Scolarisation de 8 à 18 heures, internat, retrait de points au brevet ou au bac, comportement de l’élève mentionné sur le dossier Parcoursup “en cas de perturbation grave”… Causette fait le point sur les annonces de Gabriel Attal avec Sophie Vénétitay, secrétaire générale du syndicat enseignant du second degré Snes-FSU.
Une grande concertation pour lutter contre les violences des mineur·es, sur le modèle du Grenelle des violences conjugales lancé en 2019. C’est le projet annoncé par Emmanuel Macron mercredi dernier, lors du Conseil des ministres. Le lendemain, le Premier ministre, Gabriel Attal, profitait justement d’un déplacement à Viry-Châtillon (Essonne) – ville endeuillée par la mort de Shemseddine, un ado de 15 ans, à la sortie de son collège début avril – pour présenter les propositions en vue de cette concertation qui devrait durer huit semaines et aboutir à des mesures concrètes.
Au programme du plan d’action gouvernemental, plusieurs mesures concernent l’éducation. Pour “juguler la violence” entre les adolescent·es, Gabriel Attal plaide en effet pour un “vrai sursaut d’autorité” dans le milieu scolaire. Scolarisation de 8 à 18 heures, internat, retrait de points au brevet ou au bac, comportement de l’élève mentionné sur le dossier Parcoursup “en cas de perturbation grave”… Causette fait le point avec Sophie Vénétitay, secrétaire générale du syndicat enseignant du second degré Snes-FSU.
- L’annonce de Gabriel Attal : le collège pour tous et toutes de 8 à 18 heures “à commencer par les quartiers prioritaires et les réseaux d’éducation prioritaires”.
La réaction du Snes-FSU : “On a vu que le Premier ministre a commencé à rétropédaler sur ce point. Après avoir annoncé en grande pompe, jeudi, que tous les collégiens seront scolarisés tous les jours entre 8 et 18 heures, en commençant par les élèves en REP +, il a précisé ce week-end, sur son compte TikTok, que ça serait quand même sur la base du volontariat. On sent qu’il y a une forme de recul dans son discours. Après, ce qui est certain, c’est que les élèves sont mieux à l’école que dans la rue. Mais on se pose quand même beaucoup de questions sur la façon dont ça peut être fait : que vont faire les élèves sur les moments où ils n’auront pas cours ? On nous parle d’aide aux devoirs, d’activités sportives, mais qui va animer ces activités ? Est-ce que ce sont des associations ? Est-ce que ce sont des professeurs ? Et si ce sont des associations, on sait qu’elles font souvent face à des difficultés financières et budgétaires, donc ont-elles la capacité d’animer aussi ces temps-là ? Et si ce sont les professeurs, on a déjà du mal à en recruter pour assurer les cours, donc on ne voit pas comment ils pourront faire aussi autre chose. On n’est pas forcément très convaincus par la mesure qui semble être surtout un effet d’annonce.”
- L’annonce de Gabriel Attal : les places vacantes des internats pourront être investies par des jeunes scolarisés ayant de “mauvaises fréquentations” sur le principe du volontariat.
La réaction du Snes-FSU : “Dans les faits, l’internat peut être une solution, mais il doit être pleinement intégré dans le cadre d’un projet éducatif et pas comme une sanction et un projet d’enfermement. En écoutant Gabriel Attal, on a l’impression de revenir trente ans en arrière, quand les élèves avaient des mauvais résultats et qu’on leur disait ‘Attention, si tu ne t’améliores pas, tu vas aller en internat’. C’est extrêmement restrictif, on est très loin du rôle éducatif que pourrait jouer l’internat. Pour que l’internat fonctionne, il faut que les différentes parties – le jeune, la famille et le personnel éducatif – soient d’accord et soient sur la même longueur d’onde. Il faut aussi que cette mesure puisse répondre à des questions extrêmement précises : est-ce qu’on va mettre dans le même endroit des jeunes qui ont des problèmes ou est-ce que, au contraire, on les mélange ? Et puis surtout, qui va encadrer ces jeunes-là ? Quelle activité on va leur proposer en dehors du temps scolaire ? Ça ne s’improvise pas d’accompagner des jeunes qui sont en rupture avec l’école. On a encore une fois l’impression qu’il s’agit avant tout d’un discours pour mater la jeunesse et qui passe complètement sous silence toute la dimension éducative. C’est un peu le fil rouge de tout ce qu’a dit Gabriel Attal : il faut se montrer très dur envers la jeunesse en oubliant que, oui, la jeunesse peut faire des erreurs, elle peut sortir du cadre éducatif, mais dans ces cas-là, on la sanctionne, on la ramène dans le cadre, mais surtout, on fait tout un travail éducatif en n’oubliant pas que ces jeunes-là, ils évoluent, ils grandissent et ils ont droit à une deuxième chance.”
