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© Waldemar / Unsplash

La charge (monu)mentale de Noël

À l’approche des fêtes de fin d’année, la question de la charge mentale devient omniprésente dans la tête de nombreuses femmes, qui doivent gérer des repas, des cadeaux, des vacances et préserver pour leur entourage la féérie de Noël, événement qui n’a plus rien de magique pour elles-mêmes.

« J’essaie d’anticiper, souvent dès septembre, les invitations à donner, à recevoir… et ne parviens finalement jamais à éviter les rancœurs et frustrations des uns et des autres, déplore Karine, mère de trois enfants. Il va de soi que je tente de gérer la problématique du côté de ma propre famille, mais aussi de celle de mon conjoint… qui préfère ne pas trop se mouiller ! » Pour beaucoup d’entre nous, les 24 et 25 décembre sont des casse-têtes organisationnels plusieurs semaines à l’avance et gâchent la vie de nombreuses femmes, mères de famille ou non, qui prennent en « charge » les préoccupations non seulement de leur foyer, mais aussi de leur entourage, pas uniquement proche. 

De cadeaux à corvées, il n’y a qu’un pas. Lorsque Causette a lancé un appel à témoignages sur le sujet de la charge mentale, de nombreuses femmes sont venues vider leur hotte de mère Noël, certaines expliquant que la thématique « ne leur aura jamais autant parlé ». « C’est moi qui rappelle à mon cher et tendre que, oui, on offre un cadeau à son filleul et c’est encore moi qui fais un petit tableau Excel pour savoir ce qu’on a acheté et à qui, combien ça coûte, etc. C’est moi, toujours, qui prends les initiatives de cadeaux, surtout quand je vois la date fatidique approcher », témoigne Carole, qui, pourtant, estime son couple égalitaire le reste de l’année. Quant à Kassandre, bien trop féministe au goût de sa belle-famille, elle doit rappeler tous les ans à son compagnon de s’organiser avec son ex-femme pour la garde des enfants à Noël. « Et surtout prévenir sa mère ou son père, s’il faut compter les enfants à table ou non ! » 

Fanny est membre du collectif "T’as pensé à", un regroupement de femmes qui dénoncent sur les réseaux sociaux les turpitudes de la charge mentale dans nos foyers. Interviewée par Causette, elle pointe du doigt le fait que de nombreuses femmes n’ont pas encore conscience de la charge mentale qui leur incombe, ni du concept lui-même. « Pour ma part, et suite à une séparation, j’ai réalisé à quel point je faisais passer mes besoins toujours après ceux de mon ex-compagnon. Notamment au moment de Noël ! »

Les échéances de fin d’année cristallisent en effet les tensions dans de nombreux foyers, et au sein du couple en particulier. Coline Charpentier, fondatrice du collectif "T’as pensé à" parle de « points chauds » concernant les fêtes de famille et les vacances, deux sujets cumulés au moment de Noël. À la charge mentale s’ajoute la charge émotionnelle, car il faut gérer la course aux cadeaux, préserver le mythe du père Noël pour les enfants, préparer un repas qui conviennent aux « grands », et faire de ce moment de réunion familiale un souvenir inoubliable. « Nous avons discuté avec le collectif de ce que j’appelle “l’obligation du souvenir”, comme un héritage laissé aux enfants, car en tant que parent, et spécifiquement mère, on veut leur transmettre des choses positives, leur offrir une enfance dont ils se souviendront en marquant le coup au moment des vacances et des fêtes, nous explique Coline. L’entourage a des attentes ! Et pour satisfaire Papi avec le menu, le petit-neveu avec son jouet, cela implique de l’anticipation et, surtout, un stress latent pour que tout le monde soit bien à un moment censé être festif. Se soucier avant tout du bien-être de son entourage, c’est ça la charge émotionnelle et elle est surtout dévolue aux femmes. » 

Lire aussi : Charge mentale : fallait donc vous faire un dessin 

Lily n’a jamais fait de sapin jusque-là, par conscience écologique, mais aussi par praticité et manque de temps. « Cette année, c’est différent. Mon fils a 9 mois, il commence à crapahuter partout, mais j’ai tout de même fabriqué un sapin en carton réutilisable, pour créer un environnement festif et rassurant pour lui, au risque qu’il fasse tout tomber en s’y accrochant ! » plaisante la jeune femme, qui avait sollicité son mari pour préparer le sapin ensemble. « Il n’y a vu aucun intérêt, estimant que notre fils était trop petit pour comprendre. Donc je m’en suis occupée seule… enfin, tout en surveillant le petit et en assurant mon télétravail. »

