roger starnes sr SdBgm3n aRc unsplash
© Roger Starnes / Unsplash

“Il y a cer­tai­ne­ment plus de 100 000 per­sonnes qui vivent au cam­ping”, pour le socio­logue Gaspard Lion

Dans Vivre au cam­ping, un mal-​logement des classes popu­laires, fruit d’une enquête de ter­rain qui a duré dix ans, le socio­logue Gaspard Lion ana­lyse de l’intérieur le phé­no­mène du “cam­ping rési­den­tiel” qui s’étend en France, dans un contexte de crise éco­no­mique et sociale. 

Causette : Vous avez choi­si les “habi­tats non ordi­naires” chez les classes popu­laires comme sujet de recherche. Que regroupe cette appel­la­tion ? 
Gaspard Lion : J’appelle “loge­ments non ordi­naires” des habi­tats peu pro­té­gés juri­di­que­ment. Leurs formes archi­tec­tu­rales ori­gi­nales les dis­tinguent éga­le­ment sou­vent des loge­ments tra­di­tion­nels : cara­vanes, yourtes, cabanes, mobil-​homes, héber­ge­ment chez des tiers, squats… Je me suis spé­cia­li­sé sur cette ques­tion, car le nombre de per­sonnes concer­nées par la crise du loge­ment en France est en forte hausse, en par­ti­cu­lier dans les classes popu­laires, mais aus­si dans cer­taines franges des classes moyennes. L’ampleur de cette crise se mesure éga­le­ment par la diver­si­té de ses mani­fes­ta­tions : elle a des consé­quences sur la san­té des indi­vi­dus, le tra­vail, les études ou, encore, la pos­si­bi­li­té de se pro­je­ter et de déployer des pro­jets de vie. Enfin, les effets de cette situa­tion dra­ma­tique sont de plus en plus vio­lents. Quatre mil­lions de per­sonnes se trouvent en grande dif­fi­cul­té de loge­ment : leurs habi­ta­tions sont sur­peu­plées, insa­lubres, dan­ge­reuses ou ne béné­fi­cient pas du confort de base comme l’eau cou­rante, des toi­lettes, une douche… Plus de 1 mil­lion de per­sonnes sont pri­vées de loge­ments per­son­nels en France et le nombre de per­sonnes à la rue est pas­sé d’environ 140 000 en 2012 à plus de 330 000 aujourd’hui. Ce chiffre a été mul­ti­plié par trois depuis le début des années 2000. Par ailleurs, le mode de cal­cul de l’Insee sous-​estime l’ampleur du phénomène.

Le loge­ment est l’expression des dis­pa­ri­tés entre les classes sociales. Dans les milieux modestes, il n’est pas rare aujourd’hui que 40 à 50 % des res­sources soient consa­crées au loge­ment, alors que la moi­tié du parc loca­tif pri­vé appar­tient à seule­ment 3,5 % de la popu­la­tion, qui détient au moins cinq rési­dences per­son­nelles. L’extrême concen­tra­tion de la pro­prié­té explique en par­tie les inéga­li­tés et les dif­fi­cul­tés actuelles pour se loger.

En 2012, j’ai réa­li­sé une enquête sur les per­sonnes qui étaient à la rue, dans les bois, les cabanes et dans les bidon­villes. Je suis allé dans les cam­pings et j’ai été frap­pé par l’ampleur du phé­no­mène qu’est celui du cam­ping rési­den­tiel et qui touche cer­tai­ne­ment plus de 100 000 per­sonnes. Je me suis concen­tré sur ce mode par­ti­cu­lier d’habitation, car il est peu, voire pas, étu­dié en France et à l’étranger. Pourtant, aux États-​Unis par exemple, cette situa­tion est mas­sive : 7 % de la popu­la­tion vit dans des mobil-​homes et des cara­vanes. Le cam­ping accueille dif­fé­rents pro­fils, ce qui per­met en outre d’analyser les consé­quences de la crise du loge­ment sur dif­fé­rentes caté­go­ries de la population. 

Je me suis éga­le­ment inté­res­sé au cam­ping rési­den­tiel, car ces loge­ments sont situés dans les milieux ruraux et péri­ur­bains. On a ten­dance à se repré­sen­ter la crise du loge­ment presque uni­que­ment dans les milieux urbains alors que ces pro­blé­ma­tiques sont très pro­non­cées dans les ter­ri­toires ruraux et péri­ur­bains : le taux d’effort, c’est-à-dire la part du bud­get consa­crée au loge­ment, est, par exemple, plus éle­vé dans ces régions où le nombre d’ouvriers et d’employés est éga­le­ment plus important. 

