Dans la nuit du mardi au mercredi 20 décembre, la loi immigration a été adoptée en commission mixte paritaire. Violaine Husson, responsable des questions "genre et protections" au sein de l’association La Cimade, revient sur ce moment et décrypte pour Causette les conséquences de ces mesures sur les femmes migrantes.
Causette : Comment avez-vous réagi à l’adoption du texte par la commission mixte paritaire ?
Violaine Husson : On savait que ce ne serait pas un texte protecteur pour les personnes étrangères, mais là, on a quand même la sensation d’avoir franchi une ligne rouge assez dévastatrice en termes de droits et de libertés. On sait que les droits des personnes étrangères se réduisent comme peau de chagrin à chaque fois qu’un texte est voté, puis promulgué, mais on ne pensait pas qu’on tomberait aussi bas. On le voit d’ailleurs, cela a ébranlé le monde associatif, la société civile mais aussi le monde politique.
Comment ont réagi les bénéficiaires de votre association ? Quelles sont leurs craintes ?
V.H. : Ces personnes sont évidemment inquiètes de la suite. Elles vont continuer à vivre dans un quotidien de terreur, avec la boule au ventre, quand il s’agira de marcher dans la rue, d’aller au travail ou de prendre les transports. Elles réalisent qu’il va être de plus en plus difficile de vivre sereinement sur le territoire français. On le constate dans le cadre de nos permanences dédiées aux violences, où de nombreuses femmes migrantes expriment leurs craintes, mais aussi leur impossibilité de rentrer dans leur pays d’origine. Elles n’ont pas d’autre choix que de continuer à vivre ici avec la peur au ventre pour elles et leurs enfants.
On le sait, les femmes en situation de migration sont souvent exposées aux violences durant leur parcours migratoire et leur arrivée en France n’est que la continuité des difficultés. Quelles sont les problématiques particulières qu'elles rencontrent une fois en France ?
V.H. : De manière générale, c’est toujours très difficile de régulariser sa situation en France quand on est une personne sans papiers et que l’on demande un titre de séjour. Mais c’est d’autant plus compliqué pour les femmes migrantes qui subissent bien souvent une double discrimination, en tant que femme et en tant que personne étrangère. Par exemple, pour avoir une carte de séjour de dix ans, il faut remplir certaines conditions, et notamment des conditions de salaire. Des conditions que les femmes étrangères ne peuvent pas obtenir puisqu’elles sont souvent moins bien payées et travaillent à temps partiel. Elles gardent donc des titres de séjour précaires et ne parviennent pas à stabiliser leur situation administrative. Une inégalité qui a des conséquences : elles ont des difficultés à trouver un logement décent par exemple.
la loi immigration risque d’accentuer les violences sexistes et sexuelles
Les femmes migrantes sont aussi davantage victimes de violences sexistes et sexuelles…
V.H. : Tout à fait, les femmes migrantes et les jeunes filles mineures sont surexposées aux violences sexistes et sexuelles et la loi immigration risque d’accentuer ces violences. Il faut aussi noter qu’en France, la seule chose qui a évolué positivement en droit des personnes étrangères, c’est la possibilité pour les personnes victimes de violences d’obtenir des titres de séjour. Il n’empêche que dans la pratique, sont seulement concernées les personnes qui sont victimes de violences dans le cadre conjugal ou familial. Pour obtenir un titre de séjour, les femmes doivent être mariées avec une personne française ou une personne qu’elles ont rejoint par le biais du regroupement familial, et ce n’est pas toujours le cas.
Concrètement, quelles conséquences auront les mesures du projet de loi immigration sur les femmes migrantes ?
