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© Capture d'écran reportage France 3

Féminicides : la double peine des femmes mariées, appe­lées par le nom de leurs bourreaux

Dans une socié­té patriar­cale condi­tion­née à nom­mer sans cesse les femmes par le nom de leurs époux, doit-​on condam­ner les vic­times de fémi­ni­cides à por­ter à jamais le patro­nyme de leurs bourreaux ? 

Alexia Fouillot repose au petit cime­tière de Gray, dans la Haute-​Saône, depuis le 8 novembre 2017. Ce nom ne vous évoque peut-​être rien de fami­lier. Et pour cause : la jeune femme est plus connue sous un autre patro­nyme. Celui de Daval. Un nom mari­tal mal­heu­reu­se­ment pas­sé à la pos­té­ri­té, après être deve­nu le sym­bole des fémi­ni­cides par conjoint. L’époux d’Alexia, Jonathann Daval, a été condam­né le 21 novembre 2020 à vingt-​cinq ans de réclu­sion cri­mi­nelle pour avoir tué sa femme dans la nuit du 27 au 28 octobre 2017. « Utiliser le nom “Daval” dans le cas d’Alexia est une forme d’irrespect. C’est lui infli­ger une nou­velle vio­lence », poin­tait avec jus­tesse la jour­na­liste Marguerite Nebelsztein dans un billet d’humeur publié en novembre sur la news­let­ter fémi­niste et par­ti­ci­pa­tive Sorocité.

Lire aus­si : Meurtre d’Alexia Fouillot : le pro­cès de son époux, Jonathann Daval s’ouvre à Vesoul

Commençons par un mea culpa. Parmi les prin­ci­paux res­pon­sables de l’usage du nom mari­tal après un fémi­ni­cide, les médias. En toute trans­pa­rence, Causette, comme une majo­ri­té d’entre eux, a éga­le­ment par­ti­ci­pé au pro­blème. Nous avons choi­si de mettre à jour – avec le nom de nais­sance d’Alexia – notre article sur l’ouverture du pro­cès, en pré­pa­rant celui que vous lisez actuel­le­ment. Facilité jour­na­lis­tique, ou tout sim­ple­ment effet d’imitation pour ne pas « perdre » les lec­trices et lec­teurs, les sup­ports d’information se rejoignent bien sou­vent sur les termes uti­li­sés. Quitte, par­fois, à heur­ter les sen­si­bi­li­tés des premier·ères concerné·es. 

Pour Zoé Royaux, avo­cate et porte-​parole de la Fondation des femmes, il est ain­si cer­tain que les médias (et plus lar­ge­ment la socié­té) ont besoin d’une prise de conscience concer­nant le voca­bu­laire uti­li­sé pour par­ler des femmes vic­times de fémi­ni­cide. « Au même titre qu’on ne veut plus voir de “crime pas­sion­nel”, de “drame fami­lial” et autre “coup de folie”, les médias devraient prendre le temps de contac­ter les proches sur leur sou­hait d’appeler ces femmes par leurs noms mari­taux ou non, inter­pelle l’avocate. Dans le cas d’Alexia, en ayant fait chan­ger le nom sur la pierre tom­bale, sa famille montre bien qu’elle ne veut plus voir le nom Daval. Mais bien sûr, cela ne fait pas vendre de la même manière. »

Une opi­nion que par­tage Sandrine Bouchait, pré­si­dente de l’Union natio­nale des familles de fémi­ni­cide (UNFF), dont les membres sont eux-​mêmes des proches de vic­times : « Nous récla­mons un meilleur trai­te­ment média­tique. Voir le pré­nom de sa mère, de sa sœur, de sa fille, de son amie à côté du nom de celui qui l’a tuée est extrê­me­ment violent. On oublie que les proches aus­si sont des vic­times des féminicides. »

« Je suis per­sua­dée que la tota­li­té des familles de notre asso­cia­tion sou­hai­te­rait faire chan­ger le nom sur les papiers de la vic­time si on le leur proposait » 

Sandrine Bouchait, pré­si­dente de l’Union natio­nale des familles de fémi­ni­cide (UNFF)

« L’affaire Alexia Daval », « l’affaire Anne Barbot1 », « l’affaire Valérie Bary2 »… La média­ti­sa­tion est donc sou­vent à l’origine de ce méca­nisme. Mais qu’en est-​il au regard de la loi, en ce qui concerne les docu­ments légaux suite au décès ? À l’état civil, les choses se com­pliquent. La rai­son : le prin­cipe d’indisponibilité de l’état des per­sonnes. Une per­sonne ne peut dis­po­ser de manière pleine et entière de sa per­son­na­li­té juri­dique, ni un tiers pour elle ou lui. « Vivante, c’est déjà très com­pli­qué de chan­ger de nom, il faut répondre à des cri­tères bien spé­ci­fiques et très sou­vent faire appel à un avo­cat car la pro­cé­dure est longue et dif­fi­cile, sou­ligne l’avocate Zoé Royaux. Décédée, c’est tout sim­ple­ment impos­sible, pour le moment, ça n’existe pas. » Un vide juri­dique pesant pour les familles des vic­times de fémi­ni­cide. « Ça serait impor­tant que la ques­tion se pose un jour, affirme Sandrine Bouchait, dont la petite sœur a été brû­lée vive par son com­pa­gnon en 2017. Je suis per­sua­dée que la tota­li­té des familles de notre asso­cia­tion sou­hai­te­rait faire chan­ger le nom sur les papiers de la vic­time si on le leur proposait. » 