Ces préparatifs devraient être de l’ordre du plaisir, mais en réalité, ils génèrent beaucoup de stress et sont sources de culpabilité, notamment pour Karine : « Voilà plusieurs fois que je suggère à mon mari de partir en voyage pendant les fêtes de Noël : ne pas avoir à gérer les invitations, les repas, les cadeaux, les susceptibilités de chacunMais il me rétorque toujours le même refrain : “Je comprends bien, maistu ne peux pas faire ça aux enfants !” » De la même manière, gare à celles qui se soustraient à la charge émotionnelle d’alimenter le mythe du père Noël auprès de leurs enfants. « Mon conjoint, qui vient d’une famille très traditionnelle, me le reproche tous les ans, c’est systématique, raconte Catherine. Et je ne vous parle pas de ma charmante belle-mère qui tente coûte que coûte de raviver le mythe auprès de notre petit dernier, qui a 2 ans. » De fait, Catherine a le sentiment de passer pour la « mère indigne » aux yeux de sa belle-famille. Rien que ça. Cette année, au moins, les grands-parents étant trop éloignés géographiquement, et par souci de respecter les directives gouvernementales, il n’y aura pas de réunion de famille élargie chez Catherine, qui reconnaît en être soulagée.

Certaines arrivent toutefois à rompre les habitudes et à réinventer les festivités, comme par exemple Lolotte, qui, pendant de nombreuses années, mariée à un musicien à l’emploi du temps chargé, s’est accommodée comme elle pouvait. « Comme mon mari était d’astreinte pour les traditionnels concerts de Noël, j’ai dû faire une croix sur Noël le 24 et m’adapter. On faisait donc “notre Noël” à une date non conventionnelle : un “pique-nuit”, au pied du sapin avec le plat préféré de chacun… que j’achetais tout fait chez le traiteur ou surgelé, sans pression ! » Séparée il y a quelques années, Lolotte vit désormais Noël avec encore plus de décomplexion : « Une année, je me suis réservé une place au théâtre et après la représentation, je suis rentrée chez moi en métro, marchant dans les rues désertées… Et je me suis gavée de chocolat devant la télé ! » Depuis, le premier cadeau qu’elle choisit, c’est le sien « car je le mérite », dit-elle, allant tout à fait dans le sens de Coline Charpentier, qui invite les femmes à penser à elles : « Il faut que chacun – adultes et enfants – exprime ses attentes afin que les femmes n’aient pas à anticiper les desiderata des uns et des autres et s’épargner la charge mentale et émotionnelle de Noël. » Lolotte, non sans humour, se lance quant à elle dans le livre de Robert Benchley, Pourquoi je déteste Noël, et recommande déjà sa saine lecture.

Lire aussi I Charge mentale : les Mères Noël en ont plein la hotte


Petite histoire de la charge mentale

Si elle a toujours existé, c’est à la sociologue française Monique Haicault qu’on doit les premiers travaux sur son concept, dans les années 1980. La chercheuse a démontré à travers une série d’enquêtes que la part de travail domestique la moins visible concerne l’organisation et la gestion du foyer, et incombe quasiment exclusivement aux femmes.
En 1990, l’expression de « charge mentale » est employée et définie pour la première fois par Danièle Kergoat, spécialiste de la division sexuelle du travail, en évoquant le cas particulier des infirmières.
La dessinatrice et auteure féministe Emma a amplement démocratisé la notion de charge mentale à travers une série de bandes dessinées depuis 2017, en faisant de ce concept un enseignement nécessaire, relayé en 2018 par Coline Charpentier, professeure d’histoire géographie. Confrontée à son expérience personnelle et à la fatigue de la maternité, elle décide, « entre un biberon et un café », de créer le compte Instagram T’as pensé à pour ouvrir un espace de paroles à l’adresse de nombreuses femmes dépassées. Son premier post annonce : « Parce qu’aucun compte ne reprend ce que nous ressentons. Parce que je vois de plus en plus de femmes qui ne savent pas mettre les mots sur leurs maux. Parce que la charge mentale et émotionnelle sont des poids qui nous empêchent de vivre nos vies. Parlons. » La publication a engendré de très nombreux retours, qui démontrent à quel point le sujet de la charge mentale a été négligé, malgré le travail sociologique de fond initié il y a quarante ans et jusque-là très peu relayé. En ont découlé la formation d’un collectif et la parution d’un livre qui compile les témoignages. 

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