Alors que le pass vaccinal sera instauré en France lundi 24 janvier, Causette est allée à la rencontre des non-vacciné·es pour comprendre les motivations mais aussi les renoncements et les colères qui animent celles et ceux qui résistent encore à la sirène gouvernementale.
Le dernier voyant est passé au vert. Le pass vaccinal validé hier par le Conseil constitutionnel remplacera le pass sanitaire dès lundi, le 24 janvier. Il entraîne avec lui une foule de nouvelles restrictions pour les personnes non-vaccinées âgées de 16 ans et plus. Il sera, en effet, désormais obligatoire pour accéder aux lieux de culture et de loisirs, aux bars, aux restaurants et même aux TGV.
Causette a choisi de donner la parole aux Français·es qui n’ont pas encore fait le choix du vaccin et qui ne se laisseront pas, pour autant, convaincre par l’instauration du pass vaccinal. Dans quel état d'esprit se trouvent ces 8% de citoyen·nes adultes (selon les chiffres de Santé publique France) qui refusent, malgré la mise en œuvre de la promesse présidentielle de les « emmerder », la vaccination ?
« Je ne suis pas une anti-vax »
Parmi elles·eux, on ne compte pas seulement des complotistes aux théories farfelues et des anti-vax réfractaires à la science. « Avant toute chose, je tiens à dire que je ne me considère pas du mouvement anti-vax, ce n’est donc pas mon rejet des vaccins en général qui me pousse à ne pas me faire vacciner », lance d’emblée Laura*, 37 ans. « J’en ai marre de passer pour une zinzin antivax alors que pas du tout, je suis connue pour mes facultés de discernement », amorce de son côté Mélissa* dans son témoignage. « Je ne crois ni que la terre est plate ni qu’il y a une puce dans le vaccin, je ne suis ni anti-vaccin ni d’extrême droite, ni d'extrême gauche », assure, quant à elle, Maylis.
Ma santé, mon corps
Pourquoi ces personnes refusent-elle toujours la piqûre, alors même que les personnes non vaccinées contaminées par le Covid-19 ont neuf fois plus de chances d’être hospitalisées, et quatorze fois plus de finir en soins critiques que les vacciné·es ? Les raisons sont multiples. Celle qui revient le plus fréquemment dans la centaine de témoignages reçus par Causette est la certitude de ne pas faire partie d’un public à risque. « J’ai quarante ans et je pense être en parfaite santé, faire suffisamment attention à ce que je mange, et donc, si je dois attraper le virus, je pense que mes défenses immunitaires agiront comme il se doit », soutient Céline*, habitante du Puy-de-Dôme. Une position partagée par Stéphane, 35 ans. « Je donnerais volontiers mon consentement éclairé à toute forme de vaccination qui présenterait à mes yeux une balance bénéfice risque plus évidente pour ma santé. Je ne fais pas partie des publics à risques. Avec 30 ans de plus, ma position serait sans doute différente », développe-t-il.
« Je ne compte pas faire la troisième car j’ai vu des changements néfastes sur mon cycle menstruel. Je n’ai plus confiance. »
Lola* qui a reçu ses deux premières doses.
Bien sûr, on retrouve chez d'autres des craintes toujours pas dissipées malgré les études et le recul que l'on commence à prendre, après plus d'un an de vaccination, sur les supposés effets secondaires. « J’émets des doutes sur les risques pour la santé, livre Lola* qui a pourtant reçu ses deux premières doses. Je ne compte pas faire la troisième car j’ai vu des changements néfastes sur mon cycle menstruel depuis mon vaccin. Je n’ai plus confiance. » Même constat pour Cécile, aujourd’hui en pleine réflexion sur troisième dose, car depuis la première, la jeune femme a remarqué avoir ses règles deux fois par mois.
Esprit de contradiction
Une autre raison qui revient régulièrement dans les témoignages reçus découle de la récente stratégie d’Emmanuel Macron de vouloir « emmerder » les non vacciné·es. En accentuant sa tonalité résolument offensive à l’égard des réfractaires à la vaccination, le chef de l’État semble avoir radicalisé les positions. « J’avais un sentiment de culpabilité quotidien et voilà que Macron parle de nous emmerder… il nous a finalement reboostés, merci monsieur le président ! », lance Sarah, 42 ans, employée de banque. « Je ne me ferais pas davantage vacciner avec de telles déclarations, déclare Amina, mère de famille de 38 ans. C’est presque l’effet inverse, un tel chantage me donne encore plus envie de refuser. »
« Le jour où des arguments répondront vraiment à mes craintes sur les effets secondaires à plus long terme sur la menstruation je me ferai vacciner »
Laura
Ce qui dérange la plupart des non vacciné·es, c’est bien le « caractère obligatoire » rendu par le pass sanitaire puis vaccinal. Car presque tous·tes estiment que, si ces mesures ont eu des impacts négatifs sur leurs libertés et leur quotidien, elles ne suffisent pas à passer le cap, bien au contraire. Le pass vaccinal a, par exemple, poussé Luc, père de famille, à « durcir [ses] positions de résistance ». Pareil pour Marion, dont « [les] libertés seront encore plus entravées par le pass vaccinal », qui a aussi « encore plus affirmée [ses] convictions personnelles ». Le refus de la vaccination n’est, cependant, pas catégorique pour tout le monde. « Le jour où des arguments répondront vraiment à mes craintes sur les effets secondaires à plus long terme sur la menstruation, je me ferai vacciner », assure Laura.