Quel est le pro­fil des per­sonnes qui vivent au quo­ti­dien dans les cam­pings ? 
G.L. : J’ai dis­tin­gué trois grands pro­fils, assez for­te­ment contras­tés les uns avec les autres, qui font l’objet de trois cha­pitres distincts.

Le pre­mier cha­pitre, L’accession à la semi-​propriété popu­laire, se concentre sur les per­sonnes les plus éloi­gnées de l’imaginaire géné­ra­le­ment asso­cié au cam­ping rési­den­tiel : elles ont un emploi stable (ouvriers qua­li­fiés, etc.) et elles sont arri­vées au cam­ping alors qu’elles pou­vaient conti­nuer à être loca­taires. Mais ils sou­hai­taient deve­nir pro­prié­taires d’un habi­tat indi­vi­duel après avoir, pour la plu­part, gran­di en pavillon. Alors que les contraintes éco­no­miques com­pliquent de plus en plus l’accès à la pro­prié­té, le cam­ping est deve­nu une alter­na­tive à la mai­son, pour ces personnes-​là, qui s’installent sou­vent dans des mobil-​homes haut de gamme. Malgré les contraintes loca­tives induites par ce type de loge­ment, ils vivent sou­vent l’expérience du cam­ping rési­den­tiel de manière très positive.

Le second pro­fil, déve­lop­pé dans le cha­pitre sui­vant, L’épreuve du déclas­se­ment rési­den­tiel, voit la situa­tion de manière dia­mé­tra­le­ment oppo­sée : les rési­dents en souffrent beau­coup et vivent leur démé­na­ge­ment au cam­ping comme un déclas­se­ment social et une humi­lia­tion. Au sein de ces frac­tions des classes popu­laires, la moindre dif­fi­cul­té bio­gra­phique (divorce, perte d’emploi) peut désor­mais, dans un contexte d’envolée des prix de l’immobilier, conduire à de grandes dif­fi­cul­tés de loge­ments.Pour elles, le cam­ping est vécu comme un der­nier recours qui génère un sen­ti­ment de déca­lage entre leur ancien loge­ment, rela­ti­ve­ment confor­table, et leur habi­ta­tion actuelle, très dégra­dée. Leur sen­sa­tion de dis­so­nance se situe éga­le­ment entre leur vie sociale et pro­fes­sion­nelle – ces per­sonnes ont des res­sources et un emploi –, et le fait qu’elles vivent dans un cam­ping bas de gamme. Enfin, leur désir de retrou­ver un loge­ment équi­va­lant à celui qu’ils ont per­du est en contra­dic­tion avec leurs pos­si­bi­li­tés réelles. Ainsi, plu­sieurs rési­dents m’ont fait part d’épisodes dépres­sifs très mar­qués et même de ten­ta­tives de suicide.

Lire aus­si l Déloger “les plus riches” loca­taires de HLM : “Le meilleur moyen de faire explo­ser la bombe sociale dans le logement”

Enfin, comme je l’explique dans le cha­pitre L’habitat pré­caire assu­mé ou l’expérience du ‘faire avec’, cer­taines per­sonnes occupent des habi­tats rela­ti­ve­ment dégra­dés et font pour autant part d’une grande satis­fac­tion. Cette troi­sième caté­go­rie de per­sonnes, qui vit, pour la plu­part, sous le seuil de pau­vre­té, avait déjà vécu dans la pré­ca­ri­té et ren­con­tré des dif­fi­cul­tés de loge­ment. Pour un cer­tain nombre d’entre elles, mais pas toutes, c’est même une forme d’amélioration, notam­ment si elles ont vécu dans la rue par le pas­sé. Ces rési­dents sont, pour beau­coup, sans emploi et vivent donc moins une situa­tion de déca­lage entre leurs res­sources, leur posi­tion sociale et leur posi­tion rési­den­tielle (dans un loge­ment dégra­dé). Enfin, elles déploient des formes de débrouilles pour amé­lio­rer et agran­dir leur habi­ta­tion. Grâce au cam­ping, elles réduisent leurs dépenses par la pêche, l’entretien d’un pota­ger, ou encore, en ren­dant des ser­vices aux tou­ristes du cam­ping, en échange d’un peu d’argent. Des rela­tions d’amitié se créent entre les rési­dents, ce qui leur ren­voie une image plus posi­tive que celle qui est véhi­cu­lée par la socié­té ; ils se trouvent pro­té­gés des effets de la confron­ta­tion aux autres classes sociales et de la stigmatisation.

