Iran Manif
Le 24 septembre à Paris, une manifestation en soutien aux femmes iraniennes © A.C.

« Cette liber­té, d’autres femmes au-​delà de vos fron­tières la réclament pour leurs sœurs » : lettre d'une Franco-​iranienne au régime iranien

Lectrice de Causette née en Iran, Tara Simon-​Daneshvar a écrit une lettre ouverte au régime ira­nien qui, depuis plus d'un mois, réprime dans le sang la révo­lu­tion fémi­niste pour arra­cher le droit de ne plus por­ter le voile. 

Nous publions ci-​dessous la lettre ouverte de Tara Simon-​Daneshvar, Franco-​iranienne née en 1981 en Iran. Sophrologue de pro­fes­sion, Tara Simon-​Daneshvar observe, depuis le 16 sep­tembre et la mort de la jeune Mahsa Amini, les Iraniennes se sou­le­ver avec un cou­rage ahu­ris­sant pour pro­tes­ter contre le port du voile obli­ga­toire. C'est cette loi liber­ti­cide et inique qui a entraî­né le décès de Mahsa Amini, trois jours après son arres­ta­tion par la police des mœurs pour pour du voile non conforme. Depuis le début de la contes­ta­tion fémi­niste qui s'en est sui­vie, l'ONG Iran Human Rights a recen­sé 215 morts par­mi les manifestant·es, dont 27 enfants.

Lettre ouverte de Tara Simon-Daneshvar

"J'ose. J'ose vous envoyer mon texte. Je suis une femme et je suis Iranienne. Je n'ai aucun mérite, parce que je vis en France et que je vis depuis près de 40 ans dans le confort que ce pays m'a offert. Mon his­toire ? C'est la même que beau­coup. Nous avons fui comme tant d'autres. Mes parents et moi, bébé, avec pour seul bagage mes couches. C'était en 1982, trois ans après la révo­lu­tion isla­mique qui fit accé­der au pou­voir l'ayatollah Khomeini. 

Comme dans les films, à tra­vers les mon­tagnes, sans faire de bruit. Fui, parce que notre pays ne pou­vait plus accueillir nos idées, notre soif de vivre. Ma mère, malade, a per­du la vie lors de notre fuite. C'était cher payé le prix de la liber­té. Serait-​elle en vie si elle avait fait le choix suivre les règles ? L'histoire ne peut pas répondre à cette ques­tion. D'une cer­taine manière, elle a sacri­fié sa vie pour sau­ver la mienne. Dois-​je faire la même chose pour ma famille ? Pour leur mon­trer que vivre libre, c'est un com­bat qu'aujourd'hui encore, en 2022, on doit mener ? 

Je fais par­tie d'une famille qui a tou­jours su ne pas être d'accord. Et qui l'a peut-​être dit trop fort. Se taire, ça n'est pas quelque chose que l'on sait faire. Alors pour­quoi s'arrêter en si bon che­min ? Il est temps pour moi de reprendre le flam­beau. De per­pé­tuer cet héri­tage de ne pas savoir la fer­mer. Et que faire quand on nous empêche de par­ler ? Eh bien, on écrit. Les écris res­tent. Ils se lisent, se relisent, s'impriment. Mon confort et ma liber­té ne doivent pas me fer­mer les yeux sur la situa­tion de mon pays d'origine. 

Les pre­miers sou­ve­nirs que j'ai sont en France. Ma langue mater­nelle, je l'ai rapi­de­ment mise de côté. Parce que lorsqu'on est enfant, on veut être comme tout le monde. Et mon monde, à l'époque, il est dans le 78. Mes copains à l'école, ils s'appelaient Virginie, Mathilde, Lucas. Mon pré­nom, il était dif­fé­rent, c'était une injus­tice pour moi. Oui, mes injus­tices à l'époque n'étaient pas les mêmes qu'aujourd'hui, mais elles étaient déjà présentes. 

