1599px Assemblée Nationale Seine
©Jebulon

Quatre ans plus tard, la majo­ri­té consent à ins­crire le droit à l’avortement dans la Constitution

À la suite de la déci­sion de la Cour suprême des États-​Unis remet­tant en cause le droit à l’IVG, le groupe Renaissance a annon­cé, same­di matin, le dépôt d’une pro­po­si­tion de loi pour l’inscrire dans la Constitution fran­çaise, alors même que les député·es LREM avaient reje­té à deux reprises cette ini­tia­tive por­tée par la gauche. La Nupes sou­haite désor­mais un texte commun. 

Sanctuariser le droit à l’avortement. À l’heure où la Cour suprême des États-​Unis a annu­lé, ven­dre­di, l’arrêt emblé­ma­tique Roe v. Wade, garan­tis­sant aux Américaines l’accès à l’IVG au niveau natio­nal, deux groupes par­le­men­taires fran­çais sou­haitent désor­mais l’inscrire dans le marbre de la Constitution, afin de le pro­té­ger. Son ins­crip­tion en ferait alors un droit fon­da­men­tal. « Nous vou­lons l’inscrire pour qu’on ne puisse plus reve­nir sur cette conquête essen­tielle du droit des femmes », a annon­cé, ven­dre­di sur Twitter, Mathilde Panot, la pré­si­dente du groupe La France insou­mise (LFI), qui sou­hai­tait pro­po­ser cette mesure « dès lun­di » à ses cama­rades de la Nupes. Mais, à peine l’avait-elle annon­cé, que son homo­logue macro­niste Aurore Bergé lui grillait la poli­tesse en dépo­sant son propre texte same­di matin.

Lire aus­si I Le Missouri est le pre­mier État amé­ri­cain à inter­dire l'avortement après la déci­sion de la Cour suprême

Dans la fou­lée de la dépu­tée Aurore Bergé – dont la pro­po­si­tion de loi sti­pule que « nul ne peut être pri­vé du droit à l’interruption volon­taire de gros­sesse » -, les député·es de l’intergroupe de la Nupes1 ont donc pris le train en marche en annon­çant same­di, dans un com­mu­ni­qué, leur volon­té de dépo­ser « un texte com­mun à l’ensemble des groupes de l’Assemblée natio­nale qui le sou­haitent ». Tout en poin­tant le refus de la majo­ri­té de légi­fé­rer sur la ques­tion sous le quin­quen­nat pré­cé­dent : « La pré­si­dente du groupe LREM [La République en marche, aujourd’hui Renaissance, ndlr] reprend cette pro­po­si­tion que les par­le­men­taires avaient reje­tée à plu­sieurs reprises dans la man­da­ture pré­cé­dente », précisent-ils·elles. 

Si la Nupes s’est « féli­ci­tée de ce revi­re­ment », les réac­tions ne se sont pas fait attendre. « Heureux que LREM reprenne la pro­po­si­tion de consti­tu­tion­na­li­sa­tion du droit à l’IVG qu’elle avait jusqu’alors refu­sée. Privés de majo­ri­té, les mar­cheurs réflé­chissent mieux », a iro­ni­sé sur Twitter, le pre­mier secré­taire du Parti socia­liste, Olivier Faure.

Cheval de bataille 

À gauche, l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution fait, en effet, figure depuis des années de che­val de bataille. Le chef de file des Insoumis·es, Jean-​Luc Mélenchon, en a fait l’une des mesures phares de son pro­gramme pré­si­den­tiel depuis 2012. « Les femmes sont pro­prié­taires de leur corps, elles et elles seules. Ni leur mari, ni leurs enfants, ni leur famille. C'est un droit fon­da­men­tal […] qui touche à la liber­té la plus intime, la pos­ses­sion de soi », expliquait-​il en octobre der­nier, sur BFM-​TV, lorsqu’il était can­di­dat à l’élection présidentielle. 

Lire aus­si I Est-​ce pos­sible d'inscrire le droit à l'avortement dans la Constitution, comme le sou­haite Jean-​Luc Mélenchon ?

