Alors qu’un projet de loi sur le logement sera présenté le 7 mai, le ministre délégué au logement, Guillaume Kasbarian, a annoncé aux Échos vendredi dernier vouloir mettre fin au “logement social à vie”. Une très mauvaise nouvelle pour les défenseur·eures des locataires des HLM.
Alors qu’en 2022, lorsqu’il était député Renaissance, le ministre délégué au logement Guillaume Kasbarian se faisait connaître pour sa proposition de loi dite “anti-squat” – qui a marqué un virage à droite en matière de politique du logement –, c’est aux locataires HLM qu’il s’est attaqué la semaine dernière. Le ministre a déclaré aux Échos, vendredi 12 avril, vouloir favoriser la sortie des locataires dont les revenus dépassent les barèmes nécessaires à l’éligibilité aux logements sociaux afin de mettre fin au “logement social à vie”. Guillaume Kasbarian estime que plus de 8 % des locataires de HLM n’y sont plus éligibles et donne rendez-vous le 7 mai, lors de la présentation d’un nouveau projet de loi sur le logement.
Afin de mieux comprendre les enjeux de cette proposition de loi, Causette s’est entretenue avec Guillaume Aichelmann, chargé de mission logement social pour la CLCV (Consomnation, logement et cadre de vie), association nationale de défense des consommateurs et usagers.
Causette : Guillaume Kasbarian a évoqué son intention de favoriser la sortie des locataires les plus riches des logements sociaux, en imposant une évaluation régulière de leur situation financière. Pourtant, les bailleurs sociaux réalisent déjà annuellement une enquête sur les ressources des locataires, avec la possibilité de majorer les loyers ou de refuser le renouvellement du bail pour celles et ceux dépassant les plafonds de revenus. Quel changement impliquerait donc ce nouveau projet de loi ?
Guillaume Aichelmann : Pour la CLCV, c’est avant tout un effet d’annonce, notamment à deux mois des élections européennes, puisque les outils législatifs réglementaires et pratiques existent déjà, notamment l’enquête annuelle et un examen de l’occupation, qui consistent à vérifier l’intégralité de la situation du locataire une fois tous les trois ans. Le problème est qu’actuellement, ce que l’on regarde à travers la législation, ce sont les locataires qui ont des revenus de l’ordre de 20 % supérieurs à ce qu’on appelle les “prêts locatifs sociaux”, c’est-à-dire les logements dédiés à la classe moyenne. Alors que si on suit la logique du ministre, on devra vérifier l’ensemble du parc social, y compris les logements sociaux qui sont faits pour des personnes très précaires et les classes populaires. Par exemple, si un policier qui gagne 2 200 euros par mois habite dans un “logement plus”, soit la principale catégorie des logements sociaux, il ne pourrait plus en bénéficier et il se retrouverait expulsé. Alors qu’avec 2 200 euros, on peut difficilement se loger dans le privé, surtout dans des régions plus tendues, comme l’Île-de-France, Paca, ou la vallée du Rhône. C’est 11 millions de locataires qui vont se retrouver impactés par cette mesure.
Déloger les personnes qui ont des revenus devenus supérieurs aux barèmes, c’est donc prendre le risque de faire retomber dans la pauvreté celles qui seraient à peine au-dessus des seuils ?
G.A. : Tout à fait. Le principal risque, c’est de mettre fin à la mixité sociale dans les quartiers. Si vous expulsez tous ceux qui dépassent, ne serait-ce que légèrement, les plafonds, vous allez avoir une concentration de la pauvreté dans certains quartiers. Ça impliquera alors pour les bailleurs sociaux une baisse des revenus disponibles, des ressources à leur disposition, puisqu’ils n’auront pas les loyers des ménages un peu plus aisés qui, eux, payent un surloyer pour aider à l’effort national. Autrement dit, la mesure du ministre du Logement va surtout créer une accélération de la “ghettoïsation”. Donc, selon nous, cette mesure n’a pas d’intérêt économique pour les bailleurs sociaux, qui ont déjà été fortement ponctionnés à travers la baisse des APL [Aide personnalisée aux logement, ndlr], les contributions exceptionnelles au budget de l’État, la hausse des contributions annuelles via la réduction du “loyer de solidarité”, c’est-à-dire plusieurs milliards d’euros versés à l’État depuis 2017. Au final, cette loi va créer une détérioration économique, sociale et politique, puisque le meilleur moyen de faire détoner la bombe sociale dans le secteur du logement actuellement, c’est ce type de réforme.
Le gouvernement estime que cela concernerait 8 % des actuels locataires de HLM. Or, il y a 1,7 million de personnes qui attendent un HLM. Ne serait-il pas plus efficace de relancer la construction de HLM et, surtout, de faire respecter par les communes la loi SRU ?
G.A. : Le chiffre des 8 % émane un petit peu de nulle part, puisque, en réalité, c’est surtout 3 % des locataires qui dépassent les plafonds. Le 8 %, c’est prendre en compte l’ensemble des locataires qui dépasseraient même temporairement les plafonds et calculer ce dépassement indépendamment du niveau de leurs revenus, mais par rapport à leur base fiscale. Par exemple, vous êtes un couple et vous avez un enfant qui va à l’université ou dans une école technique. Dans ce cas-là, vous perdez la part fiscale de votre enfant. Vos revenus n’ont pas augmenté, mais on considère que vous êtes devenu plus riche. Ces ménages-là seront impactés.
Les réponses appropriées à la crise du logement auraient été de faciliter la construction de logements abordables, tant sociaux que privés. Pour les logements sociaux à travers une meilleure application de la loi SRU, notamment en renforçant les quotas et les pénalités aux municipalités, voire en permettant au préfet de prendre le contrôle des permis de construire dans le cas de certaines mairies récalcitrantes, souvent pour des raisons électoralistes. Pour les logements privés, en facilitant les constructions et en favorisant, pour les maires qui le souhaitent, la mise en œuvre d’un encadrement des loyers, comme c’est le cas à Paris, Lille, Strasbourg, Lyon, Bordeaux et d’autres villes. Vous avez 35 % des locataires du parc social qui sont actuellement sous le seuil de pauvreté et vous avez un locataire sur quatre dans le parc social qui a été en situation d’impayé au cours des douze derniers mois. Pourtant, une aide comme le “forfait charge APL”, qui sert à payer les charges de chauffage, d’électricité et d’eau, n’a pas été revalorisée depuis 2006, alors que les factures d’électricité ont explosé et que beaucoup de ménages n’arrivent plus à tenir. Si on voulait aggraver la situation pour les locataires, on ne s’y prendrait pas autrement.