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Miss Europe 1929 : sois belle mais pas juive !

Les reines de beau­té incarnent une cer­taine idée de la « race », comme on la nomme sans détour dans ces années 1920, lorsqu’elles arrivent en Europe. On est tou­jours « Miss d’où l’on vient », c’est le principe.Mais Erzsébet Simon Böske, Miss Europe 1929, est juive. Et va payer au prix fort d’avoir prê­té son concours à ce jeu des iden­ti­tés dangereuses.

Janvier 1929. Le jour­nal Színházi Élet (La Vie du théâtre) orga­nise la pre­mière édi­tion de Miss Hongrie, depuis les étapes locales jusqu’au concours natio­nal. Les concours de miss, arri­vés des États-​Unis et alors orga­ni­sés par les jour­naux, se répandent dans l’Europe des années 1920. Les noms de marques de savon miracle, de cou­tu­riers et de cor­sets fabu­leux se mêlent aux récits des tri­bu­la­tions des belles. Juteuse opé­ra­tion de publi-​information, dont le public est friand. Erzsébet Simon Böske, 19 ans, jolie blonde aux yeux bleus, spor­tive, édu­quée, par­lant plu­sieurs langues, est élue « Belle de Keszthely », sa petite ville natale. Puis « Sirène du Balaton », du nom du lac local. Avant d’être sacrée Miss Hongrie. Le Színházi Élet envoie sa pre­mière miss à l’étape sui­vante, Miss Europe, à Nice. Erzsébet Simon Böske y rem­porte l’élection, face à ses seize concur­rentes de tous les pays d’Europe.

Miss Europe est orga­ni­sé par Maurice de Waleffe. C’est lui qui, déjà en 1920, était à l’origine du pre­mier concours de Miss France, alors appe­lé « La plus belle femme de France ». Au len­de­main de la Grande Guerre, Maurice de Waleffe se donne pour but de célé­brer la beau­té fémi­nine avec des images de miss plein les jour­naux, notam­ment le sien, qu’elles font vendre. Son ambi­tion : requin­quer la libi­do fati­guée des anciens com­bat­tants et relan­cer ain­si joyeu­se­ment la nata­li­té après la grande sai­gnée de la guerre – une guerre qu’il avait appe­lée de ses vœux en 1914. Cet acti­viste d’extrême droite déplore, en ces années 1920, le phy­sique des femmes urbaines, qu’il juge trop libres, aux types phy­siques indé­fi­nis et mélan­gés, au contraire des bonnes pro­vin­ciales. Maurice de Waleffe est un adepte de la pure­té de la race. C’est cette vision : une miss, un type phy­sique, un ter­roir, qu’il promeut.

Une prin­cesse « déjudaïsée »

Miss Europe 1929 est dès lors une décon­ve­nue puisque Erzsébet Simon Böske est juive. Qu’à cela ne tienne ! Il la « déju­daïse ». La fiche offi­cielle de la can­di­date la décrit comme une « déli­cate beau­té blonde, d’une finesse aris­to­cra­tique ». Une aris­to­crate ? Étrange. Dans ses Mémoires (Quand Paris était un para­dis), Waleffe rap­porte ce que l’« on mur­mure » : elle aurait des « ori­gines prin­cières » par son père. Sous-​entendu : l’une de ses aïeules se serait fait mettre enceinte par un prince… Voilà la fable accep­table de sa beau­té, tri­co­tée par le bon Maurice. Et sage comme une image. Pourtant, le jour­na­liste lui-​même se plain­dra, tou­jours dans ses Mémoires, des humeurs furieuses qu’Erzsébet Simon Böske lui aurait fait subir, aux anti­podes du por­trait de prin­cesse sou­mise qu’il en avait fait. Des caprices, comme il le pense ? Il y a lieu de leur sup­po­ser des rai­sons plus pro­fondes. Si Waleffe la déju­daïse, la Tribune juive du 10 février 1929 titre « La plus belle femme d’Europe : une Juive ». Et se féli­cite que la jeune femme « recon­naisse fiè­re­ment sa judaï­té », tout en se pro­cla­mant « satis­faite d’avoir mené à la vic­toire le type fémi­nin hon­grois ». Sans que l’on sache vrai­ment si la jeune femme a pro­non­cé ces pro­pos. De nom­breux autres organes de presse juifs euro­péens se font l’écho de cette vic­toire de la même manière : c’est l’espérance d’un pos­sible vivre-​ensemble – puisqu’une Juive peut être « la plus belle » aux yeux de tous…