Vous avez consta­té des dif­fé­rences de tra­jec­toires, de res­sen­tis et dans l’investissement du loge­ment au sein de ces trois pro­fils, mais avez-​vous aus­si remar­qué des par­ti­cu­la­ri­tés qui leur sont trans­ver­sales ?
G.L. : Oui, notam­ment le fait qu’ils sont peu pro­té­gés juri­di­que­ment, car leur habi­ta­tion relève du droit du tou­risme et non du droit du loge­ment. Les per­sonnes concer­nées sont donc pri­vées des garan­ties – pro­gres­si­ve­ment acquises et de haute lutte –, comme les Aides per­son­na­li­sées au loge­ment (APL), le prin­cipe de durée mini­male de loca­tion ou celui de la tacite recon­duc­tion. Dans les cam­pings rési­den­tiels, les contrats sont très courts, s’étendant d’une semaine à un an, et les motifs d’expulsion ne sont pas enca­drés : les gérants peuvent mettre fin à la loca­tion sans avoir à se jus­ti­fier, si ces der­niers partent à la retraite, ont des sou­cis de san­té, décident de se recon­ver­tir pro­fes­sion­nel­le­ment ou encore, d’investir leur capi­tal dif­fé­rem­ment. J’ai moi-​même vécu dans un cam­ping qui a fini par fer­mer. Il appar­te­nait à la mai­rie et, suite au chan­ge­ment d’équipe muni­ci­pale, les habi­tants ont été expulsés.

Les années d’après, j’ai sui­vi ces anciens rési­dents pour savoir ce qu’ils deve­naient. Parmi ceux qui avaient les moyens, cer­tains sont retour­nés vers le parc loca­tif après avoir per­du toutes les éco­no­mies mises dans leur ancien mobil-​home et qui mon­taient par­fois à des dizaines de mil­liers d’euros, d’autres per­sonnes retournent à la rue ou pour­suivent leur tra­jec­toire dans des habi­tats non ordi­naires, par exemple l’un d’eux vit actuel­le­ment sur un petit voi­lier en bord de mer.

En France, les expul­sions loca­tives, tous types de loge­ments confon­dus, ont aug­men­té de plus de 110 % en dix ans et ont été mul­ti­pliées par sept en qua­rante ans. La der­nière loi, dite “anti-​squat”, va mettre encore plus de per­sonnes à la rue, rac­cour­cir les délais d’expulsion et vient cri­mi­na­li­ser les concer­nés qui risquent désor­mais deux ans de pri­son et 30 000 euros d’amende.

Vous avez réa­li­sé une grande par­tie de vos études de cas dans des cam­pings situés en Île-​de-​France. Certaines régions en France sont-​elles plus concer­nées que d’autres par la crise du loge­ment ? 
G.L. : Depuis le début des années 2000, la crise du loge­ment s’est élar­gie à l’échelle natio­nale alors que dans les années 1980, l’envolée des prix concer­nait sur­tout les zones urbaines. Désormais, toutes les régions sont tou­chées d’une manière ou d’une autre, mais les para­mètres sont dif­fé­rents. Dans les grandes villes, les prix ren­voient les ménages les plus modestes vers la péri­phé­rie loin­taine. Dans les zones péri­ur­baines, c’est plu­tôt le déca­lage entre le salaire gagné et ce qui est dépen­sé pour se loger qui est frappant.

Ces der­nières années, le gou­ver­ne­ment sacri­fie les loge­ments sociaux en dimi­nuant très for­te­ment les res­sources des bailleurs, de sorte qu’il n’y a jamais eu autant de per­sonnes en
attente d’un loge­ment social : 2,6 mil­lions de ménages. Le mar­ché pri­vé n’est pas assez régu­lé, l’encadrement est beau­coup trop faible et les meu­blés tou­ris­tiques explosent, avec les sites comme Airbnb qui réduisent, de manière très consé­quente, le nombre de loge­ments dis­po­nibles dans le parc loca­tif. Il y a de plus en plus de loge­ments vacants depuis les années 2000 et un loge­ment sur dix est une rési­dence secon­daire, alors qu’il y a vingt ans, ce phé­no­mène ne concer­nait qu’à peine plus de 5 % des rési­dences. À Paris, près d’un loge­ment sur cinq est sous-​occupé, voire non occu­pé, ce qui explique les ten­sions par­ti­cu­liè­re­ment fortes à l’œuvre dans les ter­ri­toires attrac­tifs sur le plan tou­ris­tique, dans un contexte où le patri­moine gagne en impor­tance et prend de plus en plus le pas sur le salaire. 