Une mesure reprise éga­le­ment par les par­le­men­taires de LFI. En juillet 2018, en pleine réforme consti­tu­tion­nelle, les député·es de l’opposition, et notam­ment ceux·celles de La France insou­mise, pro­posent dans un amen­de­ment d’allonger de cinq lignes le pré­am­bule de la Constitution pour y ins­crire le droit à une contra­cep­tion adap­tée et gra­tuite, ain­si que l’accès à l’avortement « sans jus­ti­fi­ca­tion, dans un délai de qua­torze semaines d’aménorrhée mini­mum ». Une pro­po­si­tion for­mu­lée, à l’époque, pour empê­cher une future majo­ri­té, quelle qu’elle soit, de « détri­co­ter ce droit fon­da­men­tal conquis pour l’émancipation des femmes », selon les mots pro­non­cés à l’époque par la dépu­tée LFI Clémentine Autain lors des débats dans l’hémicycle. 

Un droit « suf­fi­sam­ment garanti »

Pas néces­saire, esti­maient, en revanche, les député·es LREM, jugeant ces droits suf­fi­sam­ment garan­tis. « Il n’est nul besoin de bran­dir des peurs fon­dées sur la situa­tion de ces droits dans d’autres pays pour affir­mer qu’ils seraient mena­cés dans le nôtre », avait ain­si réagi la dépu­tée LREM Yael Braun-​Pivet, aujourd’hui can­di­date de la majo­ri­té pour le per­choir de l’Assemblée, lorsque les Insoumis·es citaient des brèches inquié­tantes en Pologne ou Espagne. 

Même son de cloche du côté du gou­ver­ne­ment de l’époque : Nicole Belloubet, alors garde des Sceaux, expli­quait éga­le­ment que ce droit en France était « suf­fi­sam­ment garan­ti », tan­dis qu’Agnès Buzin, ministre de la Santé, s’était oppo­sée à cette pro­po­si­tion de loi, dési­rant « évi­ter à tout prix l’inflation légis­la­tive, a for­tio­ri en matière consti­tu­tion­nelle ». Il semble qu’aujourd’hui, au regard de ce qu’il se déroule de l’autre côté de l’Atlantique, les men­ta­li­tés de la majo­ri­té ont évolué. 

Nouvelle ini­tia­tive en juillet 2019 et nou­velle douche froide. Luc Carvounas, alors dépu­té PS et membre de la délé­ga­tion de l’Assemblée natio­nale aux droits des femmes, dépose à son tour une pro­po­si­tion de loi, cosi­gnée par des com­mu­nistes et des insoumis·es, pour ins­crire dans la Constitution le droit à l’avortement, sans jamais par­ve­nir à l’inscrire à l’ordre du jour. « Si les dépu­tés de la majo­ri­té le sou­haitent, le texte est prêt, il est dans les car­tons. Je ne veux pas ren­trer dans une polé­mique : si notre tra­vail peut ser­vir main­te­nant, c’est très bien », a com­men­té same­di l’actuel maire d’Alfortville (Val-​de-​Marne), auprès de France Info

Ne prendre aucun risque 

Aurore Bergé n’a pas réagi à ce chan­ge­ment de posi­tion, mais a indi­qué auprès de France Info que cette déci­sion rapide a été moti­vée par celle de la Cour suprême amé­ri­caine, qui montre « que les droits des femmes ne sont mal­heu­reu­se­ment jamais acquis ». La pré­si­dente du groupe Renaissance à l’Assemblée a éga­le­ment poin­té l’arrivée dans l’hémicycle des 89 député·es du Rassemblement natio­nal (RN) dont le par­ti a long­temps été radi­ca­le­ment anti­avor­te­ment. En 2012, Marine Le Pen défen­dait encore le dérem­bour­se­ment de l’IVG par la Sécurité sociale afin, disait-​elle, de dis­sua­der de pré­ten­dus « avor­te­ments de confort »

