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Catherine Wolfe Donohue, en février 1938. Très affaiblie par un cancer, elle s’est effondrée la veille au tribunal. Son employeur sera le premier à être reconnu responsable de son état de santé. © Chicago Sun Times

1925 : les Radium Girls réclament justice

On les appelait les « filles fantômes », car elles brillaient dans la nuit. Ces femmes, ouvrières dans des usines de montres au début du XXe siècle aux États-Unis, ont été irradiées par du radium. Un scandale sanitaire qui a mené celles qui n’en sont pas mortes devant les tribunaux pour faire reconnaître la responsabilité de leurs employeurs.

1914-1918. La Première Guerre mondiale fait rage et un objet attise les convoitises de nombreux soldats américains dans les tranchées : les montres phosphorescentes, utiles pour lire l’heure malgré l’obscurité des champs de bataille. « Au sortir de la guerre, un soldat américain sur six possédait une montre lumineuse », note Kate Moore, autrice de l’ouvrage Radium Girls, qui retrace le parcours de ces femmes irradiées. Pour que ces cadrans s’illuminent dans la pénombre, le composant est tout trouvé : le radium. Découvert par Marie et Pierre Curie en 1898, cet élément radioactif, un million de fois plus puissant que l’uranium, fascine. On dit qu’il rajeunit, donne un meilleur teint et anéantit tumeurs et cancers… « Les entrepreneurs se sont vite engouffrés dans la brèche », abonde Kate Moore, qui a effectué un long voyage aux États-Unis pour réaliser son enquête.

Plusieurs usines américaines décident de fabriquer et de commercialiser des montres luminescentes. Les objets nécessitent, pour leur fabrication, une méthode bien spécifique : peindre les chiffres et les aiguilles avec un pinceau imbibé de radium. Pour gagner en justesse, on affine le pinceau en le mettant à la bouche. Et en avalant au passage quelques particules de la substance. Le tout sans protection. Pour réaliser ce travail minutieux, les entreprises embauchent des femmes uniquement, souvent très jeunes et originaires de la classe ouvrière. « Je soupçonne que c’était davantage dû à la nature délicate et artistique de l’œuvre, supposée mieux convenir à leurs petites mains et à leur souci du détail », indique Kate Moore, consciente de la vision purement stéréotypée des employeurs de l’époque. 

Décomposition progressive

Mollie Maggia fait partie des recrues. Elle a été embauchée à l’US Radium Corporation à Orange, dans le New Jersey, en 1917. En 1922, la jeune fille commence à présenter de sérieux symptômes. Ses dents tombent une par une, ses jambes flanchent et elle ne parvient plus à marcher. Lors d’un rendez-vous chez son dentiste, son os maxillaire se détache dans les mains du praticien. Mollie se décompose petit à petit de l’intérieur et ses os brillent dans la nuit. Quelque temps plus tard, toujours en 1922, sa veine jugulaire lâche et elle décède. Elle n’a que 24 ans. C’est la première des ouvrières à succomber au radium. D’après des études réalisées quelques décennies plus tard, plusieurs milliers de femmes seront contaminées aux États-Unis et au Canada. Même si, selon Kate Moore, « on ne peut pas dire avec certitude combien exactement, car, à cette époque, les registres d’emploi n’existaient tout simplement pas ». 

Pourtant, des études avaient déjà montré la dangerosité du radium. Les hommes en contact avec de grosses quantités de substance ont d’ailleurs droit, eux, à des équipements « comme des tabliers de plomb et des pinces à pointes d’ivoire ». Ce qui n’empêche pas les contaminations : « En 1906, le décès d’un laborantin dû à des brûlures au radium a été signalé à l’Académie française de médecine. » Mais ces signaux d’alerte ne sont pas pris en compte et le diagnostic indiquera que Mollie est morte de la syphilis…

Étude passée sous silence

De leur côté, les entreprises nient toute responsabilité. Une étude indépendante, réalisée à l’US Radium Corporation, montre pourtant la dangerosité de l’élément radioactif. Le document sera caché et la firme fera tout pour passer sous silence l’évidence. « Bien que des dizaines de jeunes femmes soient mortes, ce n’est qu’à la mort du premier employé [en 1925] qu’un expert s’intéresse au sujet », s’insurge Kate Moore. Le médecin Harrison Martland comprend enfin les causes de ces décès après une autopsie fine du cadavre de Mollie Maggia. 

La même année, cinq ouvrières décident de poursuivre leur employeur en justice. Le procès n’aura lieu que quatre ans plus tard, en 1928, et se soldera par un accord à l’amiable entre les parties. Mais l’affaire fait la Une des journaux internationaux. Une prise de conscience des dangers à l’échelle mondiale que même Marie Curie commente, très pessimiste : « Il n’y a absolument aucun moyen de détruire cette substance une fois qu’elle entre dans le corps humain. » 

En 1927, plus d’une cinquantaine de « filles fantômes » avaient déjà succombé aux radiations. Employée d’un fabricant de montres lumineuses dans l’Illinois, Catherine Wolfe Donohue se rend compte, après avoir été embauchée à 19 ans, que les choses ne tournent pas rond : « Mes vêtements suspendus dans un placard sombre émettaient un reflet phosphorescent », raconte-t-elle dans ses écrits. Malgré une énorme tumeur à la hanche, la courageuse ouvrière poursuit son employeur en justice, mais s’affaiblit tellement que son procès est en danger. « Elle a témoigné sur son lit de mort, utilisant ses derniers vestiges d’énergie pour combattre la cause », admire Kate Moore.

Première condamnation

Un dernier effort qui ne sera pas vain : en 1938, la commission industrielle de l’Illinois déclara l’employeur responsable de son état de santé, ce qui mena à la prise en compte progressive de la santé des travailleurs et des travailleuses dans le droit américain ainsi qu’à la reconnaissance de l’intoxi­cation au radium comme maladie professionnelle. Reste que la plupart des ouvrières de ces usines sont mortes avant ce jugement. Heureusement, certaines ont survécu. L’une de leurs dernières représentantes, Mae Keane, est décédée à 107 ans, en 2014, après avoir, tout de même, perdu toutes ses dents et développé deux cancers. 

1917

Premières femmes embauchées par l’US Radium Corporation.

1917
12 septembre 1922

Mort de Mollie Maggia, première fabricante de montres à succomber aux effets du radium.

12 septembre 1922
1928

Cinq Radium Girls assignent leur employeur en justice. L’affaire prend une résonance internationale.

1928
1938

Procès remporté par Catherine Wolfe, son employeur déclaré responsable de son état de santé.

1938
28 avril 1971

Création de l’Occupational Safety and Health Administration, chargée de la prévention de la santé des travailleurs·euses aux États-Unis.

28 avril 1971
Mars 2014

Une des dernières Radium Girls, Mae Keane, décède à l’âge de 107 ans.

Mars 2014

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