Vous vous êtes vous-​même ins­tal­lé dans un cam­ping durant trois ans et vous qua­li­fiez celui-​ci de “bas de gamme”. Pourquoi avoir effec­tué cette démarche ? 
G.L. : Dans le cadre de l’une mes anciennes enquêtes eth­no­gra­phiques, j’ai occu­pé, durant un mois, une tente au bois de Vincennes, à Paris, ce qui m’a ame­né à réa­li­ser
com­bien l’immersion était pro­pice à l’analyse et à la com­pré­hen­sion des situa­tions étu­diées. Pour mon enquête sur les cam­pings rési­den­tiels, j’ai récu­pé­ré une cara­vane à l’abandon et obte­nu l’accord du pro­prié­taire du ter­rain. Le fait que mon lieu d’habitation soit un cam­ping bas de gamme était donc un choix par défaut, comme il y avait cette cara­vane dis­po­nible, mais cela s’est avé­ré très inté­res­sant, car il y avait les trois pro­fils de rési­dents sur ce terrain. 

L’idée c’était de me tenir à dis­tance des dis­cours sur­plom­bants, exté­rio­ri­sants et sté­réo­ty­pés qui partent des normes sociales de loge­ment domi­nantes. Alors que la presse repré­sente cette situa­tion uni­que­ment ou presque en termes de manque, de carence, d’insécurité, ou
d’inconfort, de manière au fond très eth­no­cen­trée, l’enquête eth­no­gra­phique per­met de décen­trer le regard pour com­prendre com­ment les situa­tions sont vécues par les per­sonnes elles-​mêmes – c’est d’ailleurs là tout l’enjeu du livre, rendre compte de ces expé­riences vécues, de leur diver­si­té, ain­si que des prin­cipes socio­lo­giques qui expliquent les dif­fé­rences de pra­tiques et de per­cep­tion. La réité­ra­tion des entre­tiens sur le long cours aide par ailleurs à com­prendre com­ment les expé­riences évo­luent sur le temps long, au gré des sai­sons par exemple… De plus, en vivant sur place, j’ai obte­nu des témoi­gnages plus riches que ceux qui auraient été adres­sés à un enquê­teur exté­rieur : les stra­té­gies de contrôle de l’information et de dis­si­mu­la­tion finissent en effet par dis­pa­raître ou for­te­ment s’atténuer auprès de quelqu’un qu’on finit par connaître et avec qui on peut en venir à abor­der des sujets beau­coup plus intimes. Par ailleurs, même si ce n’était pas pré­vu, vivre au cam­ping m’a aus­si ame­né à docu­men­ter la façon dont la muni­ci­pa­li­té s’y est prise pour délo­ger ces rési­dents et les effets de cette expul­sion sur leurs tra­jec­toires sociales et rési­den­tielles – ce que décrit le qua­trième cha­pitre du livre. 

Comment avez-​vous été accueilli par les résident·es ? 
G.L. : De manière géné­rale, de façon plu­tôt posi­tive, même s’il y a quand même eu pas mal de craintes au début. Ça a été variable : il y avait des per­sonnes qui ouvraient les portes de leur mobil-​home ou cara­vane au bout de quelques ins­tants, qui en étaient fières, et d’autres qui étaient beau­coup plus fer­mées, rétives face au prin­cipe de l’enquête. Certains d’entre elles avaient honte et d’autres pen­saient que j’étais employé par la muni­ci­pa­li­té afin de recueillir des infor­ma­tions pour les délo­ger. Pour ces personnes-​là, j’ai com­pris plus tard : elles me disaient “repasse demain et quand je reve­nais le rideau était fer­mé. L’une d’entre elles est deve­nu un allié dans l’enquête, mais ça a pris un an avant qu’elle me fasse vrai­ment confiance. L’une des dif­fi­cul­tés prin­ci­pales a été d’identifier les ter­rains de cam­ping et sur­tout d’obtenir l’accord des gérants qui ont été nom­breux à nier accueillir des per­sonnes à l’année, ce que je savais pour­tant ne pas être le cas.

