À la suite de la décision de la Cour suprême des États-Unis remettant en cause le droit à l’IVG, le groupe Renaissance a annoncé, samedi matin, le dépôt d’une proposition de loi pour l’inscrire dans la Constitution française, alors même que les député·es LREM avaient rejeté à deux reprises cette initiative portée par la gauche. La Nupes souhaite désormais un texte commun.
Sanctuariser le droit à l’avortement. À l’heure où la Cour suprême des États-Unis a annulé, vendredi, l’arrêt emblématique Roe v. Wade, garantissant aux Américaines l’accès à l’IVG au niveau national, deux groupes parlementaires français souhaitent désormais l’inscrire dans le marbre de la Constitution, afin de le protéger. Son inscription en ferait alors un droit fondamental. « Nous voulons l’inscrire pour qu’on ne puisse plus revenir sur cette conquête essentielle du droit des femmes », a annoncé, vendredi sur Twitter, Mathilde Panot, la présidente du groupe La France insoumise (LFI), qui souhaitait proposer cette mesure « dès lundi » à ses camarades de la Nupes. Mais, à peine l’avait-elle annoncé, que son homologue macroniste Aurore Bergé lui grillait la politesse en déposant son propre texte samedi matin.
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Dans la foulée de la députée Aurore Bergé – dont la proposition de loi stipule que « nul ne peut être privé du droit à l’interruption volontaire de grossesse » -, les député·es de l’intergroupe de la Nupes1 ont donc pris le train en marche en annonçant samedi, dans un communiqué, leur volonté de déposer « un texte commun à l’ensemble des groupes de l’Assemblée nationale qui le souhaitent ». Tout en pointant le refus de la majorité de légiférer sur la question sous le quinquennat précédent : « La présidente du groupe LREM [La République en marche, aujourd’hui Renaissance, ndlr] reprend cette proposition que les parlementaires avaient rejetée à plusieurs reprises dans la mandature précédente », précisent-ils·elles.
Si la Nupes s’est « félicitée de ce revirement », les réactions ne se sont pas fait attendre. « Heureux que LREM reprenne la proposition de constitutionnalisation du droit à l’IVG qu’elle avait jusqu’alors refusée. Privés de majorité, les marcheurs réfléchissent mieux », a ironisé sur Twitter, le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure.
Cheval de bataille
À gauche, l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution fait, en effet, figure depuis des années de cheval de bataille. Le chef de file des Insoumis·es, Jean-Luc Mélenchon, en a fait l’une des mesures phares de son programme présidentiel depuis 2012. « Les femmes sont propriétaires de leur corps, elles et elles seules. Ni leur mari, ni leurs enfants, ni leur famille. C'est un droit fondamental […] qui touche à la liberté la plus intime, la possession de soi », expliquait-il en octobre dernier, sur BFM-TV, lorsqu’il était candidat à l’élection présidentielle.
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Une mesure reprise également par les parlementaires de LFI. En juillet 2018, en pleine réforme constitutionnelle, les député·es de l’opposition, et notamment ceux·celles de La France insoumise, proposent dans un amendement d’allonger de cinq lignes le préambule de la Constitution pour y inscrire le droit à une contraception adaptée et gratuite, ainsi que l’accès à l’avortement « sans justification, dans un délai de quatorze semaines d’aménorrhée minimum ». Une proposition formulée, à l’époque, pour empêcher une future majorité, quelle qu’elle soit, de « détricoter ce droit fondamental conquis pour l’émancipation des femmes », selon les mots prononcés à l’époque par la députée LFI Clémentine Autain lors des débats dans l’hémicycle.
Un droit « suffisamment garanti »
Pas nécessaire, estimaient, en revanche, les député·es LREM, jugeant ces droits suffisamment garantis. « Il n’est nul besoin de brandir des peurs fondées sur la situation de ces droits dans d’autres pays pour affirmer qu’ils seraient menacés dans le nôtre », avait ainsi réagi la députée LREM Yael Braun-Pivet, aujourd’hui candidate de la majorité pour le perchoir de l’Assemblée, lorsque les Insoumis·es citaient des brèches inquiétantes en Pologne ou Espagne.
Même son de cloche du côté du gouvernement de l’époque : Nicole Belloubet, alors garde des Sceaux, expliquait également que ce droit en France était « suffisamment garanti », tandis qu’Agnès Buzin, ministre de la Santé, s’était opposée à cette proposition de loi, désirant « éviter à tout prix l’inflation législative, a fortiori en matière constitutionnelle ». Il semble qu’aujourd’hui, au regard de ce qu’il se déroule de l’autre côté de l’Atlantique, les mentalités de la majorité ont évolué.
