Tara Heuzé-​Sarmini, une entre­pre­neuse peu commune

La créa­trice de l’association Règles Élémentaires, pion­nière sur la ques­tion de la pré­ca­ri­té mens­truelle, mul­ti­plie les pro­jets d'envergure à la dimen­sion sociale. Avec sa nou­velle start-​up Commune, l'entrepreneuse enga­gée s’attaque à un nou­veau sujet, le loge­ment des familles monoparentales.

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© C. P. 

« La clé, c'est de ne jamais s'auto-censurer et de tou­jours cher­cher à créer l'émulation col­lec­tive. » Tara Heuzé-​Sarmini est une femme aux mul­tiples ini­tia­tives ins­pi­rantes que l'échec n'effraie pas. Entrepreneuse de la pre­mière heure, elle a l'art de déni­cher le concept qui va per­mettre de faire évo­luer les lignes de la socié­té. Celle qui est née à Paris dans une famille mul­ti­cul­tu­relle franco-​syrienne n’a besoin que d’une chose : être sti­mu­lée intellectuellement.

Pour ce faire, Tara Heuzé-​Sarmini a une recette magique, la com­plé­men­ta­ri­té. Elle mêle dans ses pro­jets nou­velles tech­no­lo­gies et enga­ge­ment social. Formée à la finance à Sciences Po Paris, au Royaume-​Uni et aux États-​Unis, Tara Heuzé-​Sarmini a ensuite com­men­cé sa car­rière dans la tech avant de se consa­crer à sa pas­sion : l'entrepreunariat. Et à 29 ans, sa jeune car­rière a été récom­pen­sée par le prix espoir de la Femme d'Influence en 2022, remis par le Cercle des Femmes d’Influence, qui dis­tingue l'engagement de la nou­velle géné­ra­tion de jeunes femmes de 18 à 35 ans. Il faut dire que celle qui a créé Règles Élémentaires, la pre­mière asso­cia­tion de lutte contre la pré­ca­ri­té mens­truelle, mul­ti­plie les pro­jets d'entrepreneuriat social. En effet, Tara Heuzé-​Sarmini s’apprête avec son nou­veau pro­jet Commune à s'attaquer au sujet des familles mono­pa­ren­tales en les aidant à trou­ver un loge­ment adap­té à leurs besoins où parents solo et enfants pour­ront vivre ensemble. 

Il est 11h et l'entrepreneuse qui a ins­tal­lé les bureaux de Commune au cam­pus fran­çais de l'université Columbia dans le 6e arron­dis­se­ment de Paris s’autorise une petite pause au café uni­ver­si­taire. Dans un anglais à l'accent amé­ri­cain, Tara Heuzé-​Sarmini demande un thé avant de s'asseoir à une table de la petite salle du café. Vêtue d’un gilet rouge, che­veux déta­chés coiffés-​décoiffés, des cernes dis­si­mu­lés sous ses yeux, Tara Heuzé-​Sarmini se livre avec sin­cé­ri­té, le temps d'une heure, sur sa vie d'entrepreneuse engagée. 

« Il a fal­lu que je m'attelle moi-​même à faire bou­ger la socié­té, parce qu'on n'est jamais mieux ser­vi que par soi-même »

Tara Heuzé-​Sarmini

À l’aube de ses trente ans, Tara Heuzé-​Sarmini a choi­si de se réin­ven­ter avec sa nou­velle entre­prise, Commune, un co-​living pour familles mono­pa­ren­tales. « Un pro­jet pion­nier qui a énor­mé­ment de sens », selon Tess Pettavino, amie de Tara Heuzé-​Sarmini et inves­tis­seuse chez Commune. Celle qui ne conçoit pas de sépa­rer vie pro­fes­sion­nelle et vie per­son­nelle a don­né cœur et âme pour faire naître cette nou­velle start-​up. Il faut dire qu'avec Commune, elle est au cœur de ce qui la motive. Apporter une réponse entre­pre­neu­riale à un besoin social. Et le sujet de la famille mono­pa­ren­tale n’en est pas un des moindres. La sépa­ra­tion avec l'autre parent est aujourd'hui l’un des pre­miers fac­teurs d’appauvrissement en France et dans la plu­part des pays de l’OCDE. Et ce chan­ge­ment de cadre fami­lial touche en grande majo­ri­té les femmes qui voient leur niveau de vie moyen chuter. 

