Charge men­tale : fal­lait donc vous faire un dessin 

Un raz de marée ! La planche de BD d’Emma sur la « charge men­tale » a été par­ta­gée plus de 213 000 fois sur Facebook. Et a sus­ci­té des tonnes de débats enflam­més. Beaucoup se sont senti-​e‑s moins seul-​e‑s et soulagé-​e‑s de pou­voir mettre des mots sur un sen­ti­ment dif­fus. Nous avons ren­con­tré Emma pour par­ler des suites de cette incroyable affaire. Et, on ne se refait pas, elle a eu envie de nous faire un des­sin. En exclu­si­vi­té mon­diale, voi­ci donc deux inédits de la des­si­na­trice, rien que pour Causette !

Charge mentale 005 CMJN
© Emma pour Causette 

On la ren­contre en ter­rasse, en proche ban­lieue pari­sienne dans une sorte de PMU amé­lio­ré. Elle est plu­tôt du genre tatouée, réser­vée et ins­pi­rée. Pendant une heure, on refait le monde, on parle de fémi­nisme, de révo­lu­tion poli­tique, ou encore d’empathie. Voilà Emma, 36 ans, ingé­nieure en infor­ma­tique le jour et blo­gueuse « le mer­cre­di matin, car je tra­vaille au 4/​5e », à l’origine d’une planche de BD sur la « charge men­tale » publiée sur sa page Facebook en mai et sus­ci­tant depuis une ava­lanche de dis­cus­sions, de coups de gueule, de réflexions. Elle y explique en quelques traits de crayon effi­caces la manière dont les femmes font non seule­ment la grande majo­ri­té des tâches ­ména­gères – ça, c’est du fac­tuel, prou­vé étude après étude –, mais aus­si qu’elles dépensent en plus une éner­gie men­tale folle à pla­ni­fier le quotidien. 

Lire aus­si : La charge (monu)mentale de Noël

Charge mentale 006 CMJN 1
© Emma pour Causette

« Fallait me deman­der », ont ten­dance à répondre les conjoints. Comme s’il y avait, en gros, une cheffe de pro­jet des affaires domes­tiques et un exé­cu­tant. Schéma cari­ca­tu­ral, mais tris­te­ment ­clas­sique. Emma le décrit si bien, en ­pas­sant de l’anecdote à l’éclairage théo­rique sim­pli­fié (« Ces com­por­te­ments n’ont rien de bio­lo­gique ou d’inné », « On naît dans une socié­té où on va nous mettre très tôt des petits aspi­ra­teurs dans les mains », lit-​on dans ses des­sins), que la BD s’est trans­for­mée en arme de com­mu­ni­ca­tion mas­sive pour de nom­breux couples. Forcément, on a eu envie d’en par­ler avec elle. Et de réflé­chir à la suite : main­te­nant, on fait quoi ? « Des trucs cool sont déjà nés, par exemple une péti­tion lan­cée par un homme pour l’allongement du congé pater­ni­té. Elle est signée essen­tiel­le­ment par des femmes, ceci dit, remarque-​t-​elle. Je reçois des réac­tions éton­nantes, des hommes arguant que leur com­pagne “ne les laisse pas faire” comme si, en gros, c’était encore la faute des femmes. Mais je suis aus­si sur­prise par le nombre de mecs qui me remer­cient, qui réa­lisent – et me le disent – à quel point les tâches sont mal répar­ties, ou me demandent com­ment s’améliorer. » 

“La relou de service”

