Fariba Hachtroudi : « Ce qui est impor­tant, c'est l'actuelle soro­ri­té en Iran, où laïques et croyantes se raprochent de plus en plus »

Journaliste et écrivaine iranienne installée en France, Fariba Hachtroudi raconte pour Causette l'espoir que suscite en elle le mouvement de contestation actuel en Iran, né de la mort inique de la jeune Mahsa Amini.

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Fariba Hachtroudi © Laurent Péters

Elle vit en France depuis son adolescence mais son coeur n'a jamais quitté l'Iran, qu'elle a dû fuir à l'aube de la révolution islamique de Khomeyni. Fariba Hachtroudi, née en 1951 à Téhéran dans une famille d'intellectuel·les, est devenue journaliste et écrivaine. Elle a collaboré avec de grands titres telles que Le Monde, La Revue des deux mondes ou Elle et a écrit une douzaine d'essais et de romans, dont le dernier, Ali, la parole défendue, propose une version éclairée et pleine de sagesse de la vie du premier imam des chiites.

Créatrice de l'association Mohsen Hachtroudi - du nom de son père, mathématicien et humaniste iranien -, Fariba Hachtroudi n'a de cesse que de lutter pour les droits fondamentaux à la liberté, à l'éducation et à l'égalité entre les femmes et les hommes dans son pays d'origine. Forcément, l'actuel mouvement de contestation en Iran qui, depuis le 16 septembre, embrase les rues pour protester contre la mort inique de la jeune Mahsa Amini, décédée après avoir été arrêtée par la police des moeurs, ne pouvait que résonner en elle. Fariba Hachtroudi a accepté de répondre à nos questions sur ce moment d'espoir et d'intense répression que traverse le pays.

Causette : Quelles sont les dernières nouvelles que vous recevez de vos contacts en Iran ?
Fariba Hachtroudi :
Comme vous le savez, il est très compliqué de joindre les gens en Iran puisque le régime coupe les canaux de communication pour étouffer la contestation comme pour enmpêcher les liens avec l'extérieur. Les appels que je reçois depuis les lignes fixes ou les messages via Telegram de la part de mes amis décrivent une situation effrayante. Une amie d’une soixantaine d’années, qui a connu la révolution anti-royaliste de la fin des années 70, m’a ainsi raporté avoir le sentiment de revivre les mêmes choses qu'à ce moment là. Elle me décrit une répression violente, dans laquelle les forces de l'ordre coincent les manifestants dans des petites ruelles du centre de Téhéran pour les gazer. Une amie à elle a été accompagnée à l'hôpital parce que sa gorge et ses yeux étaient profondément irrités et mon amie n'a dû son salut qu'à quelqu'un du voisinage qui lui a ouvert la porte pour la cacher afin qu'elle ne soit pas arrêtée. C'est un élément important parce que, de fait, dans ce qui ressemble de plus en plus à des scènes de guerre civile avec des jets de pierres rappelant les intifadas en Palestine, les gens âgés osent de moins en moins participer aux manifestations : ceux qui sortent sont les jeunes qui peuvent courir.

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Selon le dernier bilan officiel, les heurts entre manifestant·es et forces armées auraient pour l'heure fait 41 mort·es, dont une poignée chez la police. Ces chiffres sont-ils fiables ?
F.H. :
Il faut partir du principe que ces chiffres avancés par le régime sont toujours sous estimés. On suppose qu’il y en a donc bien plus [l'ONG Iran Human rights, basée à Oslo, dénombre au moins 54 décès parmi les manifestant.es ndlr], surtout au Kurdistan parce que les Kurdes ont toujours été dans le collimateur du régime, qui a très peur des séparatistes. Il faut s'attendre à ce qu'on n'ait jamais accès aux véritables chiffres de ces morts violences ou exécutions sommaires, comme lors du dernier soulèvement populaire, en 2019.
A cela s'ajoutent les arrestations massives [au moins 1200 recensées par l'AFP], avec, partout dans le pays, des rafles devant l'université, à la sortie du métro ou même jusqu'à chez eux d'étudiants fichés par le régime pour leur activisme.

Certain.es observateur.rices parlent d'une révolution féministe à l'oeuvre en Iran. Partagez-vous cette idée ?
F.H. :
Oui, en ce sens que le slogan principal est « Femmes, vie, liberté ! » Jin, jîyan, azadî »] et que ces slogans sont très importants. En 2009, lorsque le « guide suprême » Khamenei a imposé Ahmadinejad, les manifestants scandaient : « Où est mon vote ? » En 2019, la révolte se cristallisait autour du prix de l'essence. Là, les manifestants crient l'injustice autour de la mort de Mahsa Amini, pour un voile mal porté, et réclament de ne plus être soumis aux règles de la charia, qui fonde le système de la république islamique d'Iran. Du slogan initial, nous sommes très vite passés à « mort à la dictature ».
La revendication féministe de départ a engendré une contestation radicale : plus personne ne croit aux modérés qui ont, avant l'actuel président Raissi, été au pouvoir. C'est très intéressant car en 2019, un modéré du pouvoir avait tenté de prévenir le régime : « Attention, là, ils manifestent contre la cherté de la vie mais attention au jour où ils vont réclamer la liberté dans ce pays. »