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Une édu­ca­tion ouverte sur le monde 

Le co-​living, c’est en 2019 qu’elle se fami­lia­rise avec ce concept. Alors qu’elle décide de quit­ter Uber, déçue que l'entreprise n'ait pas tenu ses enga­ge­ments éco­lo­giques et qu'elle n'ait pas mis fin au règne de la voi­ture indi­vi­duelle comme elle s'y était enga­gée, elle est chas­sée par une boîte de co-​living pour jeunes travailleur·euses dans la tech en Allemagne. Avec le co-​living, à la dif­fé­rence de la colo­ca­tion, les loca­taires ont la pos­si­bi­li­té de vivre en auto­no­mie dans un appar­te­ment tout en par­ta­geant des espaces et ser­vices com­muns avec leurs voisin·es. Ce concept l’a immé­dia­te­ment séduite. Le confi­ne­ment qui a sui­vi a fini de la convaincre. En sep­tembre 2021, elle se lance au côté de son asso­cié, Ruben Petri, pour qui elle a eu « le coup de foudre pro­fes­sion­nel » dans Commune, mais pour un autre public cible, encore jamais défi­ni jusqu'ici, les familles monoparentales. 

Pour don­ner jour à ces co-​living, Tara Heuzé-​Sarmini et son asso­cié iden­ti­fient des lieux, dont il et elle ne sont jamais les pro­prié­taires. Ils pro­posent ensuite un pro­gramme de tra­vaux pour adap­ter le lieu aux besoins de Commune. En effet, les futures rési­dences qui doivent accueillir une tren­taine de per­sonnes seront com­po­sées d'espaces indi­vi­duels qui com­prennent deux ou trois chambres, une kit­che­nette, une salle de bain pri­va­tive et des espaces de sto­ckage et d'espaces par­ta­gés qui, eux, com­prennent une cui­sine, une salle à man­ger, une salle de jeux, une buan­de­rie, des espaces exté­rieurs. Or « aujourd'hui aucun loge­ment ne cor­res­pond à notre cahier des charges », pré­cise l'entrepreneuse.

Pour le ver­se­ment du loyer, ce sera Commune qui paie­ra direc­te­ment les pro­prié­taires, puis les loca­taire des co-​living ver­se­ront, eux, un loyer à l'entreprise. Via cette start-​up, l'entrepreneuse « apporte une réponse socié­tale avec un modèle éco­no­mique per­ti­nent », indique Alexandre Basdereff, membre du conseil d'administration de Règles Élémentaires et diri­geant de Hopening, une boite de com­mu­ni­ca­tion « au ser­vice de l'engagement et de la géné­ro­si­té ».

En plus d’être pré­cur­seuse, Tara Heuzé-​Sarmini veut faire bou­ger les consciences. Ses enga­ge­ments, elle les tient de son édu­ca­tion. Élevée dans une famille aimante et très bien­veillante, l'enfant pro­dige n’a man­qué de rien. La petite der­nière de la famille a reçu une édu­ca­tion ouverte sur le monde, ce qui lui a per­mis très rapi­de­ment de « prendre conscience de ses pri­vi­lèges de jeune femme blanche et euro­péenne », comme elle l'indique. Un constat qui a fait naître chez elle une insa­tis­fac­tion envers l’ordre éta­bli et qui a nour­ri sa volon­té d’action. « Il a fal­lu que je m'attelle moi-​même à faire bou­ger la socié­té, parce qu'on n'est jamais mieux ser­vi que par soi-​même », précise-​t-​elle. Une force de carac­tère que ses proches appré­cient. « C'est quelqu'un de très entière, qui n'a pas sa langue dans sa poche. Quand quelque chose ne va pas, elle le dit », confie Tess Pettavino. 

Règles élé­men­taires, son pre­mier suc­cès d'entrepreneuse

Celle qui aime la rapi­di­té d’exécution n’en est pas à son pre­mier essai. C’est avec Règles Élémentaires qu’elle a com­men­cé son CV d’entrepreneuse. Il s’agit d’une asso­cia­tion étu­diante sur la pré­ca­ri­té mens­truelle qu’elle a mon­tée « sur un coin de table à Sciences Po Paris » comme elle aime le dire. Règles Élémentaires, c’est une col­lecte étu­diante qui s’est trans­for­mée en bou­le­ver­se­ment socié­tal. « Au lan­ce­ment de la pre­mière col­lecte, en trois jours, on a récu­pé­ré plus de 30 000 pro­duits », raconte Tara Heuzé-​Sarmini. Aujourd'hui grâce à Règles Élémentaires, ce sont plus de 3000 col­lectes qui sont orga­ni­sées en conti­nu sur tout le ter­ri­toire fran­çais. L'association pla­ni­fie ensuite des redis­tri­bu­tions par­tout en France, tout comme elle sen­si­bi­lise à la pré­ca­ri­té menstruelle. 