Pour Aurore Bergé, les député·es RN sont « des oppo­sants farouches à l’accès des femmes à l’IVG » avec qui il ne faut « prendre aucun risque en la matière et donc sécu­ri­ser [le droit à l’IVG] en l’inscrivant dans le marbre de notre Constitution ». Dix ans après avoir défen­du le dérem­bour­se­ment de l’IVG, Marine Le Pen n’exclut pas, cette fois, de voter le texte de la majo­ri­té. « Pourquoi pas », a répon­du la cheffe de file du groupe RN au Monde, same­di 25 juin, avant d’ajouter que « cette agi­ta­tion ne [lui] paraît pas jus­ti­fiée. Nous ne sommes pas les États-​Unis et aucun par­ti n’envisage de chan­ger notre légis­la­tion [en la matière]. » 

La pro­po­si­tion de loi dépo­sée par Aurore Bergé avec les deux groupes de la majo­ri­té, le Modem et Horizons, a aus­si­tôt reçu le sou­tien de la Première ministre, Élisabeth Borne. « Pour toutes les femmes, pour les droits de l’Homme, nous devons gra­ver cet acquis dans le marbre. Le Parlement doit pou­voir se retrou­ver très lar­ge­ment autour de ce texte », a écrit la cheffe du gou­ver­ne­ment sur Twitter

Divergences 

Mais alors que l’inscription du droit à l’avortement sem­blait faire consen­sus entre la majo­ri­té et et la Nupes, le patron du Modem, François Bayrou – allié d’Emmanuel Macron – ne s’y est pas mon­tré favo­rable. « Est-​ce qu’aujourd’hui, fran­che­ment, dans l’état dans lequel le pays se trouve avec toutes les ques­tions que nous avons devant nous, est-​ce qu’il est bon, est-​ce qu’il est utile de faire ça ? Alors même que, à ma connais­sance, aucun cou­rant poli­tique ne remet en cause la loi Veil et ce qu’elle est deve­nue par les évo­lu­tions dif­fé­rentes », a‑t-​il décla­ré dimanche 26 juin au micro de BFM-​TV

Graver le droit à l’avortement dans le marbre devrait prendre du temps. La révi­sion de la Constitution répond, en effet, à un pro­ces­sus pré­cis qui néces­site l’adoption du même texte à l’Assemblée natio­nale et au Sénat. Pour être défi­ni­ti­ve­ment adop­té, le texte devra être ensuite approu­vé par un référendum. 

Une adop­tion qui pour­rait alors faire l’objet d’âpres débats à la chambre haute. « Le Sénat a tou­jours été hos­tile à la recon­nais­sance d’un tel droit. Il pour­rait blo­quer ce pro­jet dès le début. Ce n’est pas aus­si facile que ça de l’inscrire à la Constitution », expli­quait Annabelle Pena, consti­tu­tion­na­liste spé­cia­li­sée dans le domaine des droits et des liber­tés lorsque nous l’interrogions en jan­vier sur la fai­sa­bi­li­té de cette inscription. 

Compromis 

« J’espère qu’au moment du vote de cette pro­po­si­tion de loi, on aura un très large ras­sem­ble­ment et je crois que ce sera un moment de véri­té intense pour tous les groupes poli­tiques afin de ne pas être dans la pos­ture », a affir­mé de son côté Aurore Bergé auprès de France Info

Mercredi, le chef de l’Etat s’était en effet adres­sé aux forces poli­tiques d’opposition dans une allo­cu­tion aux Français·es, les som­mant « de dire en toute trans­pa­rence jusqu’où ils sont prêts à aller », afin de « bâtir des com­pro­mis, des enri­chis­se­ments, des amen­de­ments », notam­ment, « dans une volon­té d’union et d’action pour la nation ». Il semble que l’inscription de l’avortement dans la Constitution fran­çaise soit l’un de ces pre­miers compromis. 

  1. Mathilde Panot, pré­si­dente du groupe LFI, Boris Vallaud, pré­sident du groupe Socialistes et appa­ren­tés, Julien Bayou et Cyrielle Chatelain, copré­si­dents du groupe éco­lo­giste et André Chassaigne, pré­sident du groupe GDR[]
Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.