V.H. : Le texte va aggraver la situation des femmes migrantes. En ce qui concerne, par exemple, la liste des métiers en tension, liée aux offres publiées sur Pôle emploi. [Le texte de loi adopté mardi 19 décembre prévoit que : "Les travailleurs sans papiers exerçant dans des métiers en tension pourront se voir délivrer à titre exceptionnel une carte de séjour 'travailleur temporaire' ou 'salarié'" nldr.]. Les femmes migrantes sont surreprésentées dans les secteurs du "care", tels que la santé et le service à la personne, et le travail domestique, des secteurs qui ne sont pas toujours sur Pôle emploi et qui ne seront donc pas considérés comme des métiers en tension. Celles qui vont continuer à travailler dans ces métiers ne pourront donc pas obtenir une régularisation sur cette base-là. Elles seront donc cantonnées à rester dans ces secteurs généralement peu rémunérateurs, largement non déclarés, et qui pourtant permettent de faire fonctionner la société française. La crainte qu’on a, c’est qu’elles vont continuer à travailler dans ces emplois-là, parfois dans des situations d’exploitation. Actuellement, on estime à 30 % les femmes migrantes qui sont confrontées à du chantage sexuel pour obtenir un logement ou un emploi en France.
La suppression des droits sociaux va d’autant plus fragiliser les familles monoparentales, en majorité des femmes avec enfants, déjà précaires. À cela s’ajoute l’exigence de devoir maîtriser la langue française pour pouvoir accéder aux droits au séjour et à la naturalisation. Mais parce que les femmes vivent bien souvent sous emprise ou parce qu’elles s’occupent de leurs enfants, leur temps libre est hyper limité. Là, on va leur demander de libérer du temps qu’elles n’ont pas pour pouvoir accéder à des formations afin d’obtenir un titre de séjour.
De façon générale, les femmes vont se faire encore plus discrètes qu’elles ne le sont déjà actuellement. Elles vont avoir plus de mal à sortir des endroits où elles vivent et où elles sont parfois victimes de violences. On va les précariser encore plus et cela, elles en sont bien conscientes. Elles sont très inquiètes. Il faut savoir que les violences, la prostitution et le trafic humain sont davantage de dangers qu’engendrent cette situation de précarité et d’instabilité.
En 2020, les femmes étrangères représentaient 52 % de l’immigration française. Pour autant, elles sont souvent invisibilisées des politiques publiques. Pourquoi ?
V.H. : Il existe encore des représentations complètement erronées sur la présence des femmes migrantes sur le territoire européen, et notamment français. On les associe trop souvent au regroupement familial, or les femmes migrent pour un tas d’autres raisons. Pour venir travailler, pour venir étudier, pour lutter contre les mutilations sexuelles dans leur pays d’origine ou contre les mariages forcés… Les femmes ont toujours migré, et toujours en nombre important. Sauf qu’elles étaient cantonnées à des métiers qu’on ne voyait pas, comme les Portugaises dans les conciergeries des immeubles par exemple, on ne les voyait pas dans la rue. Elles sont toujours invisibilisées de l’espace public alors qu’elles travaillent dans beaucoup de secteurs, dans la restauration, dans la conciergerie, dans les gardes à domicile, dans la confection d’habit… Mais quand on entend les discours politiques, on a l’impression qu’elles n’existent pas. Dans l’imaginaire collectif, la personne étrangère est encore bien souvent assimilée à l’homme étranger, musulman, noir, qui vient piquer le boulot des Français. C'est faux mais c’est cette figure qui est instrumentalisée par les politiques publiques. Un homme étranger délinquant fait beaucoup plus peur qu'une femme étrangère qui vient en France étudier ou fuir des violences dans son pays d’origine. Surtout, les femmes, elles, sont les grandes absentes des discours politiques sur l’immigration. Le projet de loi n’aborde par exemple aucune mesure d’éducation et d’insertion professionnelle des jeunes filles migrantes et mineures isolées.
Avez-vous prévu de vous mobiliser contre le projet de loi ?
V.H. : On va déjà travailler sur ce qui pourrait être anticonstitutionnel dans le texte. Et puis ensuite le mouvement associatif de manière plus large va vraiment se mobiliser en janvier. Les délais tombent mal puisque plein de gens sont en congés depuis vendredi dernier et pour plusieurs jours. Les mobilisations reprendront donc en janvier au moment du passage au Conseil constitutionnel, pour demander à ce que la loi ne soit pas promulguée. De son côté, la Cimade va continuer à se mobiliser pour que la société se rende compte des conséquences liberticides de ce projet de loi en termes de droits et de libertés.
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