Série « Nouveaux départs » – « J’ai réa­li­sé à quel point il est absurde de se croire “trop vieille” pour apprendre à naviguer »

Série d’été « Nouveaux Départs », 7/​9

Cet été, Causette s'intéresse aux chan­ge­ments de vie et aux bou­le­ver­se­ments du quo­ti­dien. Depuis qu'elle a osé cla­quer ses éco­no­mies dans deux stages de voile aux Glénan il y a deux ans, Maloute se laisse por­ter par le cou­rant et rêve de son propre bateau, pour trans­mettre à son tour la pas­sion de la voile. Un nou­veau départ mais aus­si l'aboutissement d'une longue réflexion sur la car­rière et la maternité. 

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Maloute ©DR

"J’ai 37 ans et j’ai com­men­cé la voile il y a un peu plus d’un an. Apprendre à navi­guer et à vivre sur un voi­lier a été pour moi l’aboutissement d’une longue réflexion, qui a com­men­cé il y a quelques années, un peu avant les confi­ne­ments. Plus jeune, je n’avais jamais hési­té à par­tir à l’aventure à l’autre bout du monde, mais j’avais un besoin de sta­bi­li­té – un besoin dû, je pense, à la pres­sion que nous met la socié­té. C’est pour­quoi, au retour d'une alter­nance de deux ans et demi en Australie, j’ai pas­sé les concours pour deve­nir pro­fes­seure d’anglais dans un lycée agri­cole. Avec le sésame en proche, j'ai faci­le­ment trou­vé un poste dans la Creuse. À 29 ans, j’avais un emploi et une rela­tion amou­reuse stable. Tout le package pour abou­tir logi­que­ment au bébé et à l’achat d’une mai­son. Sans trop me l’avouer, je me sen­tais tout de même un peu coin­cée, comme s’il fal­lait radi­ca­le­ment choi­sir entre sta­bi­li­té et liber­té, et devoir donc sacri­fier iné­luc­ta­ble­ment l’une des deux options. 

Après cinq années dans la Creuse, j’ai mis fin à ma rela­tion amou­reuse puis à mon bou­lot de prof. J’ai repris des études en droit de l’environnement, sans doute parce que je ne par­ve­nais pas à lâcher l’idée qu’il fal­lait se construire une car­rière à tout prix. J’avais aus­si le sen­ti­ment qu’à force d’avoir vou­lu rebattre les cartes de ma vie trop sou­vent, j’étais comme le lapin blanc d’Alice, en retard. En retard pour refaire une car­rière après l’enseignement et très en retard pour trou­ver le bon père et faire des enfants. 

Un soir où je broyais du noir, j’ai déci­dé de faire le deuil de la mater­ni­té. J’avais 35 ans et il fal­lait que j’avance. J’avais besoin d’un véri­table pro­jet de vie. Alors j’ai com­men­cé à lis­ter tous les plans chouettes qui auraient été retar­dés ou ren­dus impos­sibles par la mater­ni­té ou la vie de bureau. En tout pre­mier, j’ai noté : apprendre à navi­guer. Pourquoi ce choix ? Je ne sais pas moi-​même. Si j’ai gran­di à côté de la mer, mes expé­riences mari­times se résu­maient à deux stages d’optimistes à huit ans et un peu de planche à voile à l’adolescence. On ne peut pas dire que j'avais le pied marin, donc. 

Mais j'avais l’exemple de ma mère qui, à 60 ans, venait de reprendre la voile après trente années de terre ferme, trois enfants et un divorce. Elle avait ache­té un vieux bateau avec son com­pa­gnon pour tra­ver­ser l’Atlantique. Je suis allée la voir à Cuba et ça m’a énor­mé­ment ins­pi­rée. En écou­tant ses récits, j’ai réa­li­sé à quel point il est absurde de se croire « trop vieille » pour apprendre à navi­guer, à 36 ans. 