Très rapi­de­ment, l’association a gagné en ampleur, si bien que Tara Heuzé-​Sarmini a déci­dé d'abandonner l'univers de la tech pour reve­nir dans le monde asso­cia­tif de reprendre la direc­tion géné­rale de Règles Élémentaires pen­dant 17 mois. Un an et demi, c’est le temps que s’est accor­dé l’entrepreneuse pour struc­tu­rer l’association. Tara Heuzé-​Sarmini le savait, elle ne vou­lait pas tra­vailler pour le monde asso­cia­tif. « Un uni­vers trop lent et pas assez glo­ba­li­sé et mon­dia­li­sé », explique-​t-​elle. Mais l'entrepreneuse a été « très trans­pa­rente sur ses aspi­ra­tions », pré­cise Tess Pettavino. Pour celle qui ne se s'éloigne jamais très long­temps du monde de l'entreprise, c’est sous une approche très data et rigou­reuse, notam­ment sur la mesure d’impact, qu’elle a repris les rênes de l’association. « Mais aujourd’hui, j’en suis convain­cue, l’importation à l’univers asso­cia­tif des méthodes que j’ai apprises a fait la réus­site de Règles Élémentaires », confie celle qui se défi­nie comme une activiste.

C’est au moment de ses études en Angleterre qu’elle découvre ce qu’est « la pré­ca­ri­té mens­truelle ». En pre­mière année de mas­ter, Tara Heuzé-​Sarmini a été sol­li­ci­tée pour par­ti­ci­per à une col­lecte de pro­duits d’hygiène intime à des­ti­na­tion des femmes sans-​abri. Ce qui a été frap­pant pour la future entre­pre­neuse qu'elle devien­dra, c’est que jamais aupa­ra­vant, on ne lui avait pro­po­sé de par­ti­ci­per à une col­lecte comme celle-​ci. À son retour en France, Tara Heuzé-​Sarmini a inter­pel­lé son entou­rage et les professionnel·les à ce sujet. Et le bilan était sans appel : per­sonne ne s’était déjà posé la ques­tion de la pré­ca­ri­té mens­truelle. Alors « soit il n’y avait aucun besoin, soit il y avait un énorme tabou », s'est ques­tion­née l'activiste à l'époque. Le 6 mars der­nier, Elisabeth Borne annon­çait le « rem­bour­se­ment par la Sécurité sociale des pro­tec­tions pério­diques réuti­li­sables à par­tir de l'an pro­chain », et ce, « pour toutes les jeunes femmes de moins de 25 ans ». Sept ans plus tard, le tabou se décons­truit donc petit à petit. 

« Grâce à ses pro­jets, elle m’a fait deve­nir un peu fémi­niste et je l’en remercie »

Alexandre Basdereff
Une entre­pre­neuse à la vision engagée 

L'enthousiasme sus­ci­té par ses pro­jets, elle le doit à son tra­vail sans relâche. « Tara Heuzé-​Sarmini, c’est une per­sonne qui tra­vaille 36h par jour », indique Alexandre Basdereff. Mais pour l’entrepreneuse de nature opti­miste, le tra­vail fait son bon­heur. Et pour s'épanouir plei­ne­ment dans ce qu'elle entre­prend, elle n'hésite pas à s'appuyer sur son entou­rage. « J’embarque mes proches dans tous mes pro­jets et ma maman est mon sou­tien numé­ro 1 », confie-​t-​elle. C’est grâce à ces piliers sans faille que l’entrepreneuse a pu inno­ver serei­ne­ment. « Je ne serai sans doute pas là où j'en suis aujourd’hui sans eux », recon­naît Tara Heuzé-Sarmini. 

Aujourd'hui, avec Commune, elle attend le même suc­cès qu'avec Règles élé­men­taires. À la fin de l'année, deux co-​living devraient voir le jour. Un en région pari­sienne et un dans le nord de la France. « Aujourd'hui, on a énor­mé­ment d'intérêt et beau­coup de pré-​candidatures » confie Tara Heuzé-​Sarmini. Et d’ici dix ans, ce sont 500 co-​living dans le monde qui devraient voir le jour. Alexandre Basdereff est lui en tout cas convain­cu de la recette Tara : « Grâce à ses pro­jets, elle m’a fait deve­nir un peu fémi­niste et je l’en remer­cie ».

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