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En concourant à Séoul, dimanche 16 octobre, sans le hijab imposé à toutes les sportives iraniennes, Elnaz Rekabi a défié le régime. ©Capture d'écran Iwsports

Un mois de contes­ta­tion en Iran : l’UE sanc­tionne la police des mœurs alors que les arres­ta­tions se poursuivent

Alors que l’ONG Iran Human Rights dénombre 215 manifestant·es mort·es en Iran depuis le décès de la jeune Mahsa Amini le 16 sep­tembre der­nier, la Communauté euro­péenne a publié lun­di une liste de sanc­tions à l’encontre de onze res­pon­sables ira­niens, dont la police des mœurs.

Les pro­tes­ta­tions ne fai­blissent pas et chaque jour­née de plus est une énième jour­née sous ten­sion. Un peu plus d’un mois après la mort de la jeune Mahsa Amini le 16 sep­tembre, les mani­fes­ta­tions n’en finissent plus de gagner toutes les strates de la socié­té ira­nienne. Après la révolte fémi­niste, à laquelle se sont joint·es les étudiant·es, les lycéen·nes et les pro­fes­seurs, ce sont désor­mais les commerçant·es qui se mobi­lisent dans plu­sieurs villes du pays en se met­tant en grève ou en refu­sant de vendre des voiles. Un mou­ve­ment de contes­ta­tion éga­le­ment sui­vi par les ouvriers du sec­teur pétro­lier dont plu­sieurs mil­liers sont en grève depuis le 10 octobre. Tous·toutes mani­festent leur colère contre le régime des mol­lahs et son guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei. 

Dimanche 16 octobre, de nou­velles mani­fes­ta­tions ont eu lieu, notam­ment dans plu­sieurs uni­ver­si­tés des villes de Tabriz et Rasht. Partout ailleurs dans le pays, les femmes conti­nuent de défier le pou­voir en brû­lant publi­que­ment leur hijab, en cou­pant leurs che­veux ou en sor­tant déli­bé­ré­ment sans se cou­vrir la tête.

Lire aus­si I Fariba Hachtroudi : « Ce qui est impor­tant, c'est l'actuelle soro­ri­té en Iran, où laïques et croyantes se raprochent de plus en plus »

Et, comme depuis le début des pro­tes­ta­tions, la République isla­mique conti­nue de répri­mer cette soif de liber­té avec force et bru­ta­li­té. Dimanche, les forces anti-​émeutes ont été mas­si­ve­ment déployées pour répri­mer les manifestant·es. Au moins 215 per­sonnes – dont 27 enfants – ont été tuées depuis le 16 sep­tembre, selon l’association Iran Human Rights (IHR), basée à Oslo.

Lundi 17 octobre, la mort d’Asra Panahiune lycéenne de 16 ans décé­dée cinq jours plus tôt sous les coups des forces de l’ordre au sein même de son éta­blis­se­ment sco­laire, a d'ailleurs été confir­mée par le Conseil de coor­di­na­tion des asso­cia­tions syn­di­cales d’instituteurs ira­niens d’Ardabil, une ville du nord-​ouest du pays, a rap­por­té The Guardian. Et plus de 8 000 per­sonnes ont été arrê­tées dans 111 villes du pays depuis le début de la répres­sion, a rap­por­té same­di, Hrana, un média proche de l’opposition. De leur côté, les auto­ri­tés démentent ces meurtres et ces arres­ta­tions. Les médias offi­ciels ont d’ailleurs rap­por­té same­di qu’au moins 26 membres des forces de sécu­ri­té ont été tués par des « émeu­tiers ».

« Nous ne pou­vons pas et ne vou­lons pas fer­mer les yeux » 

L’Union euro­péenne a réagi face à cette san­glante répres­sion. Les ministres des Affaires étran­gères de l’UE ont adop­té, lun­di 17 octobre, des sanc­tions contre onze diri­geants ira­niens impli­qués dans la répres­sion des mani­fes­ta­tions. La liste publiée le même jour au Journal offi­ciel de l’Union euro­péenne, inclut, entre autres, le ministre des Technologies de l’information et des com­mu­ni­ca­tions, Issa Zarepour, et le chef de la police des mœurs ira­nienne, Mohammad Rostami Cheshmeh. Ils feront pro­chai­ne­ment l’objet d’une inter­dic­tion de visa sur le sol euro­péen ain­si que d’un gel des avoirs dans les États membres de l’UE. 

La déci­sion a été prise au len­de­main d’un incen­die déclen­ché par des affron­te­ments dans la pri­son d’Evine à Téhéran qui a fait huit mort·es et des dizaines de blessé·es par­mi les détenu·es. Des prisonnier·es poli­tiques iranien·nes ain­si que des étranger·ères sont détenu·es dans cet éta­blis­se­ment, dont l’universitaire franco-​iranienne Fariba Adelkhah et l’Américain Siamak Namazi. Ces der­niers seraient en sécu­ri­té selon les infor­ma­tions de Franceinfo. « Lorsque vous voyez ces ter­ribles images de l’incendie de la pri­son, lorsque vous voyez que des per­sonnes paci­fiques, des femmes, des hommes et, de plus en plus, des jeunes et des éco­liers conti­nuent d’être bru­ta­le­ment bat­tus, nous ne pou­vons pas et ne vou­lons pas fer­mer les yeux sur cette situa­tion », a décla­ré la ministre alle­mande des Affaires étran­gères Annalena Baerbock lors de la réunion des chef·fes de la diplomatie. 