Emma se sent sous pres­sion. Si ses planches ren­con­traient déjà un cer­tain suc­cès sur le Web (des des­sins par­lant autant d’épisiotomies à outrance que de vio­lences poli­cières, en mêlant tou­jours la petite his­toire au décryp­tage), la voi­là sui­vie par un public plus large et moins enga­gé ­qu’auparavant. « Je vou­drais que cette com­mu­nau­té se poli­tise. Je ne veux sur­tout pas paraître condes­cen­dante en don­nant l’impression que j’explique la vie. Le but n’est pas non plus que les gens se disent qu’on vit dans un monde de merde et qu’on ne peut rien y faire. On s’est trou­vé des reven­di­ca­tions en com­mun, main­te­nant trou­vons des solu­tions », s’enthousiasme-t-elle. Emma réflé­chit, en fait, depuis des années au meilleur moyen de sus­ci­ter une prise de conscience et d’engager le dia­logue sur­tout sur des ques­tions fémi­nistes, de la mécon­naisse du cli­to­ris aux condi­tion­ne­ments mas­cu­lins. « Avant, j’étais la relou de ser­vice en soi­rée. On pou­vait plus prendre une bière sans que je récu­père le moindre truc que tu allais dire pour lan­cer un débat poli­tique. Bref, c’était épui­sant pour tout le monde. Du coup, je suis pas­sée aux “fiches didac­tiques” : je réa­li­sais des tracts sur des concepts fémi­nistes, rem­plis de petits ­sché­mas, que j’allais dis­tri­buer aux aurores à l’entrée du métro ! ça mar­chait bof… Jusqu’au jour où j’y ai mis un des­sin pour racon­ter le har­cè­le­ment de rue, que j’ai aus­si publié en ligne. Là, je tenais quelque chose, les gens ont réagi. » Pari réus­si. 

Et main­te­nant … la décharge mentale ! 

“ Chéri‑e, je craque, bordel ! ”

Vous en aviez gros sur la patate, dites donc ! La BD d’Emma a per­mis à des dizaines d’entre vous, répon­dant à notre appel à témoi­gnages, de mettre des mots sur un sché­ma de couple pro­blé­ma­tique ou car­ré­ment délé­tère. Depuis, vous videz votre sac, vous vous engueu­lez, vous dia­lo­guez, vous pre­nez des réso­lu­tions… Est-​ce la révolution ? 

Étape n° 1 : le grand déballage

Pour Loïc, ce fut car­ré­ment une révé­la­tion : « Je pen­sais être un mari modèle, celui qui assure le plus dans le couple. Cette BD a com­plè­te­ment démo­li cette image. En fait, je ne fais que ce que Rozenn me met au plan­ning : les repas que je pré­pare, c’est avec les courses qu’elle a com­man­dées au drive, les tour­nées de linge sont celles qu’elle a pré­pa­rées, la mai­son dans laquelle je gère les enfants est payée en grande par­tie par son tra­vail et, acces­soi­re­ment, elle règle les fac­tures en temps et en heure. […] Il est très rare qu’une lec­ture pro­voque un véri­table conflit socio­cog­ni­tif, je ne sais pas si le terme est exact, mais ça y res­semble vache­ment ! » 

Hétéro ou gay, même com­bat, ren­ché­rit Julien. « Je me suis retrou­vé, de manière assez dérou­tante, dans la BD d’Emma. Je m’interroge depuis sur la repro­duc­tion de ces rôles au sein d’un couple homo­sexuel (en tout cas dans le mien). Vider la machine à laver, tenir la liste des ali­ments à ache­ter, pla­ni­fier les congés, prendre rendez-​vous chez le véto (à défaut de gérer ceux chez le pédiatre, au moins pour l’instant) : j’ai l’impression que l’ensemble de ces tâches m’incombe. Éric est de très bonne volon­té quand la tâche lui est confiée, mais n’est jamais (ou très très rare­ment) à l’initiative ! » 

Étape n° 2 : le dia­logue
ou la prise de bec 

« Mais pas du tout, c’est n’importe quoi ! Je me sens aus­si res­pon­sable que toi des cor­vées ! » Voilà com­ment Charlotte raconte la ­réac­tion de son conjoint. Après la « phase de déni » est venue « la phase de deuil » dudit conjoint, nous dit-​elle : « Mais, quand même, je fais des trucs ! […] Et puis, peut-​être qu’on n’a pas les mêmes ­prio­ri­tés, aus­si… » 

