Je suis prévenue par mes amies, les profs du collège et ma mère : la quatrième est une classe charnière durant laquelle les bras, les jambes, le nez, les oreilles, les poils et les boutons poussent dans tous les sens ; la voix fait du grand huit et l’ado ses premiers dérapages.
Mais nous sommes prêts. En plus d’une tripotée de cours de natation, danse, musique, aïkido, Fiston reçoit une éducation parfumée aux Françoise (Dolto et Héritier) et quand il nous demande s’il peut aller à sa première soirée chez une fille de sa classe, c’est à l’unanimité que mon compagnon et moi lui donnons la permission. À minuit, nous serons devant chez Amandine avec le carrosse, amuse-toi bien et salue ses parents. Qui ne seront pas là ?
C’est à peine deux heures après son départ que je vois le message d’Amandine sur mon téléphone : « Votre fils ne se sent pas bien. »
D’un même bond, son père et moi sautons dans la voiture pour voler à la rescousse de notre bébé qui a dû manger une cacahuète avariée.
Lorsque nous arrivons chez Amandine, la porte est entrouverte et nous pénétrons dans une pièce où de très jeunes zombies déambulent hagards, gobelet à la main, sur une chanson d’Orelsan qui raconte que la fête est finie. J’aperçois Amandine, verdâtre, qui me fait signe de la suivre. Ça sent l’alcool, le tabac et le vomi, je trouve Fiston dans le sien, la tête dans la cuvette des toilettes.
Pendant que mon compagnon prodigue les premiers secours en hurlant, je secoue Amandine, qui me raconte : « Quand Victor a allumé une cigarette, Nina, qui est déléguée de la classe, nous a saoulés avec un sermon sur les addictions, alors votre fils a parlé d’une certaine Françoise qui dit que “le seul péché est de ne pas se risquer pour vivre son désir” et il a sorti de son sac à dos une bouteille de vodka. Simon en avait une autre et Leïla aussi. C’est elle qui a vomi en premier. Après, il y a eu Anaïs et quand la pièce s’est mise à tourner drôlement vite, j’ai voulu aller vomir, moi aussi, mais votre fils bouchait les toilettes avec sa tête. S’il vous plaît, ne dites rien à ma mère ! »
Je m’empresse de téléphoner à sa maman pour lui expliquer que la soirée de nos petites merveilles s’est transformée en beuverie, que son salon ressemble au pont d’un paquebot en pleine tempête et que je dois rapatrier au plus vite mon moussaillon puant et poisseux.
Quand je reviens aux toilettes, mon compagnon a ranimé notre pochtron à grandes claques, je ne lui rappelle pas que la fessée est abolie et nous transportons le fruit de nos amours jusqu’à la voiture où il s’étale en bafouillant des mots incompréhensibles juste avant de larguer un jet de bile sur la banquette arrière. Nous rentrons, taiseux, douchons notre champion de biture express, le couchons sur le canapé avec la cuvette. Et c’est au petit matin, après une nuit à chercher la faille de notre si parfaite éducation, que me revient comme un boomerang la phrase de ma mère tant de fois entendue lors de mon adolescence rebelle : « C’est quand même plus facile d’élever des petits cochons ! »