Elles dénoncent le harcèlement sexiste, s’élèvent contre les violences policières, assument leur homosexualité… À une époque où la parole des artistes reste largement muselée, ce sont des femmes qui osent aujourd’hui donner de la voix sur des questions politiques. Et ce n’est pas tout à fait un hasard.
Il a suffi que la chanteuse Hoshi embrasse l’une de ses danseuses sur la scène des Victoires de la musique en 2020 pour se retrouver victime d’une campagne de harcèlement massive, jusqu’à recevoir des menaces de mort – pour lesquelles elle a porté plainte. Menaces qu’elle n’est pas la seule à essuyer : récemment, l’artiste belge Lous and the Yakuza confiait, elle aussi, « en recevoir régulièrement sur les réseaux sociaux ». En cause ? Ses propos sur le racisme qui visent les femmes noires ou ses prises de parole en faveur du mouvement Black Lives Matter. Un cyberharcèlement qu’a également vécu Camélia Jordana, l’an dernier, après avoir dénoncé publiquement des violences racistes au sein de la police. Des propos qui ont fait réagir jusqu’au ministre de l’Intérieur himself, Christophe Castaner à l’époque. Terrain hautement miné, donc.
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« Il y a un risque à prendre la parole sur ces questions », reconnaît la chanteuse Pomme, qui a publié une lettre ouverte dénonçant les violences sexistes et sexuelles dans l’industrie musicale, la veille des dernières Victoires de la musique. Pas de quoi se faire des ami·es dans le milieu, où le simple fait de signer une tribune contre le sexisme peut vous valoir – de l’aveu même de plusieurs artistes interrogées – d’être cataloguées comme « nid à problèmes ». « En fait, c’est très simple : si tu vends des disques, tu peux dire ce que tu veux. C’est trash, mais c’est la réalité. La possibilité de parler est très liée à la place que tu occupes, à ton pouvoir ou non-pouvoir dans cette industrie. Moi, j’ai publié cette lettre parce que j’étais dans une posture qui me permettait de le faire, sans que mon équipe ne soit affolée », poursuit Pomme, l’une des rares à parler publiquement, et sans détour, de ces questions. À l’image d’Yseult, qui a elle aussi profité des dernières Victoires pour pousser un coup de gueule. « Le chemin est long en tant que femme noire, le chemin est long en tant que femme grosse, oubliée de la société, oubliée de la culture », lançait-elle après avoir été sacrée « révélation féminine de l’année ». Et de clamer : « Notre colère est légitime, et j’aimerais que toute la France l’entende. » Un discours cash, porté là encore… par une femme. Car ce sont elles, qui, presque toujours, mettent aujourd’hui un coup de pied dans la fourmilière.
Intimement engagées
« Ce sont avant tout des femmes qui parlent des discriminations qu’elles subissent, qui les touchent intimement, au quotidien, dans leur réalité. Il y a également de plus en plus de femmes musiciennes, autrices et compositrices, là où on les comptait sur les doigts d’une main il y a encore quelques années. L’image de la muse interprète tombe peu à peu. La parole est donc plus personnelle, plus directe. Elle est forcément engagée émotionnellement avant même de l’être politiquement », observe la chanteuse et comédienne Aloïse Sauvage, dont les titres Jimy et Omowi sont devenus des hymnes LGBT+.
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En s’imposant peu à peu dans le paysage musical, ces artistes féminines en transforment la teneur. « Depuis une dizaine d’années, ce sont des femmes qui bousculent les codes. Les unes après les autres sont arrivées des ovnis comme Billie Eilish, Rosalia, Pomme en France, ou Chris(tine and the Queens) – et j’ajouterais aussi, du côté des hommes, Eddy de Pretto, dont le discours sur les injonctions à la masculinité a eu un écho très fort. De manière générale, je crois que, pour qu’on les entende, les femmes ont dû parler plus fort, et donc prendre plus de place », abonde HollySiz, qui a choisi, elle, de mener sa bataille sur le terrain artistique, plutôt que médiatique. Par exemple, en décidant de produire son troisième album ou en livrant sur son prochain EP un titre comme Thank You All I’m Fine, qui s’attaque aux injonctions sociales. Celles liées à l’âge, notamment. « J’ai 38 ans, j’ai sorti mon premier album à 31 ans, à l’âge où on dit à Britney et Lily Allen qu’elles sont trop vieilles. C’est une manière de gentiment dire : “Ça va, merci, je vous emmerde” », explicite-t-elle.