J’ai donc cla­qué mes éco­no­mies dans deux stages de voile aux Glénan et, sur l’eau, je me suis sen­tie mer­veilleu­se­ment bien. Au cours d’une soi­rée, j’ai ren­con­tré des gars qui avaient ache­té un ancien bateau de course à reta­per. J’avais du temps libre que j’ai pu offrir sur leur chan­tier et, sur­tout, la soif d'apprendre. Avec le temps, l’un des skip­pers est deve­nu mon amoureux. 

En un an, j’ai appris énor­mé­ment auprès d'eux, dans des domaines qui m’étaient alors jusque-​là com­plè­te­ment incon­nus. Comme la météo­ro­lo­gie, la car­to­gra­phie, la méca­nique ou l’électricité. Depuis, j’ai par­cou­ru plus de 6 000 milles nau­tiques en Méditerranée. Je ne pen­sais pas pou­voir apprendre autant et aus­si vite. Et, assez natu­rel­le­ment, ça a balayé mes der­niers dilemmes de car­rière et de maternité. 

Pour autant, tout n’est pas dolce vita et che­veux au vent. Il a d’abord fal­lu mettre de côté les besoins de confort et d’intimité. À bord, on est sou­vent six ou sept équi­piers, par­fois sans poser un pied à terre pen­dant plu­sieurs jours. On entend tout le monde, tout le temps … il n’y a pas de douche par exemple. J'ai appris à revoir mes priorités. 

Je me suis aus­si confron­tée au sexisme qui règne dans ce milieu très mas­cu­lin. Ma mère m’avait un peu pré­ve­nue mais je ne la croyais pas com­plè­te­ment. Hélas, je me suis aper­çue très vite que les petits noms dégra­dants sont mon­naie cou­rante. Par exemple, pour les cré­tins qu’on ren­contre par­fois dans les ports, je ne suis que la « Captain’s pus­sy ». Il arrive aus­si que des mecs qui n’avaient, aupa­ra­vant, jamais mis les pieds sur un voi­lier, me prennent brus­que­ment les bouts et les outils des mains, pen­sant for­cé­ment mieux faire. Un gars m'a presque cas­sé le doigt une fois. 

Le machisme qui règne dans le milieu de la voile a donc ren­for­cé mon fémi­nisme. Et, si j’ai sou­vent rava­lé mes larmes et ma colère, j'ai aus­si décou­vert ce qu'est concrè­te­ment la soro­ri­té, et c'est magni­fique. On s'entraide énor­mé­ment entre voi­leuses. Je suis d'ailleurs tou­jours très heu­reuse de voir de plus en plus de filles reprendre des chan­tiers navals ou deve­nir mécano. 

À la ren­trée, je com­mence une for­ma­tion de méca­nique marine. Ça me per­met­tra de trou­ver du tra­vail faci­le­ment pour pou­voir ache­ter mon propre voi­lier. Je n’ai plus l’ambition de faire car­rière, seule­ment le rêve de pou­voir embar­quer mes copines sur mon bateau et de leur trans­mettre tout ce que j’ai appris. Mon copain veut faire le tour du monde l’année pro­chaine. Moi, je ne sais pas encore ce que je vais faire. Pour l'instant, je pré­fère me lais­ser por­ter par le cou­rant. Surtout, je me remer­cie chaque jour de m’être don­né cette liber­té. J’ai osé. Et je suis tel­le­ment contente de l’avoir fait."

Épisode 1 – Refaire sa vie en famille à plus de 5500 km

Épisode 2 – « J’ai envie de trans­mettre à ma fille que le bon­heur est un choix et qu’on a le droit de tout quit­ter pour être libre et heureuse »

Épisode 3 – Marie Gervais, ancienne vic­time de vio­lences conju­gales : « On peut construire une autre his­toire sur les cendres de la première »

Épisode 4 – « Je suis deve­nu celui qu'enfant j'avais tou­jours vou­lu être » : le comé­dien trans Amir Baylly nous raconte sa transition

Épisode 5 – Série « Nouveaux départs » – « Au début, la musique n'était qu'un hob­by » : com­ment la chan­teuse Silly Boy Blue a fait de sa pas­sion son métier

Épisode 6 – « Avant ce déclic, j’étais en couple avec la bou­teille et Sophie était la spec­ta­trice impuis­sante de cette relation »

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