Peur d’être stigmatisé·e
Une très grande majorité des personnes qui ont témoigné pour Causette ont souhaité rester anonymes. Un choix motivé pour beaucoup par la crainte d’être critiqué·e, voire stigmatisé·e. « Pour ma part, cette épée de Damoclès du pass vaccinal est un véritable poids au quotidien dans mes relations aux autres », confie Céline*. Cette quarantenaire qui travaille au service culturel d’une petite commune du Puy-de-Dôme nous confie « [subir] une pression monstre », ainsi que « des humiliations » de la part de son élu de référence depuis des mois. « Il me dit : “je ne vous parlerai que lorsque vous serez vaccinée, je ne veux pas être contaminé”. Il cherche toujours à savoir mes motivations, si je suis anti-vax ou simplement phobique de l’aiguille – ce qui est mon cas. »
« A chaque fois que j’entends les gens nous critiquer, parler mal de nous comme si la situation d’aujourd’hui était de notre faute, ça me fait mal »
Sarah
Par peur d’être jugé·es, certain·es optent pour la stratégie du mensonge. « Au travail, tout le monde m’imagine vaccinée », avoue Sarah, employée de banque. Ou celle de l’évitement. Comme Laura*, qui ne dit plus aux gens qu’elle rencontre qu’elle n’est pas vaccinée « pour éviter le débat ». « A chaque fois que j’entends les gens nous critiquer, parler mal de nous comme si la situation d’aujourd’hui était de notre faute, ça me fait mal », livre la jeune femme de 37 ans. Maëlys, elle aussi, évite le sujet avec ses proches. « J’ai peur qu’on me pose des questions, qu’on me critique. Alors je sélectionne, je m’adapte et évidemment, je vois moins de gens. »
Isolement social
Une situation d’exclusion qui peut aller jusqu’à l’isolement social. « Le pass sanitaire pesait déjà sur ma vie sociale avec un entourage majoritairement vacciné, souligne Lucie*, 27 ans. Avec le pass vaccinal, j’aurais dorénavant l’impression de faire peser mon choix à mon entourage qui sera alors contraint de se passer de ma présence pour toute sortie, voyage ou alors de modifier leurs plans. Le sentiment de culpabilité est omniprésent. » Pour la jeune femme qui vit à plus de 900 km de ses ami·es et qui se déplaçait en train ou en avion, ce sera désormais « 9h de voiture ou rien du tout ».
Pour pallier les restrictions et continuer leur vie « comme avant » , certain·s ont tenté la carte du contournement. Mélissa* n’a pas hésité, par exemple, à utiliser les pass sanitaires d’autres personnes, comme beaucoup de ses ami·es. « Quand on sortait au café, au ciné ou au théâtre, on avait cette petite blague “mmh comment je vais m’appeler ce soir ?” » Pour elle, « le pass vaccinal ne changera rien », si ce n’est qu’elle « [prendra] moins de risques car l’amende passe de 135 euros à 1 000 euros ».
« Tout compte fait, c’est une aubaine car ça nous a permis de faire un pas de côté, de ralentir. On a appris à vivre simplement »
Kenza
D’autres sont allés plus loin. Caroline* a volontairement côtoyé une personne positive au Covid pour pouvoir contracter la maladie et ainsi obtenir le précieux sésame. Si la tentative s’est révélée infructueuse, elle « [n’hésitera] pas à renouveler l’expérience ». Si Maëlys a, elle, eu des contacts pour obtenir un faux vaccin qui lui aurait ouvert la voie vers le pass vaccinal, elle confie à Causette « ne pas être prête pour l’instant » à franchir le pas de l’illégalité.
Découvrir une autre vie
D’autres ont semble-il trouvé bien au contraire une certaine satisfaction dans ces restrictions. « Tout compte fait, c’est une aubaine car ça nous a permis de faire un pas de côté, de ralentir. On a appris à vivre simplement, a constaté Kenza, qui vit en couple en banlieue lyonnaise. On consomme moins, on fait des économies, on dessine, on peint, on tricote, on discute, on cuisine, on se promène… finalement, il n’y a que les loisirs culturels qui nous manquent. » Même constat positif chez Emmanuelle* qui « découvre une autre vie, qui ne [lui] déplaît pas avec les joies de recevoir, d’aller rendre visite, de [se] balader qu’importe le temps ». Une exploration intérieure qui sonne comme un ultime pied de nez au forceps politique.
*Les prénoms ont été modifiés