Tout était dif­fé­rent : ma langue, ma famille, mes cou­tumes. L'odeur du sapin de Noël, je ne l'ai sen­tie que tard. Mes made­leines de Proust, c'est plu­tôt l'odeur du safran, et la fête de Nowrouz. Mais on s'est inté­gré mal­gré ça. On s'est fon­du dans la masse. Dans la rue, on ne pou­vait pas dire qu'on était vrai­ment dif­fé­rent. Une vic­toire ? C'est un autre débat… Mon his­toire, je peux la racon­ter, mais ce que je veux vrai­ment main­te­nant, ça n'est pas regar­der en arrière, mais savoir ce que je peux faire demain. Pour que l'Iran soit à por­tée de main. Pour qu'un jour, je puisse retrou­ver ma madeleine. 

Est-​ce mon âge qui avance ? Les évé­ne­ments actuels, qui font que je me per­mets de vous envoyer mon texte ? Je ne sau­rais le dire. Quoi qu'il en soit, je veux uti­li­ser les mots pour mon­trer mon sou­tien, et faire par­tie, moi aus­si, à ma manière, à sa manière, de la lutte qui a lieu actuel­le­ment en Iran. Car si mes parents ne m'avaient pas offert une vie en France, voi­là ce que j'aurais sans doute écrit aujourd'hui :

« Je suis une femme. Mes che­veux bruns com­mencent à blan­chir légè­re­ment. Ces che­veux que, de là où je suis, je dois cacher. Cette cou­leur que je ne dois pas expo­ser aux yeux du monde. Ces che­veux qui, chaque jour, peuvent me cou­ter la vie. Pourquoi ? Parce que vous en avez déci­dé ain­si. Vous avez déci­dé que mes che­veux devaient res­ter dans l’ombre. Vous avez déci­dé que mes che­veux étaient une offense.

Pourtant, il fut un temps où je pou­vais les lais­ser tom­ber sur mes épaules, libre­ment. Librement. Le vent empor­tait leur par­fum faire le tour du pays. Mais main­te­nant, ils sont empri­son­nés der­rière ce mor­ceau de tis­su qui signi­fie tant et si peu à la fois. Pourquoi ? Parce que vous en avez déci­dé ainsi.

Mais il est temps. Temps pour mes che­veux de retrou­ver leur liber­té. De leur faire gou­ter la frai­cheur du vent, la cha­leur du soleil. Il est temps. Temps de mon­trer au ciel ce qu’il ne voyait plus depuis trop long­temps. Une vague brune, blonde, rousse, une vague de ces cou­leurs oubliées. Pourquoi ? Parce que j’en ai déci­dé ain­si. J’ai déci­dé que mes che­veux fai­saient par­tie de moi, de mon être, et qu’ils méri­taient de voir le monde.

Il est temps. Temps de reprendre ce qui m’appartient, ce qui m’est dû. Temps de faire ce que d’autres femmes font chaque jour sans se poser de ques­tion, sans craindre la mort. Je veux mon­trer au monde que mes che­veux ne sont pas une arme, ni une ten­ta­tion. Ils sont mon pro­lon­ge­ment. Pourquoi ? Parce que j’en ai déci­dé ain­si. J’ai déci­dé que j’en avais le droit. »

Ces mots, je ne peux que les ima­gi­ner, moi qui ai le luxe chaque matin de ne pas me coif­fer. Car de là où je suis, mes che­veux blan­chis­sant ont le droit d’être libres. Ils peuvent vivre sans craindre votre vio­lence. Alors, ces mots, je veux qu’ils vous par­viennent. Que vous sachiez que cette liber­té, d’autres femmes au-​delà de vos fron­tières la réclament pour leurs sœurs. Que d’autres femmes qui vous ont fui se lèvent, et avec tout leur cou­rage et leur force, redonnent leur liber­té à leur che­veux, sym­boles de leur uni­ci­té. Symbole de leur vie.

Pourquoi ? Parce que nous en avons déci­dé ainsi.

Lire aus­si l Fariba Hachtroudi : « Ce qui est impor­tant, c'est l'actuelle soro­ri­té en Iran, où laïques et croyantes se raprochent de plus en plus »

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