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Quel regard portez-vous sur le fait que des hommes aient rejoint ces femmes qui brûlent leurs foulards et se coupent les cheveux ?
F.H. :
Ce sont elles qui ont osé initier le mouvement, et ce qui est beau, c'est que des hommes leur emboîtent le pas. Cette solidarité est cruciale à mes yeux car le mouvement ne pourrait pas perdurer si les hommes n'avaient pas suivi. Aujourd'hui, le mouvement est tiré par les femmes, les universitaires, les intellectuels, les artistes et la jeunesse. Même des figures populaires, comme des footballeurs.
Quelque chose a mûri dans la société et a changé. Je suis partie en Iran pendant trois ans ces dernières années, et ai rencontré à cette occasion une professeure virée de son université pour un tablier dont il manquait un bouton en bas. Elle m’a dit : « Ce qui m’a choquée, Fariba, ce n’est pas eux, c’est mon mari, qui m’a dit "ils ont raison, il y a une règle vestimentaire, pourquoi voulais-tu te faire remarquer ?" » Force est de constater que les mentalités évoluent.

Assiste-t-on à un mouvement féministe inédit dans le pays ?
F.H. :
Par son ampleur sans doute mais pas dans ses revendications. Voilà un siècle que les Iraniennes se battent pour leur liberté. En 1953, mon père, alors invité à l’ambassade de France, déclarait : « La révolution de ce siècle sera la Bastille de la liberté des femmes à travers le monde, et notamment en Iran. »
On se souvient avoir appris que, durant son adolescence, la sublime actrice Golshifteh Farahani avait rasé ses cheveux et bandé ses seins pour accéder à la liberté dont jouissent les garçons. Ou, il y a quelques années, ces hommes qui, par solidarité avec les femmes opprimées, avaient diffusé sur les réseaux sociaux des photographies d'eux en tchador. A l'été 2021, alors que j'étais encore dans le pays, je voyais de plus en plus de jeunes filles sans voile. L'arrivée de Raissi à la présidence, après le modéré Rohani, annonçait que la vis allait être serrée. Mes amis là-bas m'ont conseillé de ne pas revenir en me disant : « Ils ne rigolent plus. »

Qu'avez-vous observé d'autre, en matière de féminisme, lors de votre séjour en Iran ?
F.H. :
Ce qui m'intéresse, c'est l'actuelle sororité dans le pays, que j'ai pu éprouver lors de mon récent séjour. Laïques, croyantes, femmes en tchador et d'autres souhaitant retirer leur voile se raprochent de plus en plus. J'ai assisté à un débat de femmes ayant la foi mais dont le propos était de dire « le voile est une injure à Dieu. Si votre Dieu se préoccupe de la chevelure des femmes et de la taille de la barbe des hommes, alors, nous n'avons pas le même Dieu. » Ne portant moi-même pas le voile, à la barbe du régime et parce que je pense qu'en tant qu'aînée, je dois montrer l'exemple et dire aux jeunes filles « n'ayez pas peur », je me suis liée avec une femme « entchadorée". Elle a été mon ange-gardien. Lorsque des hommes qui me dévisageaient dans la rue, elle leur rétorquait : « De quoi vous vous mêlez ? »

La rencontre entre Emmanuel Macron et Ebrahim Raissi, la semaine dernière à New York, en marge d'un sommet de l'ONU a choqué beaucoup de manifestant·es. Les échanges ont été concentrés sur la question du nucléaire iranien et très peu sur les droits des femmes, alors même que des manifestant·es se faisaient tuer. La presse du régime s'est félicitée de cette rencontre. Qu'en pensez-vous ?
F.H. :
A mon sens, Emmanuel Macron fait son devoir, je ne suis pas très critique sur sa politique étrangère de Macron. Il agit avec pragmatisme, couper les ponts avec l'Iran n'est pas une solution.
Par contre, je trouve très culotté de la part de Raissi qu'il ait eu l'aplomb de déclarer à la presse, alors qu'il était dans l'avion pour New York, qu’il était la voix de la population et que l’Iran était l'un des pays qui respecte le plus les droits de l’homme.

Alors que le mouvement est férocement réprimé, quelle peut être la suite, selon vous ?
F.H. :
J'ai entendu un ancien ministre du tourisme dire « le voile obligatoire n'est pas l'ultime symbole de la république islamique, on peut probablement revenir sur certaines règles ». Pour moi, c'est une manière de préparer le terrain : lâcher sur le voile, sous certaines conditions, permettre une petite ouverture, pour maintenir le système et sauver la peau de la république islamique.
Néanmoins, je garde espoir. Il faut savoir que depuis des décennies, il y a une fracture totale entre le pouvoir et la population, ce sont deux mondes parallèles. Je pense qu’un jour il va y avoir une bascule et je ne sais pas comment, cette fois, le pouvoir va s’en sortir.
En fait, tous les scénarios sont possibles : couvre-feu, armée dans la rue... Khamenei n’a, pour l'heure, pas ouvert la bouche, c’est un signe que le pouvoir est aux abois. Il est aussi possible qu'advienne un coup d'Etat militaire pour calmer le jeu. Mais pour quelle alternative ?

Ali

Ali, la parole défendue, de Fariba Hachtroudi, éditions Erick Bonnier

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