Manque d'accompagnement et de communication, stigmatisation, absence de prise en charge… À l'occasion de la Journée nationale des aidant·es, l'association Unafam publie une étude sur la réalité difficile des aidant·es de personnes souffrant de troubles psychiques.
Le bilan de l'étude de l'Union nationale de familles et amis de personnes malades ou handicapées psychiques (Unafam) réalisée sur 4 000 aidant·es et malades courant 2021 est sans appel1. Aider une personne souffrant de troubles psychique marque, pour 94 % d'entre elles et eux, une rupture dans le déroulement de leur vie. Pour 86 % d'aidant·es interrogé·es, ce rôle a même eu des conséquences négatives sur leurs relations professionnelles, amoureuses et sociales. À l'occasion de la Journée nationale des aidant·es et une semaine après les Assises de la santé mentale qui ont mis en lumière l'inquiétante dégradation du secteur de la psychiatrie, l’Unafam publie ce mercredi 6 octobre son baromètre annuel s'intéressant au quotidien de celles et ceux, proches d'un·e malade psychique, qui se retrouvent en première ligne.
En France, plus de 3 millions de personnes vivent avec des troubles psychiques et plus de 4,5 millions les accompagnent au quotidien selon l'Unafam. Ces aidant·es les soutiennent dans leurs soins, répondent à leurs besoins dans les activités de la vie quotidienne, gèrent leurs démarches administratives ou encore leur apportent une aide financière. Un rôle essentiel, donc, mais souvent oublié et mal compris. Si les aidants de personnes atteintes de maladies « physiques » souffrent également d’un manque de visibilité et d’accompagnement, le constat est encore plus frappant en ce qui concerne la santé mentale selon la présidente de l'association Unafam, Marie-Jeanne Richard. « La maladie mentale est encore stigmatisée dans notre société, tient à souligner d’emblée la présidente à Causette. On parle déjà très peu des personnes souffrantes de troubles psychiques mais on parle encore moins de leurs aidants. C’est pour cette raison qu’on a mis en place cette étude, afin de dénoncer la réalité du terrain : les aidants des personnes souffrant de troubles psychiques sont ignorés, mis de côté et souffrent d’un cruel manque d’accompagnement. »
Lenteur du diagnostic
La crise sanitaire a, on le sait, impacté la santé mentale des Français·es avec une aggravation de l’accès aux soins. 30 % des personnes interrogées par l'Unafam affirment en effet que le quotidien de leur proche malade s’est aggravé en une année. Les études réalisées en 2020 et 2021 montrent aussi un accroissement des troubles mentaux. Ces « nouveaux » malades et leurs proches souffrent alors d’un manque d’accompagnement, accru par la lenteur du diagnostic qui peut durer plus de cinq ans pour un tiers des personnes interrogées par l'Unafam. « La période de pré-diagnostic est l’une des plus difficiles à vivre pour eux, confirme Marie-Jeanne Richard. L’entourage se sent seul face à la souffrance de leur proche, tout est flou et incertain. » Pour la présidente, un diagnostic et une prise en charge rapide et adaptée dès l’apparition des premiers signes pourraient permettre d’éviter de nombreuses crises ainsi que certaines hospitalisations.
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Un diagnostic précoce permettrait également à ces jeunes de poursuivre leurs études – 67% des malades interrogé·es n’ont pas pu les terminer en raison de leurs symptômes – et de s’insérer plus facilement et rapidement dans la société. « Les médecins généralistes devraient être formés pour poser des questions concernant la santé mentale du patient comme “Est-ce que vous dormez bien ?”, plaide Marie-Jeanne Richard. La stigmatisation autour des maladies mentales pousse les personnes à cacher leurs symptômes et à ne pas demander de l’aide. » Des préjugés qui touchent également les aidant·es qui sont 53 % à ne pas avoir parlé avec leurs employeurs de la maladie mentale de leur proche. Une crainte justifiée : 41 % témoignent que leur entourage a réagi avec peur et a pris ses distances à l’évocation de la maladie.
Pour en finir avec cette mise sous silence et améliorer la vie des aidant·es et de leur proche, il faut penser selon l’Unafam, « des accompagnements complets qui, en complément du soin, permettent de mettre en place un suivi de la personne concernée pour une meilleure inclusion dans la société ». Si la France applique depuis 2010 la Convention relative aux droits des personnes handicapées, selon un récent rapport du Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU publié en août 2021, seulement 7% des malades psychiques bénéficient aujourd’hui de la Prestation de la Compensation du Handicap, une aide personnalisée destinée à financer les besoins d’aide humaine liés à la perte d’autonomie.
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Un manque d’accompagnement qui se traduit concrètement par l'absence d’accès à un logement spécialisé, à une aide à domicile ou à un emploi accompagné. Ces carences viennent alors alourdir la charge mentale qui pèse déjà sur les épaules des aidant·es dont 64% ont vu leur santé affectée par cette sur-sollicitation. Un impact financier également, puisque 44 % d’entre elles et eux sont fragilisé·es économiquement du fait d’être la première ressource financière de leur proche. Une angoisse qui pèse sur le présent mais aussi sur l’avenir : deux tiers ne sont pas confiant·es sur l’accompagnement dont pourra bénéficier leur proche quand ils et elles ne pourront plus s’occuper de lui. « On sait que les personnes n’ayant pas de proches pour les aider se retrouvent souvent isolées, déplore la présidente de l’Unafam. Un tiers des personnes vivant dans la rue souffrent de troubles mentaux. »
« Consulter, ça veut dire être soigné »
À quelques jours de la Journée mondiale de la santé mentale qui se tiendra le 10 octobre prochain, l’urgence est donc d’améliorer la prise en charge des personnes souffrant de maladies mentales mais également de celles et ceux qui les soutiennent et les accompagnent au quotidien. « Les aidants ont besoin d’être reconnus, souligne Marie-Jeanne Richard. Ils sont 70 % à avoir le sentiment d’être exclus dans le parcours de soin : beaucoup n’ont jamais rencontré le psychiatre de leur proche par exemple. Il est urgent de les informer et de les inclure tout au long du parcours. » Pour la présidente d’Unafam, au-delà d’un accompagnement, il faut continuer à parler coûte que coûte de la santé mentale. « Tant qu’on n’a jamais été confronté soi-même ou pour un proche à la maladie et au handicap, on n’en a jamais entendu parler, affirme-t-elle. La santé mentale devrait avoir sa place dans les collèges et les lycées au même titre que la santé sexuelle. Il faut dire aux jeunes de ne pas hésiter à consulter. Car consulter, ça veut dire être soigné. »
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- Étude réalisée par l’Unafam et Stat&More analysant les réponses de 4000 répondant·es entre le 27 mai et le 13 juin 2021[↩]