Dans votre deuxième cha­pitre, vous mon­trez qu’une part des résident·es démé­nagent en cam­ping par contrainte à la suite d’une rup­ture conju­gale ou pro­fes­sion­nelle. Vous mon­trez éga­le­ment que ce sont en majo­ri­té des hommes. Pourquoi ? Certains ouvrages comme Le Genre du capi­tal, de Céline Bessière et Sibylle Gollac, prouvent pour­tant que les femmes sont sou­vent plus pré­caires que leurs ex-​maris après un divorce. 
G.L. : Parmi les rési­dents qui se sont ins­tal­lés par “choix” afin de deve­nir pro­prié­taires, il y a qua­si­ment autant d’hommes que de femmes, mais par­mi les popu­la­tions déclas­sées ou pré­ca­ri­sées, les femmes sont sous-​représentées, elles ne repré­sentent res­pec­ti­ve­ment qu’un quart et un tiers des résidents.

Dans les loge­ments pré­caires (la rue, les squats, les bidon­villes, les habi­ta­tions de for­tune…), il y a tou­jours une sur­re­pré­sen­ta­tion des hommes, ce phé­no­mène n’est donc pas excep­tion­nel. Malgré les inéga­li­tés patri­mo­niales que vous avez sou­le­vées, les femmes dis­posent davan­tage de formes d’entraides fami­liales, ami­cales ou éta­tiques. Par ailleurs, les femmes béné­fi­cient plus des dis­po­si­tifs natio­naux qui existent pour les per­sonnes en situa­tion de fra­gi­li­té : même si elles ne sont pas sans domi­cile fixe, elles seront plus faci­le­ment redi­ri­gées vers des hôtels ou des asso­cia­tions cari­ta­tives par exemple. En géné­ral, elles entament aus­si plus les démarches admi­nis­tra­tives pour béné­fi­cier d’un loge­ment social et donc, méca­ni­que­ment, ont plus de chance d’en obte­nir un. Elles sont éga­le­ment plus sus­cep­tibles d’accepter rapi­de­ment un loge­ment que les hommes afin d’échapper à des situa­tions plus extrêmes, ou vécues comme poten­tiel­le­ment insé­cu­ri­santes, comme un cam­ping. Dans le deuxième cha­pitre, je montre que les femmes qui arrivent au cam­ping devaient ain­si sou­vent trou­ver une solu­tion immé­diate de relo­ge­ment, notam­ment après des vio­lences conjugales. 

Lire aus­si l Crise du loge­ment : la “bombe sociale” a explo­sé, alerte la Fondation Abbé Pierre

Les per­sonnes qui se tournent vers le cam­ping semblent être en majo­ri­té blanches, qu’en est-​il des per­sonnes raci­sées qui repré­sentent une grande part des classes popu­laires en France ? 
G.L. : C’est une carac­té­ris­tique impor­tante qui s’explique par plu­sieurs fac­teurs. Ces cam­pings sont situés dans des ter­ri­toires ruraux ou péri­ur­bains dans les­quels les per­sonnes raci­sées sont sous-​représentées, pour diverses rai­sons, liées notam­ment au fait qu’il y a moins de loge­ments sociaux et du fait de poli­tiques dis­cri­mi­na­toires qui com­pliquent
l’accès au loge­ment dans ces régions. Il faut aus­si connaître les ter­rains de cam­ping en amont et savoir qu’ils accueillent des rési­dents à l’année. Les per­sonnes immi­grées et primo-​arrivantes inves­tissent davan­tage les zones urbaines pour les res­sources qu’elles pro­posent (aide ali­men­taire, asso­cia­tive, admi­nis­tra­tive, tra­vail infor­mel…) et pour retrou­ver des formes de socia­bi­li­té. Les per­sonnes immi­grées, en situa­tion de grande pré­ca­ri­té, s’installent plu­tôt dans des loge­ments très dégra­dés, des bidon­villes, où elles peuvent coha­bi­ter en famille, ou dans des squats. Le cam­ping est donc moins acces­sible et tout un ensemble d’indices récol­tés dans l’enquête montre que les gérants déploient des pra­tiques dis­cri­mi­na­toires à l’entrée. 

