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Paula Forteza © DR

Tabou des trois pre­miers mois de gros­sesse, fausse couche, injonc­tions contra­dic­toires sur l'allaitement : la dépu­tée Paula Forteza tire le bilan d'un man­dat enga­gé pour les femmes

Il était une loi 6/​6

En ces temps de cam­pagne pour les élec­tions légis­la­tives, Causette donne la parole à des député·es qui ont por­té des lois mar­quantes au cours du der­nier quin­quen­nat. Ce mer­cre­di, c’est au tour de la dépu­tée indé­pen­dante Paula Forteza, élue de la 2e cir­cons­crip­tion des Français·es de l'étranger (Amérique latine). 

Causette : Vous concluez votre man­dat non pas par une pro­po­si­tion de loi mais par une note publiée sur le site de la Fondation Jean Jaurès qui fait le point sur le rap­port de la socié­té à l'allaitement et émet des pro­po­si­tions pour ren­for­cer le libre-​arbitre des femmes en la matière. Pourquoi ?
Paula Forteza :
En tant que dépu­tée, mon expé­rience de femme m'a per­mis d'élaborer des pro­po­si­tions de loi, comme en mars, pour la créa­tion d'un congé en cas de fausse-​couche pour la mère comme son conjoint ou sa conjointe. Ce sont avec ces sujets socié­taux vécus per­son­nel­le­ment, dont j'ai tiré des pistes d'améliorations du droit exis­tant, que j'ai pu tou­cher le plus de citoyens, parce que cela leur parle aus­si. Sur des sujets comme le numé­rique ou la par­ti­ci­pa­tion citoyenne sur les­quels j'ai aus­si tra­vaillé, j'ai eu plus de mal à faire entendre mes pro­po­si­tions.
Donc le sujet de l'allaitement m'est venu car j'ai un enfant né il y a six mois. Tout le monde autour de moi avait des idées très claires sur ce qu’il fal­lait faire et m’a don­né beau­coup plus de conseils que ce que j’ai deman­dé. J’ai par­fois été mise mal à l’aise par les attentes sociales sur la ques­tion et prise dans des injonc­tions contra­dic­toires : soit on me conseillait d'allaiter parce que c’était soi disant le mieux pour le bébé, soit, à l’inverse, on me disait qu'il ne fal­lait pas parce que c’était alié­nant pour les femmes.
Dans ce tra­vail mené pour la Fondation Jaurès, je pré­co­nise de lais­ser faire les femmes leurs propres choix et d'aider à ce qu'ils soient for­mu­lés de la façon la plus éclai­rée pos­sible. Là se situe le rôle de la socié­té et des ser­vices publics : informer. 

Lire aus­si l Fausse-​couche : une pro­po­si­tion de loi pour créer un congé pour la femme et son ou sa conjoint·e

Votre note émet une série de recom­man­da­tions dont la pre­mière est la créa­tion d'un délit d'entrave à l'allaitement dans l'espace public, qui serait désor­mais puni de 1 500 euros. Pourquoi ?
P.F. :
Prenons la récente affaire du Louvre, où un agent du musée a deman­dé à une jeune femme d'allaiter dans les toi­lettes plu­tôt que dans la gale­rie. L'idée serait bien sûr de péna­li­ser l’institution plu­tôt que l’agent. Sans en arri­ver à des situa­tions qui prennent autant de pro­por­tions, en tant que femme allai­tante, on a droit dans la rue ou dans les bars à des petits com­men­taires ou des regards de répro­ba­tion. Créer ce délit per­met­trait un chan­ge­ment cultu­rel car c'est une façon d'affirmer un véri­table droit à l'allaitement dans l’espace public.

Quelles sont les autres recom­man­da­tions que vous for­mu­lez ?
P.F. :
D'une part, l'enjeu est d'aider les femmes qui font le choix de suivre les recom­man­da­tions de l'Organisation mon­diale de la san­té d’allaiter pen­dant les six pre­miers mois de vie du nouveau-​né à y par­ve­nir, en amé­na­geant le tra­vail et en sen­si­bi­li­sant les entre­prises en la matière, lorsqu'elles ont besoin de tirer leur lait, par exemple. D'autre part, il faut don­ner les moyens à celles qui ne sou­haitent pas allai­ter de pou­voir comp­ter sur le deuxième parent pour par­ta­ger la tâche de l'alimentation du nouveau-​né. Je pré­co­nise donc d'allonger le congé paren­tal du deuxième parent, afin que les femmes ne se retrouvent pas seules trop vite avec leur enfant.

