Des centaines de femmes exilées, avec des parcours de migration marqués par une grande violence, sont à la rue à leur arrivée. Pour beaucoup, elles vivent une maternité dans des conditions extrêmement précaires. Devant l’Hôtel de Ville de Paris, la mairie ainsi que des associations tentent de leur venir en aide, mais des “carences” d’hébergement d’urgence sont dénoncées.
Face à l’Hôtel de Ville de Paris, habillé pour les Jeux olympiques, une cinquantaine de femmes attendent un toit pour la nuit, qui sans doute ne viendra pas. Malgré les efforts déployés sur le terrain, vivre sa maternité dans la rue devient l’ordinaire de nombre d’exilées.
“On est montés jusqu’à deux cents personnes. En France, il y a la volonté politique d’un accueil par le trottoir”, dénonce Yann Manzi, cofondateur de l’association Utopia 56. Chaque soir, il tient une permanence place de l’Hôtel de Ville pour aider les femmes enceintes ou avec bébé, à trouver un hébergement.
La journée, les femmes viennent se réchauffer, se laver et se restaurer dans des lieux d’accueils de jour, comme aux Amarres, sur les quais de Seine. C’est le cas d’Aya (nom d’emprunt), ballottée avec un nourrisson de quatre mois entre la rue et, si la chance lui sourit, un hôtel à Grigny (Essonne). “Après m’avoir excisée, comme mon père n’était plus là, mon oncle […] a décidé de me marier parce qu’on ne pouvait plus payer mes études”, raconte l’Ivoirienne de 30 ans, qui a fui son pays avec sa sœur, décédée en route et qu’elle a dû elle-même enterrer.
Mariam, mère d’un petit garçon de deux mois, a aussi fui un mariage forcé en Côte d’Ivoire. “Je suis passée en Libye, mais […] c’était très difficile. […] Si t’as pas l’argent pour payer on te viole, on te frappe, on te donne pas à manger, même de l’eau pour boire”, confie-t-elle, larmes aux yeux.
“Avant, il arrivait qu’on voie des femmes enceintes à la rue, on était affolés, mais on finissait toujours par trouver une solution”, rappelle Véronique Boulinguez, une sage-femme “volante” de la Protection maternelle et infantile (PMI). “Maintenant on en est à supplier pour que les femmes soient mises à l’abri au dernier trimestre de grossesse. Est-ce normal pour un bébé de trois mois d’être dehors ?” interroge-t-elle. Recrutée par la Ville de Paris en 2016, elle va parfois chercher ces femmes jusque sous les ponts pour les inscrire en maternité.
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Une grande précarité
La situation à Paris ne permet pas d’offrir des conditions de vie décentes. Mi-février, cinq grandes villes ont annoncé poursuivre l’État pour dénoncer ses “carences” en matière d’hébergement d’urgence. “Les situations sont extrêmement dégradées à un niveau complètement inédit”, témoigne la maire de Rennes, Nathalie Appéré (PS), qui appréhende “avec beaucoup d’inquiétude la fin de la trêve hivernale”. Pour dormir au chaud, des familles s’abritent “dans des cages d’escalier ou des locaux à poubelles”, constate aussi la sage-femme. Alors quand un atelier sur l’allaitement rassemble une dizaine de ces exilées pour parler nombre de tétées par 24 heures ou reproduire la taille de l’estomac du bébé avec de la pâte à modeler, les visages se décrispent enfin.
“Pendant longtemps, la place des femmes sans-papiers en très grande précarité est restée
cachée parce qu’elles étaient hébergées chez des tiers”, observe la Ville de Paris. Au début des années 2010, les grandes vagues migratoires se sont féminisées, s’accompagnant de psychotraumatismes sévères liés aux arrivées par voie terrestre et maritime.
Pour tenter de faire face, la mairie a ouvert en 2019 un centre de protection maternelle situé dans l’Hôtel-Dieu, qui a offert un accompagnement à plus de 2 300 femmes. Pour chaque nouvelle arrivante, l’assistante socio-éducative Laura Denoune dresse un bilan complet afin de “sécuriser au maximum les parcours”. Elle tente d’établir pour toutes ces femmes un statut, une domiciliation, une date d’accouchement ainsi qu’une alimentation.
“Avec notre prisme d’Occidentaux, bien sûr que [leur grossesse] vient alerter. Tu fais un
enfant, t’as pas de logement, t’as pas de papiers, mais ça c’est du jugement. Moi je prends la
personne telle qu’elle est […] et aujourd’hui, Madame, elle est enceinte”, plaide-t-elle.
Cécile-Laure Lecuit tente de faire de l’échographie prénatale “un moment joyeux de
rencontre avec le bébé”. Mais certaines patientes ne regardent pas l’écran. “Quand je suis
arrivée en PMI, j’ai eu l’impression que la grossesse était vécue comme une catastrophe de
plus dans un parcours de catastrophes”, se souvient la sage-femme. Très peu de grossesses sont selon elle souhaitées. “Soit les femmes ont été violées, soit elles ont été hébergées moyennant des faveurs sexuelles, soit elles n’ont pas de contraception”, tandis que certaines “pensent obtenir plus facilement un logement avec un enfant”, analyse-t-elle.
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