- L’annonce de Gabriel Attal : le retrait de points sur le brevet ou sur le bac “en cas de perturbation grave” dans l’enceinte de l’établissement scolaire et l’inscription de cette mention dans le dossier Parcousup. La condition pour effacer cette mention et retrouver ces points serait la réalisation d’activités d’intérêt général au sein de l’établissement scolaire.
La réaction du Snes-FSU : “Là encore, beaucoup d’effets d’annonce pour mater la jeunesse. Avec cette idée, on va étiqueter les jeunes “fauteurs de troubles” dès leur première erreur, dès leur premier travers et ça va les suivre tout au long de leur scolarité. C’est extrêmement problématique, parce que ça veut dire qu’on passe sous silence tout le travail éducatif. En tant que personnel de l’éducation nationale, on voit nos élèves grandir, on voit comment ils sont quand ils arrivent en sixième et comment ils sortent en troisième. Moi, j’enseigne en lycée, je vois comment ils sont quand ils arrivent en seconde et comment ils sortent du lycée. Et oui, ils évoluent, ils grandissent, parfois ils se trompent. Et quand ils se trompent, on les ramène dans ce que doit être le cadre éducatif. Mais à la fin, on a beaucoup de fierté de les voir quitter le lycée en ayant appris de leurs erreurs grâce au cadre éducatif qu’on leur a donné et pas en les ayant étiquetés depuis le début, “fauteurs de troubles” ou “élèves qui ne réussiraient jamais rien”.
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- L’annonce Gabriel Attal : La création d’un contrat d’engagement entre les établissements, les élèves et les parents d’élèves à respecter l’autorité et les valeurs de la république. Le non-respect de ce contrat – absences des parents aux réunions avec les professeurs par exemple – pourrait conduire à des sanctions, voir à la saisine de la justice dans les cas les plus graves.
La réaction du Snes-FSU : “C’est une annonce martiale et très répressive. D’autant que des choses existent déjà. Il faut savoir que les parents d’élèves et des élèves signent déjà le règlement intérieur qui comprend un certain nombre de droits et de devoirs qui sont les leurs et qui, s’ils ne sont pas respectés, peuvent les exposer à des sanctions. L’élève signe aussi des chartes diverses et variées quand il rentre au collège ou au lycée. Après, si Gabriel Attal veut pousser cette forme de contractualisation à des obligations de comportement qui concernent le cadre scolaire, mais aussi qui se trouvent à la périphérie du cadre scolaire, on se dirige vers une dérive qui est assez inquiétante.”
- L’annonce de Gabriel Attal : le renforcement des équipes académiques “valeurs de la République” qui permettent de conseiller les professeur·es ou les chef·fes d’établissement confronté·es à des difficultés liées à la laïcité au sein de leur établissement.
La réaction du Snes-FSU : “Ça ne correspond absolument pas aux besoins dans la réalité. Il y a en effet, aujourd’hui, un sujet sur la laïcité, mais qu’il ne faut pas surestimer. On doit le travailler davantage en cours, mais pour cela, on doit nous en donner le temps et les moyens en diminuant les effectifs dans les classes par exemple. C’est de cette manière qu’on arrivera à faire comprendre à tous les élèves que la laïcité n’est pas une interdiction, mais que c’est une formidable liberté. De manière générale, il nous faut plus d’adultes dans les établissements scolaires. Plus de professeurs, mais aussi plus de surveillants et de conseillers principaux d’éducation qui portent justement ce projet éducatif. Les surveillants, par exemple, jouent un rôle crucial en parlant avec les élèves, ils peuvent repérer les élèves qui ne vont pas bien, travailler avec l’équipe éducative pour faire un vrai travail de prévention. Tout ça, on ne peut plus le faire parce qu’on n’a pas suffisamment d’adultes, alors même que, depuis plusieurs années, on a eu une augmentation des effectifs dans les collèges et les lycées.”
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