Elle affronte une mani­fes­ta­tion anti­sé­mite aux cris de « Mocheté juive !», « Fausse Hongroise ! », « Miss Palestine ! »

À son retour à Budapest en Miss Europe, Erzsébet Simon Böske est accueillie par une foule en liesse. Le maire de la ville lui fait un dis­cours sur le quai de la gare. Il la féli­cite d’avoir res­tau­ré l’honneur de la Hongrie, bafoué en 1920 par le trai­té de Trianon – qui s’est tra­duit par la perte des deux tiers du ter­ri­toire de l’ex-royaume de Hongrie, aupa­ra­vant par­tie inté­grante de l’Empire austro-​hongrois. Une récep­tion à la dimen­sion poli­tique déli­rante au regard de l’événement, signe de crise iden­ti­taire et d’instabilité profonde.

Un conte de fées pervers

Ensuite, tout se ren­verse très vite. Miss Europe passe de mas­cotte à bouc émis­saire. Quatre jours après son arri­vée triom­phante, alors qu’elle signe des auto­graphes, elle affronte une mani­fes­ta­tion anti­sé­mite, aux cris de « Mocheté juive ! », « Fausse Hongroise ! », « Miss Palestine ! ». La mani­fes­ta­tion est com­po­sée essen­tiel­le­ment de femmes : elles répondent à l’appel de la Fédération natio­nale des femmes hon­groises, puis­sante orga­ni­sa­tion comp­tant dans ses rangs un demi-​million de bonnes chré­tiennes. La Fédération publie un pério­dique, La Femme hon­groise, qui explique les prin­cipes du déter­mi­nisme bio­lo­gique – race et genre –, inci­tant la lec­trice à lut­ter contre les Juif·ves et l’émancipation des femmes.

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Ce sont les étu­diants anti­sé­mites de l’Union des étu­diants en agri­cul­ture qui attendent ensuite Erzsébet Simon Böske dans sa ville natale. Ils la har­cèlent, mas­sés devant son domi­cile, met­tant à sac les ciné­mas qui ont pro­gram­mé des actua­li­tés ciné­ma­to­gra­phiques, ces courts-​métrages d’information qui passent en début de séance, dans les­quelles figure un repor­tage sur Miss Europe. Les gérants des salles cèdent et les dépro­gramment. De l’autre côté de l’Atlantique, le New York Times du 31 mars 1929 tease ses lecteur·rices quant à la venue de la belle pour l’élection de Miss Univers au Texas et s’inquiète que des anti­sé­mites « l’importunent » au pays – « Anti-​Semites annoy Miss Europe ». Le mot est faible. Et Erzsébet Simon Böske dit non à Miss Univers. Elle en a assez vu en Europe. En 1930, son titre de Miss Hongrie est remis en jeu. Ironie du sort, Magda Radó, qui reçoit le plus de suf­frages, est juive aus­si. Mais le Színházi Élet décrète ne pas pou­voir envoyer une seconde Juive à l’élection de Miss Europe. C’est trop d’histoires, et pas vrai­ment l’esprit, après tout. On donne tout bon­ne­ment le titre à la pre­mière dau­phine, non-​juive, Maria Papst. C’est à Erzsébet Simon Böske que revient l’honneur de lui remettre son écharpe de « la plus belle ». Un conte de fées déci­dé­ment pervers.

Erzsébet Simon Böske par­vien­dra de jus­tesse à échap­per aux camps d’extermination nazis, ter­rée des mois durant au fond d’une cave. Au contraire de ses parents et de près de 565 000 Juif·ves hongrois·es. La san­té abî­mée, elle sur­vit dans une grande pau­vre­té jusqu’en 1970. Quel « miroir, joli miroir » le film de sa vie ne tend-​il pas au conti­nent auquel elle doit son titre ? 

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