traverse une plaine de sable pour vendre de petites tortillas palestiniennes frites, une alternative aux chips qui sont depuis longtemps introuvables à Gaza. La journaliste – qui travaille entre autres pour le Fonds des Nations unies pour la population – filme cette scène du quotidien gazaoui et de nombreuses autres, rendant ainsi compte de la résilience du peuple palestinien.
Puis il y a les vidéos et photos de Bisan Owda qui racontent la guerre. “Je n’ai plus aucun espoir de survie”, écrit la reportrice le 2 décembre dernier, dans un post Instagram qui comptabilise plus de deux millions de likes. Clouée au lit par une infection, elle décrit dans ce texte les cauchemars et le désespoir qui la guettent.
La jeune femme âgée d’une vingtaine d’années était réalisatrice et créatrice de contenus avant que son lieu de travail ne soit détruit, quelques jours après les attaques du 7 octobre. “À travers ses vidéos, elle entraîne son public dans un voyage captivant, mettant en lumière les luttes, les légendes et les triomphes de son peuple”, dit à son sujet le site du programme EU Neighbours South, dont Owda est une des ambassadeur·rices. Depuis le mois d’octobre, elle est devenue reportrice de guerre, témoin des drames qui se jouent dans sa ville natale. La réalisatrice documente ainsi la destruction par un raid israélien de l’hôpital Al-Shifa, ou encore les derniers instants du service de maternité de l’établissement pour le média digital qatari AJ+.
Continuer à informer
Bisan Owda fait partie de la poignée de femmes journalistes encore présentes à Gaza – dont Plestia Alaqad, Maram Humaid ou encore Hind Khoudary – et qui relaient sur les réseaux sociaux des images de la Palestine assiégée. D’autres journalistes gazaouies ont quitté le territoire, à l’instar de Yara Eid, ou sont présumées mortes, comme Ayat Khadoura. Au cœur d’une bataille de chiffres entre le Syndicat des journalistes palestiniens (SJP) et Reporter sans frontière (RSF), le nombre de journalistes palestien·nes tué·es depuis le 7 octobre s’élèverait à plusieurs dizaines de personnes.
D’après un communiqué du bureau du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme dans le territoire palestinien occupé (HCDH-Palestine) daté du 14 décembre dernier, “l’assassinat de journalistes, leur déplacement forcé depuis le nord et les restrictions sévères imposées à leurs déplacements ont considérablement entravé les efforts déployés pour surveiller, documenter et rendre compte de la situation à Gaza et des violations et abus du droit international”. Les journalistes étranger·ères ne sont par ailleurs pas autorisé·es à se rendre à Gaza, sauf quelques exceptions, telles que la journaliste de CNN Clarissa Ward.
Dans ces conditions, les reportages sur les réseaux sociaux de Bisan Owda – qui officie aux dernières nouvelles depuis la ville de Rafah – et ses collègues sont devenu·es une des rares sources d'informations diffusées localement. Un travail inestimable, qui donne à voir la violence de la riposte israélienne et s'assure que le monde n'oublie pas Gaza.
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