Dans la fou­lée de ces sanc­tions, des militant·es de l’association Iran Human Rights (IHR) ain­si que 42 autres orga­ni­sa­tions de défense des droits de l'homme ont publié lun­di une lettre conjointe exhor­tant le Conseil des droits de l'homme de l'ONU à tenir une ses­sion spé­ciale pour abor­der « les crimes, les plus graves en ver­tu du droit inter­na­tio­nal, com­mis en Iran ».

Un geste héroïque 

Dimanche 16 octobre, tan­dis que les manifestant·es défiaient le pou­voir dans les villes ira­niennes, l’athlète Elnaz Rekabi défiait elle aus­si les strictes lois isla­miques à Séoul lors des cham­pion­nats d’Asie d’escalade. La grim­peuse de 33 ans s’est pré­sen­tée en Corée du Sud avec un simple ban­deau dans les che­veux, rom­pant ain­si avec quarante-​trois ans de tra­di­tion et d’obligation. En effet, depuis que l’Iran est deve­nu une République isla­mique en 1979, aucune spor­tive du pays n’a nor­ma­le­ment le droit de concou­rir sans hijab, même à l'étranger.

Son geste héroïque pour­rait cepen­dant lui coû­ter très cher. Arrivée qua­trième de la com­pé­ti­tion, Elnaz Rekabi ne donne plus de signe de vie depuis. Un silence inquié­tant, d’autant que des sources proches de la jeune femme ont confié à la BBC Perse qu’elles n’ont pas pu la contac­ter depuis dimanche soir. En réac­tion, le hash­tag #WhereIsElnazRekabi ? ( « Où est Elnaz Rekabi ? » ) com­men­çait à émer­ger sur Twitter ce mar­di matin. 

Un curieux mes­sage sur Instagram 

Pour l’heure, l’ambassade d’Iran à Séoul assure dans un com­mu­ni­qué qu’ « Elnaz Rekabi est par­tie de Séoul pour l’Iran au petit matin du 18 octobre avec les autres membres de l’équipe ». Le média Iran International English assu­rait néan­moins lun­di soir que « les auto­ri­tés ira­niennes ont confis­qué le pas­se­port de Rekabi à Séoul ». La BBC ajou­tait que selon une source, le télé­phone de la spor­tive avait été éga­le­ment confis­qué après son départ de l’hôtel où elle séjour­nait à Séoul. Pour le média ira­nien IranWire, la spor­tive de 33 ans aurait été direc­te­ment trans­fé­rée à la pri­son d’Evine depuis son arri­vée à l’aéroport de Téhéran. 

Sur Instagram, un compte au nom d’Elnaz Rekabi non cer­ti­fié a pos­té un curieux mes­sage dans une sto­ry ce mar­di matin. « Je retourne en Iran en accord avec ce qui était pré­vu en termes de calen­drier » peut-​on lire alors que la grim­peuse « s’excuse des inquié­tudes » qu’elle a pu « pro­vo­quer » et évoque un pro­blème de timing qui l’aurait empê­chée de por­ter son voile.

Soutien de Joe Biden 

Les manifestant·es ont reçu le sou­tien renou­ve­lé de l’Union euro­péenne, mais aus­si, à nou­veau, celui du pré­sident amé­ri­cain Joe Biden. Ce der­nier a assu­ré que les États-​Unis étaient « aux côtés des citoyens et des cou­ra­geuses femmes d’Iran » lors d’un dépla­ce­ment en Californie, same­di 15 octobre. Le pré­sident a aus­si ajou­té avoir été « sidé­ré de ce que cela avait éveillé en Iran. Cela a éveillé quelque chose, qui [il] pense, ne se tai­ra pas avant un long, long, moment. »

L’indignation pro­vo­quée par la mort, le 16 sep­tembre, de Mahsa Amini a en effet entraî­né la plus grande vague de mani­fes­ta­tions en Iran depuis les pro­tes­ta­tions de 2019 (contre la hausse du prix de l’essence). Trois jours plus tôt, cette jeune kurde ira­nienne de 22 ans avait été arrê­tée par la police des mœurs à Téhéran pour avoir, selon celle-​ci, enfreint le code ves­ti­men­taire de la République isla­mique pour les femmes, pré­voyant notam­ment un strict port du voile. Les auto­ri­tés ira­niennes affirment que la jeune femme est morte des suites d’une mala­die et non de « coups », d’après un rap­port médi­cal reje­té par son père. Son cou­sin a affir­mé qu’elle était morte après « un violent coup à la tête ».

Depuis, la flamme de liber­té ne cesse de se consu­mer en Iran et menace à pré­sent d’embraser, à son tour, les pays de la région. Au Liban, en Turquie, dans le nord de la Syrie ou même en Afghanistan, des femmes, che­veux cou­pés, ont défi­lé dans les rues pour sou­te­nir les Iraniennes, mar­te­lant « Femmes, Vie, Liberté », le slo­gan d'une révolte qui ne fai­blit pas. Bien au contraire. 

Lire aus­si I « Cette liber­té, d’autres femmes au-​delà de vos fron­tières la réclament pour leurs sœurs » : lettre d'une Franco-​iranienne au régime iranien

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