ev IWJH l vb4k unsplash 1
ev-IWJH-l-vb4k-unsplash (1)

Devoir vivre sa mater­ni­té à la rue : la situa­tion de cen­taines de femmes exi­lées à Paris

Des cen­taines de femmes exi­lées, avec des par­cours de migra­tion mar­qués par une grande vio­lence, sont à la rue à leur arri­vée. Pour beau­coup, elles vivent une mater­ni­té dans des condi­tions extrê­me­ment pré­caires. Devant l’Hôtel de Ville de Paris, la mai­rie ain­si que des asso­cia­tions tentent de leur venir en aide, mais des “carences” d’hébergement d’urgence sont dénoncées. 

Face à l’Hôtel de Ville de Paris, habillé pour les Jeux olym­piques, une cin­quan­taine de femmes attendent un toit pour la nuit, qui sans doute ne vien­dra pas. Malgré les efforts déployés sur le ter­rain, vivre sa mater­ni­té dans la rue devient l’ordinaire de nombre d’exilées.

“On est mon­tés jusqu’à deux cents per­sonnes. En France, il y a la volon­té poli­tique d’un accueil par le trot­toir”, dénonce Yann Manzi, cofon­da­teur de l’association Utopia 56. Chaque soir, il tient une per­ma­nence place de l’Hôtel de Ville pour aider les femmes enceintes ou avec bébé, à trou­ver un hébergement. 

La jour­née, les femmes viennent se réchauf­fer, se laver et se res­tau­rer dans des lieux d’accueils de jour, comme aux Amarres, sur les quais de Seine. C’est le cas d’Aya (nom d’emprunt), bal­lot­tée avec un nour­ris­son de quatre mois entre la rue et, si la chance lui sou­rit, un hôtel à Grigny (Essonne). “Après m’avoir exci­sée, comme mon père n’était plus là, mon oncle […] a déci­dé de me marier parce qu’on ne pou­vait plus payer mes études”, raconte l’Ivoirienne de 30 ans, qui a fui son pays avec sa sœur, décé­dée en route et qu’elle a dû elle-​même enterrer. 

Mariam, mère d’un petit gar­çon de deux mois, a aus­si fui un mariage for­cé en Côte d’Ivoire. “Je suis pas­sée en Libye, mais […] c’était très dif­fi­cile. […] Si t’as pas l’argent pour payer on te viole, on te frappe, on te donne pas à man­ger, même de l’eau pour boire”, confie-​t-​elle, larmes aux yeux.

“Avant, il arri­vait qu’on voie des femmes enceintes à la rue, on était affo­lés, mais on finis­sait tou­jours par trou­ver une solu­tion”, rap­pelle Véronique Boulinguez, une sage-​femme “volante” de la Protection mater­nelle et infan­tile (PMI). “Maintenant on en est à sup­plier pour que les femmes soient mises à l’abri au der­nier tri­mestre de gros­sesse. Est-​ce nor­mal pour un bébé de trois mois d’être dehors ?” interroge-​t-​elle. Recrutée par la Ville de Paris en 2016, elle va par­fois cher­cher ces femmes jusque sous les ponts pour les ins­crire en maternité. 

Lire aus­si l Des femmes sans abri accouchent dans la rue et des femmes de l'ombre les épaulent

Une grande précarité 

La situa­tion à Paris ne per­met pas d’offrir des condi­tions de vie décentes. Mi-​février, cinq grandes villes ont annon­cé pour­suivre l’État pour dénon­cer ses “carences” en matière d’hébergement d’urgence. “Les situa­tions sont extrê­me­ment dégra­dées à un niveau com­plè­te­ment inédit”, témoigne la maire de Rennes, Nathalie Appéré (PS), qui appré­hende “avec beau­coup d’inquiétude la fin de la trêve hiver­nale”. Pour dor­mir au chaud, des familles s’abritent “dans des cages d’escalier ou des locaux à pou­belles”, constate aus­si la sage-​femme. Alors quand un ate­lier sur l’allaitement ras­semble une dizaine de ces exi­lées pour par­ler nombre de tétées par 24 heures ou repro­duire la taille de l’estomac du bébé avec de la pâte à mode­ler, les visages se décrispent enfin.

“Pendant long­temps, la place des femmes sans-​papiers en très grande pré­ca­ri­té est res­tée
cachée parce qu’elles étaient héber­gées chez des tiers”,
observe la Ville de Paris. Au début des années 2010, les grandes vagues migra­toires se sont fémi­ni­sées, s’accompagnant de psy­cho­trau­ma­tismes sévères liés aux arri­vées par voie ter­restre et maritime.

Pour ten­ter de faire face, la mai­rie a ouvert en 2019 un centre de pro­tec­tion mater­nelle situé dans l’Hôtel-Dieu, qui a offert un accom­pa­gne­ment à plus de 2 300 femmes. Pour chaque nou­velle arri­vante, l’assistante socio-​éducative Laura Denoune dresse un bilan com­plet afin de “sécu­ri­ser au maxi­mum les par­cours”. Elle tente d’établir pour toutes ces femmes un sta­tut, une domi­ci­lia­tion, une date d’accouchement ain­si qu’une alimentation.

“Avec notre prisme d’Occidentaux, bien sûr que [leur gros­sesse] vient aler­ter. Tu fais un
enfant, t’as pas de loge­ment, t’as pas de papiers, mais ça c’est du juge­ment. Moi je prends la
per­sonne telle qu’elle es
t […] et aujourd’hui, Madame, elle est enceinte”, plaide-​t-​elle.

Cécile-​Laure Lecuit tente de faire de l’échographie pré­na­tale “un moment joyeux de
ren­contre avec le bébé
”. Mais cer­taines patientes ne regardent pas l’écran. “Quand je suis
arri­vée en PMI, j’ai eu l’impression que la gros­sesse était vécue comme une catas­trophe de
plus dans un par­cours de catas­trophes
”, se sou­vient la sage-​femme. Très peu de gros­sesses sont selon elle sou­hai­tées. “Soit les femmes ont été vio­lées, soit elles ont été héber­gées moyen­nant des faveurs sexuelles, soit elles n’ont pas de contra­cep­tion”, tan­dis que cer­taines “pensent obte­nir plus faci­le­ment un loge­ment avec un enfant”, analyse-​t-​elle.

À lire aus­si l Loi immi­gra­tion : “Les femmes migrantes n’ont pas d’autre choix que de conti­nuer à vivre avec la peur au ventre”

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.