Nouvelle initiative en juillet 2019 et nouvelle douche froide. Luc Carvounas, alors député PS et membre de la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes, dépose à son tour une proposition de loi, cosignée par des communistes et des insoumis·es, pour inscrire dans la Constitution le droit à l’avortement, sans jamais parvenir à l’inscrire à l’ordre du jour. « Si les députés de la majorité le souhaitent, le texte est prêt, il est dans les cartons. Je ne veux pas rentrer dans une polémique : si notre travail peut servir maintenant, c’est très bien », a commenté samedi l’actuel maire d’Alfortville (Val-de-Marne), auprès de France Info.
Ne prendre aucun risque
Aurore Bergé n’a pas réagi à ce changement de position, mais a indiqué auprès de France Info que cette décision rapide a été motivée par celle de la Cour suprême américaine, qui montre « que les droits des femmes ne sont malheureusement jamais acquis ». La présidente du groupe Renaissance à l’Assemblée a également pointé l’arrivée dans l’hémicycle des 89 député·es du Rassemblement national (RN) dont le parti a longtemps été radicalement antiavortement. En 2012, Marine Le Pen défendait encore le déremboursement de l’IVG par la Sécurité sociale afin, disait-elle, de dissuader de prétendus « avortements de confort »
Pour Aurore Bergé, les député·es RN sont « des opposants farouches à l’accès des femmes à l’IVG » avec qui il ne faut « prendre aucun risque en la matière et donc sécuriser [le droit à l’IVG] en l’inscrivant dans le marbre de notre Constitution ». Dix ans après avoir défendu le déremboursement de l’IVG, Marine Le Pen n’exclut pas, cette fois, de voter le texte de la majorité. « Pourquoi pas », a répondu la cheffe de file du groupe RN au Monde, samedi 25 juin, avant d’ajouter que « cette agitation ne [lui] paraît pas justifiée. Nous ne sommes pas les États-Unis et aucun parti n’envisage de changer notre législation [en la matière]. »
La proposition de loi déposée par Aurore Bergé avec les deux groupes de la majorité, le Modem et Horizons, a aussitôt reçu le soutien de la Première ministre, Élisabeth Borne. « Pour toutes les femmes, pour les droits de l’Homme, nous devons graver cet acquis dans le marbre. Le Parlement doit pouvoir se retrouver très largement autour de ce texte », a écrit la cheffe du gouvernement sur Twitter.
Divergences
Mais alors que l’inscription du droit à l’avortement semblait faire consensus entre la majorité et et la Nupes, le patron du Modem, François Bayrou – allié d’Emmanuel Macron – ne s’y est pas montré favorable. « Est-ce qu’aujourd’hui, franchement, dans l’état dans lequel le pays se trouve avec toutes les questions que nous avons devant nous, est-ce qu’il est bon, est-ce qu’il est utile de faire ça ? Alors même que, à ma connaissance, aucun courant politique ne remet en cause la loi Veil et ce qu’elle est devenue par les évolutions différentes », a-t-il déclaré dimanche 26 juin au micro de BFM-TV.
Graver le droit à l’avortement dans le marbre devrait prendre du temps. La révision de la Constitution répond, en effet, à un processus précis qui nécessite l’adoption du même texte à l’Assemblée nationale et au Sénat. Pour être définitivement adopté, le texte devra être ensuite approuvé par un référendum.
Une adoption qui pourrait alors faire l’objet d’âpres débats à la chambre haute. « Le Sénat a toujours été hostile à la reconnaissance d’un tel droit. Il pourrait bloquer ce projet dès le début. Ce n’est pas aussi facile que ça de l’inscrire à la Constitution », expliquait Annabelle Pena, constitutionnaliste spécialisée dans le domaine des droits et des libertés lorsque nous l’interrogions en janvier sur la faisabilité de cette inscription.
Compromis
« J’espère qu’au moment du vote de cette proposition de loi, on aura un très large rassemblement et je crois que ce sera un moment de vérité intense pour tous les groupes politiques afin de ne pas être dans la posture », a affirmé de son côté Aurore Bergé auprès de France Info.
Mercredi, le chef de l’Etat s’était en effet adressé aux forces politiques d’opposition dans une allocution aux Français·es, les sommant « de dire en toute transparence jusqu’où ils sont prêts à aller », afin de « bâtir des compromis, des enrichissements, des amendements », notamment, « dans une volonté d’union et d’action pour la nation ». Il semble que l’inscription de l’avortement dans la Constitution française soit l’un de ces premiers compromis.
- Mathilde Panot, présidente du groupe LFI, Boris Vallaud, président du groupe Socialistes et apparentés, Julien Bayou et Cyrielle Chatelain, coprésidents du groupe écologiste et André Chassaigne, président du groupe GDR[↩]