Ensuite, sa « dépres­sion » : « Ouais, bon, j’suis nul comme mec en fait, c’est ça ? » Et puis, péni­ble­ment, ils arrivent à « faire un pas l’un vers l’autre ». La pro­po­si­tion de Charlotte à son binôme : « Je veux bien lais­ser le linge sécher, sur­sé­cher et sur­sur­sé­cher ­pen­dant cinq jours, his­toire que tu sois bien sûr qu’il soit sec avant de prendre l’initiative de le ramas­ser. De ton côté, tu peux, peut-​être, m’envoyer un tex­to quand je suis ultra à la bourre le mar­di soir en me disant : “T’inquiète, je m’occupe d’aller cher­cher le panier de légumes.” »

Étape n° 3 : la ten­ta­tive de réforme

« Chez moi, on s’en remet à peine !, témoigne Céline. Il y a donc eu des cris et des pleurs, car je n’ai pas man­qué la moindre occa­sion de faire réfé­rence à ce qu’explique Emma. Hier, je suis ren­trée après lui et avais lais­sé bien en vue de quoi pré­pa­rer le dîner. Avant, il aurait fait comme si de rien n’était, mais hier, il a com­men­cé à pré­pa­rer notre repas, ce qui est une avan­cée majeure ! Visiblement, ses col­lègues ont lu la BD aus­si, car ils en avaient dis­cu­té pen­dant la pause déjeu­ner et le pro­blème est bel et bien uni­ver­sel ! On a déci­dé que, le jour où on aurait des enfants, on veille­rait à ce qu’ils ou elles n’aient pas de com­por­te­ment “mas­cu­lin” ou “fémi­nin” (sur­tout pas mas­cu­lin, en fait !) face aux dif­fé­rentes tâches ména­gères, ce qui est une bonne réso­lu­tion com­mune et que nous réus­si­rons à mettre en œuvre, j’espère. »

Pour Sonia et Francesca, une seule solu­tion, lâcher prise : « Nous sommes deux femmes, ensemble depuis huit ans. Il y a quelques années, l’une d’entre nous s’était retrou­vée coin­cée dans le rôle de la mère de famille. Comme quoi, cela n’arrive pas qu’entre homme et femme ! Cela ne venait pas de la mau­vaise volon­té ou paresse de l’une, mais plu­tôt de la dif­fi­cul­té à délé­guer et à faire confiance à l’autre. Ce qui nous a per­mis de recons­truire notre quo­ti­dien de manière plus équi­li­brée, c’est d’avoir accep­té qu’on n’a pas for­cé­ment les mêmes rythmes et exi­gences, que l’autre peut apprendre à (mieux) faire seule­ment si on le laisse faire. »

Étape n° 4 : aller plus loin !

« Je me suis ren­du compte que ça s’appliquait aus­si au milieu pro­fes­sion­nel, dit Laure. Toute la vie de mon labo­ra­toire, hors contexte scien­ti­fique, repose sur les épaules des femmes. Ce sont elles qui finissent par cra­quer devant la vais­selle qui s’accumule. Ce sont elles qui mettent en place les col­lectes pour les cadeaux de nais­sance, les cadeaux de sou­te­nance, etc. Il est de tra­di­tion que cha­cun apporte quelque chose à par­ta­ger le jour de son anni­ver­saire, mais j’ai remar­qué que les femmes avaient ten­dance à le faire plus sou­vent, juste pour faire plai­sir et créer un moment de convivialité. 

En conclu­sion, je trouve ça dom­mage de limi­ter ce concept au seul couple, parce que, en fait, cette charge ­men­tale existe éga­le­ment en dehors du foyer, avec les mêmes ­moda­li­tés et les mêmes conséquences. » 

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.