Capture decran 2023 09 18 a 12.20.58
Migrant·es dans l'école désaffectée du 16e arrondissement © Capture d'écran du Twitter Utopia56

Loi immi­gra­tion : "Les femmes migrantes n’ont pas d’autre choix que de conti­nuer à vivre avec la peur au ventre"

Dans la nuit du mar­di au mer­cre­di 20 décembre, la loi immi­gra­tion a été adop­tée en com­mis­sion mixte pari­taire. Violaine Husson, res­pon­sable des ques­tions "genre et pro­tec­tions" au sein de l’association La Cimade, revient sur ce moment et décrypte pour Causette les consé­quences de ces mesures sur les femmes migrantes.

Causette : Comment avez-​vous réagi à l’adoption du texte par la com­mis­sion mixte pari­taire ? 
Violaine Husson : On savait que ce ne serait pas un texte pro­tec­teur pour les per­sonnes étran­gères, mais là, on a quand même la sen­sa­tion d’avoir fran­chi une ligne rouge assez dévas­ta­trice en termes de droits et de liber­tés. On sait que les droits des per­sonnes étran­gères se réduisent comme peau de cha­grin à chaque fois qu’un texte est voté, puis pro­mul­gué, mais on ne pen­sait pas qu’on tom­be­rait aus­si bas. On le voit d’ailleurs, cela a ébran­lé le monde asso­cia­tif, la socié­té civile mais aus­si le monde politique. 

Comment ont réagi les béné­fi­ciaires de votre asso­cia­tion ? Quelles sont leurs craintes ? 
V.H. : Ces per­sonnes sont évi­dem­ment inquiètes de la suite. Elles vont conti­nuer à vivre dans un quo­ti­dien de ter­reur, avec la boule au ventre, quand il s’agira de mar­cher dans la rue, d’aller au tra­vail ou de prendre les trans­ports. Elles réa­lisent qu’il va être de plus en plus dif­fi­cile de vivre serei­ne­ment sur le ter­ri­toire fran­çais. On le constate dans le cadre de nos per­ma­nences dédiées aux vio­lences, où de nom­breuses femmes migrantes expriment leurs craintes, mais aus­si leur impos­si­bi­li­té de ren­trer dans leur pays d’origine. Elles n’ont pas d’autre choix que de conti­nuer à vivre ici avec la peur au ventre pour elles et leurs enfants. 

On le sait, les femmes en situa­tion de migra­tion sont sou­vent expo­sées aux vio­lences durant leur par­cours migra­toire et leur arri­vée en France n’est que la conti­nui­té des dif­fi­cul­tés. Quelles sont les pro­blé­ma­tiques par­ti­cu­lières qu'elles ren­contrent une fois en France ? 
V.H. : De manière géné­rale, c’est tou­jours très dif­fi­cile de régu­la­ri­ser sa situa­tion en France quand on est une per­sonne sans papiers et que l’on demande un titre de séjour. Mais c’est d’autant plus com­pli­qué pour les femmes migrantes qui subissent bien sou­vent une double dis­cri­mi­na­tion, en tant que femme et en tant que per­sonne étran­gère. Par exemple, pour avoir une carte de séjour de dix ans, il faut rem­plir cer­taines condi­tions, et notam­ment des condi­tions de salaire. Des condi­tions que les femmes étran­gères ne peuvent pas obte­nir puisqu’elles sont sou­vent moins bien payées et tra­vaillent à temps par­tiel. Elles gardent donc des titres de séjour pré­caires et ne par­viennent pas à sta­bi­li­ser leur situa­tion admi­nis­tra­tive. Une inéga­li­té qui a des consé­quences : elles ont des dif­fi­cul­tés à trou­ver un loge­ment décent par exemple. 

la loi immi­gra­tion risque d’accentuer les vio­lences sexistes et sexuelles

Les femmes migrantes sont aus­si davan­tage vic­times de vio­lences sexistes et sexuelles…
V.H. : Tout à fait, les femmes migrantes et les jeunes filles mineures sont sur­ex­po­sées aux vio­lences sexistes et sexuelles et la loi immi­gra­tion risque d’accentuer ces vio­lences. Il faut aus­si noter qu’en France, la seule chose qui a évo­lué posi­ti­ve­ment en droit des per­sonnes étran­gères, c’est la pos­si­bi­li­té pour les per­sonnes vic­times de vio­lences d’obtenir des titres de séjour. Il n’empêche que dans la pra­tique, sont seule­ment concer­nées les per­sonnes qui sont vic­times de vio­lences dans le cadre conju­gal ou fami­lial. Pour obte­nir un titre de séjour, les femmes doivent être mariées avec une per­sonne fran­çaise ou une per­sonne qu’elles ont rejoint par le biais du regrou­pe­ment fami­lial, et ce n’est pas tou­jours le cas. 

