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Fresque participative du festival © Camille Pineau

« On s’organise hors des cadres » : le fes­ti­val d’Angoudou construit la révo­lu­tion du neu­vième art

Le fes­ti­val d’Angoudou, créé en réac­tion au Festival d'Angoulême, s’est tenu ce dimanche à Paris. L'occasion de pro­tes­ter contre l’affaire Bastien Vivès et l’univers patriar­cal de la bande dessinée. 

« On éta­blit un rap­port de force, on gagne en pou­voir ». Un contre-​festival au Festival inter­na­tio­nal de la bande des­si­née d’Angoulême (Fibd) a été orga­ni­sé ce dimanche 19 février à Paris dans le centre cultu­rel du Hasard Ludique (Paris XVIIIème). Le fes­ti­val d’Angoudou tient son nom d'une contrac­tion d'« Angoulême » et « gou­dou », manière de se réap­pro­prier le stig­mate de l'insulte les­bo­phobe, alors qu'une grande majo­ri­té des organisateur·rices sont des per­sonnes les­biennes, nous pré­ci­sait une cer­taine Ludine. 

Angoudou a été mon­té « en trois semaines », sur « un coup de tête » en réac­tion au choix fait par l'institution Angoulême de consa­crer une expo­si­tion à l'oeuvre de Bastien Vivès, dont cer­tains des­sins sont aujourd'hui sous le coup d'une enquête judi­caire pour pédo­por­no­gra­phie. Son but : réflé­chir à un uni­vers plus « inclu­sif », appor­ter des réponses à « des pro­blé­ma­tiques de VSS [Violences sexistes et sexuelles, ndlr] » et « pro­mou­voir une contre-​culture » de la bande des­si­née, selon les organisateur·rices. Il s’inscrit dans la mon­tée des mou­ve­ments reven­di­ca­tifs du neu­vième art tels que le #MeTooBD.

« Est-​ce que vous sou­hai­tez une pas­tille pour indi­quer que vous ne vou­lez pas être pris·e en pho­to ? » Situé·e à l’entrée, der­rière un petit stand, Ottilie, un·e des organisateur·rices, se charge d'accueillir les festivalier·ères venu·es en nombre ce dimanche après-​midi. « On compte plus de 300 per­sonnes, on ne pen­sait pas qu’il y aurait autant de monde » confie-​t-​iel à Causette. Le suc­cès de cette pre­mière édi­tion tient à la pro­messe de répondre aux pro­blé­ma­tiques de genre pré­sentes dans le neu­vième art. L'idée est en effet de pro­mou­voir une autre façon de faire de la bande des­si­née, hors des cadres mas­cu­lins et blancs domi­nants, bien que Ludine, bédéaste et orga­ni­sa­trice note que « même sur le fes­ti­val, le milieu reste très très blanc ». 

Jordan, 24 ans, explique à Causette avoir « enten­du par­ler de cet évé­ne­ment par une amie ». Pour lui, « le fémi­nisme et la pen­sée queer [qui va à l'encontre des sys­tèmes domi­nants en termes d'identité de genre et sexuelle] sont des sujets qui [lui] parlent. Je me suis bala­dé, j’ai ren­con­tré les bédéastes et j’attends le Dj set à 20h. » Comme pour Jordan et beau­coup d’autres festivalier·ères, c’est par le bouche-​à-​oreille que Zoé, mili­tante queer pari­sienne de 23 ans, a enten­du par­ler de l'événement. « C’est un lieu très ins­pi­rant pour moi. » Elle raconte être « prin­ci­pa­le­ment venue pour les illustrateur·rices, dont certain·es qu'[elle] suit sur Instragram »