« Pas envie d’être comme Ricky Martin »
Comme elle, nombre d’artistes ne revendiquent pas l’étiquette d’« artiste engagée », préférant porter leurs colères et leurs indignations dans leurs chansons. Dans son univers où l’amour et la sensualité tiennent une place prépondérante, la jeune artiste Joanna a ainsi pris le parti de raconter l’agression qu’elle a vécue, à travers les yeux de son agresseur, dans son titre Pétasse. De jouer la carte de l’hypersexualisation, « pour aller à l’encontre des tabous sur la sexualité et le désir féminin ». Ou encore de réaliser le clip de sa chanson Sur ton corps avec le couple d’acteur et actrice porno LeoLulu, dont elle a diffusé une version sur Pornhub. Vidéo qu’elle a choisi d’introduire par un message de soutien au Syndicat des travailleur·euses du sexe. « J’ai conscience que cette plateforme est problématique. Donc, je voulais infiltrer cette machine et y injecter une dimension politique pour sensibiliser les gens qui consomment du porno sur les réalités des travailleurs et travailleuses du sexe », explicite l’artiste, qui a sorti début mai son album Sérotonine.
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De son côté, la chanteuse Suzane s’est fait connaître du grand public en 2019 avec SLT, une chanson où elle raconte le harcèlement sexiste et sexuel que vivent quotidiennement les femmes. « Dans ma vie de fille, #MeToo a été une révolution. Mon seul pouvoir a été de prendre ma plume pour écrire cette chanson. J’ai pu ressentir une petite appréhension et me demander si ça allait être bien reçu, mais au fond, je m’en fichais un peu. Cette chanson était urgente pour moi », confie l’artiste, qui n’a pas hésité non plus à mettre en scène un couple de femmes lors de sa prestation aux dernières Victoires. Simplement parce qu’elle refuse de se cacher d’être lesbienne. « Je me suis toujours dit que je n’avais pas envie d’être comme Ricky Martin. Je ne veux pas me travestir, ni dans mes textes ni visuellement. Et puis si les artistes ne sortent pas du placard, est-ce que les autres le feront ? » interroge l’interprète de P’tit Gars.
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Pas toujours simple, cependant, de trouver le juste équilibre entre divertissement et engagement. La chanteuse Thérèse dit ainsi avoir mis plusieurs années avant de trouver sa place. « Je n’assumais qu’à moitié l’idée de faire de la pop quelque chose de politique. J’ai longtemps culpabilisé de ne pas arriver à choisir entre mes activités de musicienne, de styliste et de militante. Aujourd’hui, j’assume d’être tout ça à la fois. Et puis, de toute façon, quoique tu fasses en tant qu’artiste, ce sera toujours politique – continuer de véhiculer des clichés, par exemple, c’est aussi une prise de position –, que tu en aies conscience ou non », estime celle dont le titre Chinoise ? étrille sans filtres le racisme anti-asiatique.
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Pour autant, prévient Thérèse, attention à ne pas assigner les artistes à résidence militante, en les réduisant à leur rôle de porte-parole ou de symbole. À l’image d’une Aya Nakamura, que certain·es aimeraient ériger en icône noire et féministe, ce dont elle s’est toujours défendue.
Les mains dans le cambouis
Chez certaines, l’engagement passe d’abord par le fait de mettre les mains dans le cambouis. Thérèse intervient régulièrement dans des écoles, des tables rondes ou des médias (pour parler racisme, féminisme ou encore sexualité)… mais en son nom propre. « Je ne suis pas dans la com, mais je fais des petites choses concrètes », concède modestement la musicienne et chanteuse Sônge. Après avoir animé, en 2019, une master class autour de la composition (avec le collectif lesbien Barbi(e)turix) dédiée aux femmes et personnes non binaires, elle a récemment participé à la Women Metronum Academy, un programme de mentorat destiné aux femmes artistes. Depuis peu, elle propose aussi des stages pour adolescentes désireuses de faire de la production musicale. « Donner des outils et de l’indépendance aux gens que ça intéresse : pour moi, c’est une forme d’empowerment », résume Sônge, qu’on retrouvait par ailleurs à l’affiche des deux dernières Marches des fiertés.
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On pense également à Pomme, qui a lancé à l’automne 2020 un appel au monde associatif, en vue d’inviter, à chacun de ses concerts, une structure engagée sur le sexisme, le racisme ou encore l’écologie. Une initiative suspendue à cause du Covid, qu’elle compte bien mettre en œuvre lors de sa prochaine tournée en salles. Elle précise : « C’est une manière pour moi d’être dans le concret. Malgré les critiques, c’est aussi très à la mode aujourd’hui de se dire féministe, ou engagé·e… Et je n’ai pas envie de faire partie des gens qui disent des choses, mais ne les font pas. » De ce côté-là, on est plutôt confiant·es.
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