"J'ai co-​présidé le pre­mier groupe par­le­men­taire majo­ri­tai­re­ment fémi­nin de l’histoire de la poli­tique fran­çaise, qui se reven­di­quait féministe."

Vous ne vous êtes pas repré­sen­tée aux légis­la­tives mais avez tenu à publier en ligne un bilan de votre man­dat de dépu­tée. Pourquoi ?
P.F. :
Depuis le début de mon man­dat, j'estime que rendre des comptes est une valeur car­di­nale pour jus­ti­fier de la mis­sion qui m’a été confiée et de la confiance qui m'a été accor­dée. L’idée est aus­si de docu­men­ter tout le tra­vail que mon équipe et moi avons pu faire afin de le sou­mettre au pro­chain légis­la­teur pour qu’il puisse s’appuyer des­sus et ne pas repar­tir de zéro – en ce sens, ce bilan ren­voie vers toutes les pro­po­si­tions de loi émises. Enfin, c'est l'occasion de mettre en avant l'expertise de la socié­té civile, témoins (notam­ment les femmes qui ont osé libé­rer leur parole autour du tabou des trois pre­miers mois de gros­sesse), asso­cia­tions comme cher­cheurs ou uni­ver­si­taires, que nous avions sol­li­ci­tés pour construire la loi.
Je n’ai pas été la seule à faire ce bilan : Albane Gaillot [la dépu­tée du Val-​de-​Marne a fait par­tie, avec Paula Forteza, du groupe Ecologie, démo­cra­tie et soli­da­ri­té, construit avec une ving­taines de député·es déçu·es de la majo­ri­té, ndlr] a publié il y a quelques jours une sorte de guide à l'adresse du pro­chain légis­la­teur sur les ques­tions de l'égalité femmes-​hommes. Rappelons qu'elle a dû dédier l'entièreté de son man­dat à l'allongement du délai d'IVG [voté en février, il passe de 12 à 14 semaines, ndlr]. C'est un sujet qui sem­blait très anec­do­tique et on a vu à quel point il a fal­lu qu'Albane Gaillot s'accroche pour le faire pas­ser, contre l'avis du gouvernement.

Pourquoi avoir quit­té LREM en 2020 ?
P.F. :
J’ai été déçue assez vite par la tour­nure prise par le quin­quen­nat et notam­ment sur les ques­tions d’égalité. L’Assemblée natio­nale avait été très fémi­ni­sée avec l’arrivée de nom­breuses dépu­tées LREM en 2017 mais les mois pas­sant, on a retrou­vé une espèce de pla­fond de verre dans les postes à res­pon­sa­bi­li­té ou plus poli­tiques au sein du par­ti. On a été plu­sieurs femmes à être déçues et avec Matthieu Orphelin, nous avons déci­dé de lan­cer le groupe par­le­men­taire Ecologie, Démocratie, Solidarité (EDS), dont j'ai été vice-​présidente. Ça a été le pre­mier groupe par­le­men­taire majo­ri­tai­re­ment fémi­nin de l’histoire de la poli­tique fran­çaise. On a mis en place une charte pour l’égalité femmes-​hommes, on for­mait aux vio­lences sexistes et sexuelles, on fai­sait atten­tion aux biais de genre, qui font que les com­mis­sions culture ont ten­dance à être dévo­lues aux femmes tan­dis que les hommes récu­pèrent les com­mis­sion éco­no­mie. En fait, on se défi­nis­sait comme un groupe par­le­men­taire féministe.

"L'allongement du délai d'IVG, il a fal­lu le mettre au pro­gramme de notre niche par­le­men­taire pour le faire pass­ser. Il y a donc le sen­ti­ment d'un tra­vail col­lec­tif de sou­tien au com­bat d'Albane Gaillot."

Quand est-​ce que vous vous êtes sen­tie la plus utile, en tant que dépu­tée ?
P.F. :
Il y a dif­fé­rents types d’actions par­le­men­taires où on peut se sen­tir utile. En tant que rap­por­teure sur le pro­jet de loi RGPD [Règlement géné­ral de la pro­tec­tion des don­nées, ndlr], j’avais la plume : j’ai écrit la loi et fait pas­ser des amen­de­ments avec le sou­tien du groupe, donc je me suis sen­tie utile dans ce cadre-​là. Ensuite, quand je copré­si­dais le groupe EDS, on était dans un cadre d'opposition, donc on a fait le choix de se concen­trer sur des sujets plus socié­taux que le gou­ver­ne­ment ne vou­lait pas por­ter. Nous avons reçu à cette occa­sion beau­coup de sou­tien de la part de la socié­té civile et même de la presse, qui a relayé notre com­bat sur l’IVG. C'est en le met­tant au pro­gramme de notre niche par­le­men­taire qu'on a pu le pla­cer à l'agenda de l'Assemblée, il y a donc le sen­ti­ment d'un tra­vail col­lec­tif de sou­tien au com­bat d'Albane Gaillot.