Concrètement, quelles consé­quences auront les mesures du pro­jet de loi immi­gra­tion sur les femmes migrantes ? 
V.H. : Le texte va aggra­ver la situa­tion des femmes migrantes. En ce qui concerne, par exemple, la liste des métiers en ten­sion, liée aux offres publiées sur Pôle emploi. [Le texte de loi adop­té mar­di 19 décembre pré­voit que : "Les tra­vailleurs sans papiers exer­çant dans des métiers en ten­sion pour­ront se voir déli­vrer à titre excep­tion­nel une carte de séjour 'tra­vailleur tem­po­raire' ou 'sala­rié'" nldr.]. Les femmes migrantes sont sur­re­pré­sen­tées dans les sec­teurs du "care", tels que la san­té et le ser­vice à la per­sonne, et le tra­vail domes­tique, des sec­teurs qui ne sont pas tou­jours sur Pôle emploi et qui ne seront donc pas consi­dé­rés comme des métiers en ten­sion. Celles qui vont conti­nuer à tra­vailler dans ces métiers ne pour­ront donc pas obte­nir une régu­la­ri­sa­tion sur cette base-​là. Elles seront donc can­ton­nées à res­ter dans ces sec­teurs géné­ra­le­ment peu rému­né­ra­teurs, lar­ge­ment non décla­rés, et qui pour­tant per­mettent de faire fonc­tion­ner la socié­té fran­çaise. La crainte qu’on a, c’est qu’elles vont conti­nuer à tra­vailler dans ces emplois-​là, par­fois dans des situa­tions d’exploitation. Actuellement, on estime à 30 % les femmes migrantes qui sont confron­tées à du chan­tage sexuel pour obte­nir un loge­ment ou un emploi en France.
La sup­pres­sion des droits sociaux va d’autant plus fra­gi­li­ser les familles mono­pa­ren­tales, en majo­ri­té des femmes avec enfants, déjà pré­caires. À cela s’ajoute l’exigence de devoir maî­tri­ser la langue fran­çaise pour pou­voir accé­der aux droits au séjour et à la natu­ra­li­sa­tion. Mais parce que les femmes vivent bien sou­vent sous emprise ou parce qu’elles s’occupent de leurs enfants, leur temps libre est hyper limi­té. Là, on va leur deman­der de libé­rer du temps qu’elles n’ont pas pour pou­voir accé­der à des for­ma­tions afin d’obtenir un titre de séjour.
De façon géné­rale, les femmes vont se faire encore plus dis­crètes qu’elles ne le sont déjà actuel­le­ment. Elles vont avoir plus de mal à sor­tir des endroits où elles vivent et où elles sont par­fois vic­times de vio­lences. On va les pré­ca­ri­ser encore plus et cela, elles en sont bien conscientes. Elles sont très inquiètes. Il faut savoir que les vio­lences, la pros­ti­tu­tion et le tra­fic humain sont davan­tage de dan­gers qu’engendrent cette situa­tion de pré­ca­ri­té et d’instabilité.

En 2020, les femmes étran­gères repré­sen­taient 52 % de l’immigration fran­çaise. Pour autant, elles sont sou­vent invi­si­bi­li­sées des poli­tiques publiques. Pourquoi ?
V.H. : Il existe encore des repré­sen­ta­tions com­plè­te­ment erro­nées sur la pré­sence des femmes migrantes sur le ter­ri­toire euro­péen, et notam­ment fran­çais. On les asso­cie trop sou­vent au regrou­pe­ment fami­lial, or les femmes migrent pour un tas d’autres rai­sons. Pour venir tra­vailler, pour venir étu­dier, pour lut­ter contre les muti­la­tions sexuelles dans leur pays d’origine ou contre les mariages for­cés… Les femmes ont tou­jours migré, et tou­jours en nombre impor­tant. Sauf qu’elles étaient can­ton­nées à des métiers qu’on ne voyait pas, comme les Portugaises dans les concier­ge­ries des immeubles par exemple, on ne les voyait pas dans la rue. Elles sont tou­jours invi­si­bi­li­sées de l’espace public alors qu’elles tra­vaillent dans beau­coup de sec­teurs, dans la res­tau­ra­tion, dans la concier­ge­rie, dans les gardes à domi­cile, dans la confec­tion d’habit… Mais quand on entend les dis­cours poli­tiques, on a l’impression qu’elles n’existent pas. Dans l’imaginaire col­lec­tif, la per­sonne étran­gère est encore bien sou­vent assi­mi­lée à l’homme étran­ger, musul­man, noir, qui vient piquer le bou­lot des Français. C'est faux mais c’est cette figure qui est ins­tru­men­ta­li­sée par les poli­tiques publiques. Un homme étran­ger délin­quant fait beau­coup plus peur qu'une femme étran­gère qui vient en France étu­dier ou fuir des vio­lences dans son pays d’origine. Surtout, les femmes, elles, sont les grandes absentes des dis­cours poli­tiques sur l’immigration. Le pro­jet de loi n’aborde par exemple aucune mesure d’éducation et d’insertion pro­fes­sion­nelle des jeunes filles migrantes et mineures isolées. 

Avez-​vous pré­vu de vous mobi­li­ser contre le pro­jet de loi ? 
V.H. : On va déjà tra­vailler sur ce qui pour­rait être anti­cons­ti­tu­tion­nel dans le texte. Et puis ensuite le mou­ve­ment asso­cia­tif de manière plus large va vrai­ment se mobi­li­ser en jan­vier. Les délais tombent mal puisque plein de gens sont en congés depuis ven­dre­di der­nier et pour plu­sieurs jours. Les mobi­li­sa­tions repren­dront donc en jan­vier au moment du pas­sage au Conseil consti­tu­tion­nel, pour deman­der à ce que la loi ne soit pas pro­mul­guée. De son côté, la Cimade va conti­nuer à se mobi­li­ser pour que la socié­té se rende compte des consé­quences liber­ti­cides de ce pro­jet de loi en termes de droits et de libertés. 

A lire aus­si I Loi “immi­gra­tion” : 150 per­son­na­li­tés exhortent Emmanuel Macron à ne pas pro­mul­guer la nou­velle législation

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.