À lire aus­si I À Angoulême, l'ombre de « l'affaire Vivès » a pla­né sur le FIBD

C'est le long d'un che­min de fer, dans la conti­nui­té du bar, qu'une dizaine de stands d'illustrateur·rices et bédéastes étaient installé·es pour expo­ser leurs œuvres. Un endroit d’échange pour les festivalier·ères venu·es ren­con­trer leurs artistes. Zoé en a pro­fi­té pour se ren­sei­gner sur les tech­niques de des­sin : « Quel type de crayons as-​tu uti­li­sé pour cette illus­tra­tion ? », a‑t-​elle deman­dé à la per­sonne pré­sente sur le stand de Justine Thevenin ins­tal­lée au stand numé­ro sept. Mais entre les dédi­caces et ventes, c’était sur­tout l’occasion d’échanger sur les enga­ge­ments des artistes. Pour Léa B, membre du col­lec­tif Artemisiae (une com­mu­nau­té de femmes dévouées à l'art), et ani­ma­trice d’un stand sur le fes­ti­val, « c’était impor­tant d’être là pour pro­mou­voir les femmes », confie-​t-​elle à Causette, avant de conti­nuer : « C’est un évé­ne­ment fémi­niste qui colle com­plè­te­ment à nos valeurs. » 

Une table ronde pour ouvrir le débat 
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Table Ronde © Camille Pineau 

Deux heures après l’ouverture des portes d'Angoudou, dans la salle de concert du Hasard Ludique, en face du bar, s’est ouverte une table ronde inti­tu­lée « BD, fémi­nisme, quel après Angoulême ? ». Un évé­ne­ment qui fait direc­te­ment écho à celle orga­ni­sée par l'hebdomadaire Le Point au fes­ti­val d’Angoulême en jan­vier der­nier. Mais ici, autre ambiance : plus de confu­sion entre pédo­por­no­gra­phie et liber­té d'expressions, mais cinq bédéastes : Emma_​clit (Emma), Erell, Tamos_​le_​thermos, Lucielgt (Lucie) et Ludynamite (Ludine). Iels sont présent·es pour pro­mou­voir la bande des­si­née queer et fémi­niste. Installée à leurs côtés sur la scène sous les cou­leurs tami­sées des lumières rouges et oranges, Ludine, la modé­ra­trice, explique au public pré­sent en nombre que les artistes vont essayer d'« avoir des posi­tion­ne­ments sur ce qui se passe dans la bande des­si­née et d’y appor­ter des solu­tions ».

C'est la bédéaste Emma, dont la prise de parole était atten­due qui s'exprime en pre­mier. Cette artiste, qui publie ses planches de bande des­si­née sur ses réseaux sociaux, s'est notam­ment fait connaître pour sa BD Fallait deman­der, dans laquelle elle vul­ga­rise le concept de « charge men­tale ». Revenant sur les menaces pro­fé­rées en 2017 par Bastien Vivès via un post Twitter dans lequel il trai­tait Emma « d'abrutie mon­go­lienne » et par­lait de « ses gosses » (l'artiste a un fils) en émet­tant des menaces de viol, Emma témoigne : « J'ai décou­vert, via des posts anti-​vives, qui était cet homme et les menaces qu'il avait énon­cées, c'était la pre­mière fois que j'étais visée par des menaces de viol, j'ai déci­dé de por­ter plainte. » Une pre­mière prise de parole lar­ge­ment applau­die par les festivalier·ères, lais­sant res­sen­tir l'engouement pour l'événement.

Zoé, nichée au fond de la salle, livre son impres­sion à Causette : « Ça a per­mis d’avoir le res­sen­ti des artistes sans avoir besoin d’aller par­ler direc­te­ment avec elles et eux, et de remettre en contexte l’affaire Bastien Vivès pour celles et ceux qui ne la connais­saient pas. »

Dénoncer un uni­vers patriar­cal et capitaliste 
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Emma, Lucie et Tamos en dédi­cace © Camille Pineau 