En sep­tembre der­nier, les médias ont dénon­cé le fait qu’une dizaine d’étudiant·es au mini­mum ont été contraint·es de s’installer en cam­ping à côté de leur uni­ver­si­té, notam­ment dans les zones tou­ris­tiques. Cela s’explique par la crise du loge­ment et, dans le cas des étudiant·es, par le manque de places en Crous. Pourtan, vous affir­mez que ce cas est très peu répan­du. Pourquoi ?
G.L. : Oui, par­mi les rési­dents des ter­rains de cam­pings, il y a une très petite mino­ri­té d’étudiants même si la crise du loge­ment les concerne tout par­ti­cu­liè­re­ment. Souvent, ils s’installent dans des cam­pings à proxi­mi­té de leur uni­ver­si­té, comme le cam­ping de Nantes qui est à cinq minutes à pied, même si par­fois ils peuvent avoir jusqu’à une heure de tra­jet. Les étu­diants sont la classe d’âge la plus mar­quée en France par la pré­ca­ri­té : un quart d’entre eux vivent sous le seuil de pau­vre­té et ils sont plus de 10 % à aban­don­ner leurs études faute d’accès au loge­ment. Il y a donc une mise en concur­rence très forte entre les étu­diants qui ont de bonnes garan­ties et ceux, issus de milieux plus modestes, qui ont peu de sou­tiens fami­liaux et doivent par­fois s’installer au cam­ping notam­ment, car les gérants ne demandent pas de cau­tion ou de garant. Généralement ces der­niers louent des mobil-​homes, et non des cara­vanes, qui sont meu­blés et dis­posent d’un cer­tain nombre de ser­vices tels qu’un accès à Internet.

Lire aus­si l JO 2024 : “Les étu­diants en Crous sont ter­ri­fiés à l’idée de ne pas être relogés” 

Alors que la crise éco­no­mique et du loge­ment conti­nue de s’aggraver, selon vous, ces modes d’habitation vont-​ils deve­nir de plus en plus répan­dus ? 
G.L. : Sans chan­ge­ment de cap pro­fond en matière de poli­tiques publiques, il n’y a aucune rai­son de pen­ser que la situa­tion va s’arranger, au contraire. Dans une situa­tion mar­quée par la déré­gu­la­tion du mar­ché du tra­vail et le déman­tè­le­ment tou­jours plus pous­sé des sys­tèmes de pro­tec­tion sociale, les inéga­li­tés conti­nue­ront d’augmenter alors que près d’une per­sonne sur six vit déjà sous le seuil de pau­vre­té. Emmanuel Macron déploie une poli­tique néo­li­bé­rale d’austérité bud­gé­taire très agres­sive, notam­ment sur le ter­rain du loge­ment, laquelle a conduit à faire plus de 4 mil­lions d’euros d’économie par an sur les APL au cours des der­nières années, et à dimi­nuer for­te­ment les res­sources des bailleurs sociaux – avec plus
de 1,3 mil­liard d’euros d’économie réa­li­sée par l’État depuis 2018, et une hausse, déci­dée
par le gou­ver­ne­ment, de la TVA sur la construc­tion de loge­ments sociaux… Dans le sec­teur des Habitations à loyer modé­ré (HLM), on n’a jamais construit aus­si peu de loge­ments en l’espace de vingt ans alors que la crise n’a jamais été aus­si importante.

Le gou­ver­ne­ment vient d’annoncer vou­loir faire entrer le loge­ment loca­tif inter­mé­diaire, des­ti­né au haut des classes moyennes, en fait à des cadres et cadres supé­rieurs, dans les quo­tas de HLM par com­mune. Or à peine 3 % des deman­deurs de loge­ments sociaux y sont éli­gibles. Cela va donc aggra­ver consi­dé­ra­ble­ment les dif­fi­cul­tés pour les classes popu­laires et une par­tie consé­quente des classes moyennes à se loger. Cela revient à détri­co­ter la loi SRU ( loi rela­tive à la soli­da­ri­té et au renou­vel­le­ment urbain) en per­met­tant aux com­munes qui refusent de construire des loge­ments sociaux d’intégrer dans le décompte des loge­ments construits ces loge­ments loca­tifs inter­mé­diaires qui ne pré­sentent pour­tant aucune contre­par­tie sociale (pas de condi­tions de res­sources, pas de pla­fon­ne­ment des loyers…). Aujourd’hui, 70 % de la demande porte sur les loge­ments finan­cés par le prêt loca­tif aidé d’intégration (PLAI), les plus bas de gamme. Or, depuis le début des années 2000, le gou­ver­ne­ment se concentre sur les loge­ments finan­cés par le prêt loca­tif social (PLS) des­ti­nés au haut des classes moyennes et, doré­na­vant, de plus en plus sur le loge­ment loca­tif inter­mé­diaire, ce qui pré­sage du pire pour les années à venir.

Gaspard Lion Vivre au camping Seuil

Vivre au cam­ping, un mal-​logement des classes popu­laires, de Gaspard Lion. Seuil, 320 pages, 24 euros.

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.