S’il est impos­sible de sup­pri­mer offi­ciel­le­ment le nom d’épouse d’une femme assas­si­née par son mari, les enfants du couple peuvent, en revanche, chan­ger de nom de famille pour prendre celui de leur mère. En effet, selon l’article 61 du Code civil, l’un des cri­tères pour pou­voir chan­ger de nom de famille est « d’éviter de sup­por­ter les consé­quences graves d’une condam­na­tion d’un ascen­dant père ou mère ». Celles et ceux qui récu­pèrent l’autorité paren­tale peuvent ain­si deman­der le chan­ge­ment de nom après un fémi­ni­cide. « Une grande majo­ri­té des enfants prennent le nom de leur père à la nais­sance, que les parents soient mariés ou non, expose Zoé Royaux. Ces enfants, qui sont éga­le­ment des vic­times de fémi­ni­cide, peuvent souf­frir de conti­nuer à por­ter le nom du père. » C’est le cas de la nièce de Sandrine Bouchait, qui a sou­hai­té prendre le nom de sa mère. « Son père a été tota­le­ment déchu de son auto­ri­té paren­tale lors du pro­cès [l’homme a été condam­né le 15 jan­vier 2020 à vingt ans de réclu­sion, ndlr]. Nous avons enta­mé une pro­cé­dure pour chan­ger le nom de ma nièce, mais cela prend énor­mé­ment de temps. »

« Il y a encore des dif­fi­cul­tés à inté­grer le fait que les femmes mariées ne perdent jamais leurs noms de jeune fille »

 Isabelle Steyer, avo­cate spé­cia­li­sée dans le droit des femmes et des enfants

« Le nom d’un être humain est une com­po­sante essen­tielle de sa per­sonne, peut-​être même un frag­ment de son âme », écri­vait Freud en 1913 dans son essai Totem et tabou. Chaque femme acquiert un nom de famille qui lui est trans­mis par un de ses parents à la nais­sance et ne le quit­te­ra jamais. Même lorsqu’elle se marie. « Il y a encore des dif­fi­cul­tés à inté­grer le fait que les femmes mariées ne perdent jamais leurs noms de jeune fille », remarque ain­si Isabelle Steyer, avo­cate spé­cia­li­sée dans le droit des femmes et des enfants. Le nom mari­tal est un nom d’usage facul­ta­tif qui ne rem­place pas le nom de famille. S’il est donc faux de pen­ser que les femmes aban­donnent le nom du père pour celui du mari, elles sont encore nom­breuses à choi­sir d’utiliser le patro­nyme de ce der­nier en nom d’usage. Et de fait, l’entourage, proche ou loin­tain, a cou­tume de gom­mer le nom de jeune fille et au pro­fit du seul nom marital. 

Le nom de famille nous accom­pagne donc du ber­ceau jusqu’à la tombe. Et en ce qui concerne ces lieux de mémoire, la donne est quelque peu dif­fé­rente. « Il est pos­sible d’inscrire le nom de nais­sance, et non le nom mari­tal, d’une femme mariée sur sa sépul­ture puisqu’elle n’a jamais per­du son nom de nais­sance, indique Laurence Mayer, avo­cate en droit de la famille. Pour cela, la famille n’a pas besoin de pas­ser par une pro­cé­dure juri­dique. » Ainsi, même si la jeune femme garde le nom Daval à l’état civil, c’est bien Alexia Fouillot qui repose désor­mais au cime­tière de Gray. Une maigre conso­la­tion qui ne ren­dra jamais à Alexia une indé­pen­dance patro­ny­mique totale vis-​à-​vis de Jonathann. « Elle res­te­ra tou­jours mariée à son mari, même si elle est morte sous ses coups, expose l’avocate Isabelle Steyer. En France, on ne divorce pas post-​mortem. » En conti­nuant de nom­mer ces femmes par leurs noms mari­taux, on leur enlève donc leur propre iden­ti­té. « Au-​delà de la souf­france pour les proches de les voir nom­mées ain­si, on fige ces vic­times pour la pos­té­ri­té dans l’identité de leurs meur­triers, ana­lyse Zoé Royaux. Elles seront liées pour tou­jours aux hommes qui les ont tuées, c’est la double peine. »

1. Anne Blin, épouse Barbot, a été assas­si­née le 15 mars 2013 par son époux Didier Barbot et sa maî­tresse Stéphanie Livet.

2. Valérie Bary, dont le nom de jeune fille n’a jamais été men­tion­né par la presse, a été tuée le 26 mars 2004 par son mari, Laurent Bary. 

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