Alors que depuis le FIBD, le neu­vième art est dénon­cé comme un uni­vers patriar­cal et sexiste, ce fes­ti­val avait pour voca­tion de per­mettre aux artistes de dévoi­ler leur expé­rience per­son­nelle. Trois-​quarts d’heure après le début de la table ronde, Tamos (artiste non-​binaire) s’est livré·e à une petite anec­dote qui a sus­ci­té le rire (iro­nique sûre­ment) de la foule. « Je ven­dais l’histoire d’un che­va­lier non-​binaire à un édi­teur qui m’a deman­dé à quel public je m’adressais. Je lui réponds : ado­les­cents, jeunes adultes et il me dit : "Non mais, c’est pour les filles ou les gar­çons ?" » Pour rap­pel, être non-​binaire est le fait de ne pas se recon­naître comme une femme ou comme un homme. Un manque donc de com­pré­hen­sion des iden­ti­tés queer res­sen­ti par tous·tes les artistes présent·es à la table ronde. Lucie, bédéaste et socio­logue, confie avoir « le sen­ti­ment amer que [sa] place [dans l'univers de la bande des­si­née] n’est tou­jours pas acquise ». Pour Erell, scé­na­riste, le pro­blème, c’est qu’« on [la] genre tout le temps au mas­cu­lin ». Elle pour­suit en racon­tant que « les gens pensent sys­té­ma­tique que le ou la scé­na­riste est un homme et que le des­si­na­teur ou la des­si­na­trice est une femme. »

Tous·tes les artistes présent·es sur ce fes­ti­val ont expli­qué que le sen­ti­ment de non-​légitimité était dû à un uni­vers domi­né par un mar­ke­ting excluant les artistes fémi­nistes et queer. Quand les mai­sons d’édition viennent les recru­ter, Emma explique que c’est « la branche de déve­lop­pe­ment per­son­nel de la mai­son qui contacte les artistes : ça en dit long sur leur enga­ge­ment fémi­niste » affirme-​t-​elle ironiquement. 

Un rejet des ins­ti­tu­tions traditionnelles 

Si ce fes­ti­val est l’expression d’une « contre-​culture » comme l’a confié Emma à Causette, c’est parce qu’il vise à reje­ter les ins­ti­tu­tions comme le FIBD. « J’ai l’impression que le fes­ti­val d’Angoulême est une ins­ti­tu­tion énorme tenue par des mas­cu­li­nistes », dénonce éga­le­ment avec colère Lucie à la table ronde, avant de pour­suivre en reven­di­quant qu’elle « en [a] un peu rien à faire de ce qu’ils font ». De son côté, Emma explique qu’ « il y a trop d’agressivité envers [elle] de la part du milieu ins­ti­tu­tion­nel de la bande des­si­née et [elle ne se] sent pas à [sa] place ». Pour elle, « le patriar­cat ambiant et les enjeux capi­ta­listes du fes­ti­val font qu’on ne s’y sent pas bien ». Bien que Tamos pro­fite du rendez-​vous annuel d’Angoulême pour pro­mou­voir son art, son avis reste tran­ché sur cette ins­ti­tu­tion qui incarne l’univers mas­cu­lin blanc de la bande des­si­née : « On n’a pas besoin de ce fes­ti­val de merde », assure-​t-​iel, avec un soup­çon d'incohérence.

Promouvoir la culture queer et féministe 

Au-​delà de dénon­cer le carac­tère capi­ta­liste et sexiste de l’univers du neu­vième art, Angoudou était l’occasion « de mon­trer qu’il y a une volon­té de s’organiser hors des cadres de ce qui a été éta­bli », explique Lucie. Pour les artistes, « c’était impor­tant de don­ner de la confiance aux per­sonnes, et de leur mon­trer qu’elles ne sont pas obli­gées de se sou­mettre au monde de l’art tel qu’il est aujourd’hui. » 

Une réus­site donc, puisque d’après Léa B, expo­sante au fes­ti­val, « en tant que per­sonne queer et gen­der­fluid, [iel] se sen­tait en sécu­ri­té, écouté·e et apte à par­ta­ger et pro­mou­voir l’art ». L’artiste Lucie espère quant à elle que « ce genre d’événement va pou­voir se péren­ni­ser ». Une volon­té qui semble avoir été enten­due de tous·tes les festivalier·ères puisqu’iels ont été nombreux·ses à deman­der aux organisateur·rices une deuxième édi­tion, pour le plus grand bon­heur de Ludine qui n’aurait « jamais ima­gi­né que ça pren­drait cette ampleur ».

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