A l'inverse, qu’est-ce qui a été le plus dur ?
P.F. :
Quand on mène un tra­vail de fond et rigou­reux sur un sujet en y dédiant de nom­breuses heures, par exemple, quand avec mon équipe, on a pro­po­sé la mise en place d'un bud­get sen­sible au genre en nous appuyant sur les pays pion­niers en la matière, on est for­cé­ment déçu de l'absence de répon­dant du gou­ver­ne­ment. On défend nos amen­de­ments, et ils sont balayés par la majo­ri­té par­le­men­taire parce que le pré­sident ne veut pas s'y inté­res­ser, c'est cruel.

Vous avez aus­si tra­vaillé sur des sujets aus­si tech­niques que le déve­lop­pe­ment de l’informatique quan­tique. Comment fait-​on, quand on n'est ni infor­ma­ti­cienne ni phy­si­cienne de métier ?
P.F. :
Avant d'être dépu­tée, j'avais beau­coup tra­vaillé sur le numé­rique et côtoyé déve­lop­peurs et datas­cien­ti­fiques qui m'ont per­mis d'être fami­lière à cer­tains concepts. Mais c’est vrai que sur ce sujet, j'ai reçu une immense aide des experts scien­ti­fiques, comme du dépu­té Cédric Villani, qui m'a éclairée.

"La charge d’élu, femme comme homme, n'est pas adap­tée au fait d'avoir des enfants, ne serait-​ce qu'en rai­son des ses­sions par­le­men­taires nocturnes."

Vous avez eu un enfant durant votre man­dat. Est-​ce que l’Assemblée est adap­tée à l'arrivée d'un enfant ?
P.F. :
Il y a des choses qui vont dans le bon sens, par exemple, l'existence d'une gar­de­rie au sein des locaux. Mais la charge d’élu, femme comme homme, n'est pas tel­le­ment adap­tée au fait d'avoir des enfants, ne serait-​ce qu'en rai­son des ses­sions par­le­men­taires noc­turnes, par exemple. Par ailleurs, comme ma cir­cons­crip­tion couvre pas moins de 33 pays d’Amérique latine, beau­coup de dépla­ce­ments ont été dif­fi­ciles à faire coïn­ci­der avec ce nou­veau rôle de mère. Evidemment, les élues par­viennent à s'adapter mais ce ne sont pas des condi­tions idéales.
On devrait pou­voir amé­lio­rer les choses en terme de charge de tra­vail ou d’organisation, sur le modèle du Parlement euro­péen, qui orga­nise son fonc­tion­ne­ment autour d'une semaine en com­mis­sion sui­vie d'une semaine en séance publique, elle-​même sui­vie d'une semaine en circonscription. 

Vous avez fait le choix de ne pas vous repré­sen­ter. Pourquoi ?
P.F. :
Depuis le début de mon man­dat, mon idée est que la poli­tique n’est pas un métier, parce qu'on finit par déve­lop­per de mau­vais réflexes et que cela peut deve­nir mal­sain. Cette fonc­tion est faite pour être occu­pée par plu­sieurs per­sonnes pour être renou­ve­lée. Je me suis tou­jours dit que je ferais un, maxi­mum deux man­dats.
Finalement, j’arrête là parce que j’ai beau­coup don­né. Peut-​être qu’on ne s'en rend pas compte de l’extérieur mais c’est très exi­geant et épui­sant. Mon col­lègue Matthieu Orphelin a d’ailleurs osé révé­ler son burn out.

A quoi va res­sem­bler votre vie d'après ?
P.F. :
J'aimerais me consa­crer à l'écriture et au des­sin pour ser­vir des mobi­li­sa­tions de la socié­té civile, en tra­vaillant avec des asso­cia­tions ou des fondations. 

Lire aus­si l « Il y a eu un ali­gne­ment des pla­nètes » : la dépu­tée Isabelle Santiago revient sur le vote de sa loi ins­tau­rant un seuil de non-consentement

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