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“Je suis éba­hie par les pro­pos tenus par mon fils” : help ! mon ado consomme du conte­nu masculiniste

Discours viri­listes, “humour” miso­gyne, visions rétro­grades… les conte­nus mas­cu­li­nistes sont aujourd’hui omni­pré­sents en ligne et ciblent prin­ci­pa­le­ment les jeunes gar­çons. Alors, que faire quand son ado se met à tenir des pro­pos mas­cus à la maison ?

“Depuis l’adolescence, depuis qu’il a l’âge d’aller sur Internet, depuis qu’il gran­dit, que son carac­tère change, je vois une dif­fé­rence dans ses pro­pos, dans son rap­port avec les filles, avec les autres… des choses qu’il ne disait pas avant”, décrit Nina* à Causette, maman d’un gar­çon de 14 ans. “Ça a com­men­cé l’an der­nier, il me mon­trait des conte­nus mas­cu­li­nistes sur les réseaux, à base d’hommes alpha”, raconte aus­si Manon*, mère d’un ado de 16 ans. “Je suis éba­hie par les pro­pos tenus par mon fils”, lâche quant à elle Marine, dont le fils aura bien­tôt 14 ans. Toutes trois – Causette n’a pu recueillir que des témoi­gnages de mamans, seules à se mani­fes­ter – observent leur enfant tenir un dis­cours qui n’avait jusqu’alors jamais eu sa place à la mai­son. “Je ne l’ai pour­tant pas du tout éle­vé avec une vision rétro­grade de la femme ou hyper mas­cu­line de l’homme”, déplore Nina. Ces pro­pos mas­cu­li­nistes sont enten­dus sur Internet, se font une place dans les dis­cus­sions du col­lège et du lycée et sont répé­tés ensuite par les ado­les­cents. De quoi désta­bi­li­ser ces mamans, subi­te­ment confron­tées à la vague de conte­nus mus­cus qui s’abat sur les réseaux sociaux. 

Maîtriser les codes

On constate ces der­nières années que ce matra­quage idéo­lo­gique s’est accen­tué”, explique Pauline Ferrari, jour­na­liste et autrice qui a enquê­té sur l’influence de ces dis­cours mas­cu­li­nistes en ligne (Formés à la haine des femmes, JC Lattès, 2023). Si les mas­cu­li­nistes “se sont tou­jours inté­res­sés aux jeunes”, poursuit-​elle, les influen­ceurs fran­çais ou trans­na­tio­naux qui véhi­culent ces idées s’emparent aujourd’hui des codes des ados sur les réseaux sociaux pour dis­pen­ser leurs leçons en matière de séduc­tion, de rap­ports homme-​femme et de viri­li­té. Des dis­cours cen­trés sur “la place de l’homme, com­ment il doit se com­por­ter pour qu’une femme le res­pecte”, détaille Marine, qui témoigne aus­si de remarques sexistes plus clas­siques, notam­ment sur la pilo­si­té fémi­nine. Autant de “sujets qui peuvent être impor­tants à l’adolescence”, ajoute Pauline Ferrari.

Lire aus­si I “Les mas­cu­li­nistes capi­ta­lisent sur la souf­france des ado­les­cents”, alerte la jour­na­liste Pauline Ferrari

Nombre de ces vidéos en ligne dis­til­lent ces pro­pos hai­neux sous forme d’humour. “Il peut tenir des pro­pos sexistes, alors qu’il ne les pense pas for­cé­ment mais parce que ça le fait rire”, note Nina, dont le fils men­tionne “de jeunes humo­ristes” quand elle le ques­tionne sur les conte­nus qu’il consomme sur Internet. Même constat du côté de Manon : “Une fois, alors qu’il était avec un copain, il m’a fil­mée. J’ai ouvert la porte, et il m’a dit : ‘Va faire la cui­sine femme’, pour rire avec son pote”, se souvient-​elle. “Il baigne là dedans, mais j’aime à pen­ser qu’il n’y adhère pas vrai­ment”, tente de se ras­su­rer Manon, qui fait remar­quer “qu’à cet âge-​là, c’est com­pli­qué de ne pas se lais­ser entraî­ner par ces conte­nus, cet humour au énième degré, qui cir­culent sur TikTok”. Un res­sort clas­sique “des codes d’Internet, ana­lyse pour sa part Pauline Ferrari, avec cette espèce de cynisme, ce ‘troll’, cette manière d’être iro­nique”, mais aus­si une façon pour les influen­ceurs mas­cus “de ne pas se faire cen­su­rer par les pla­te­formes”.

"C'est l'intrusion dans sa vie privée"

Pour essayer de com­prendre leur fils, ces mamans se retrouvent ain­si, dans un pre­mier temps, à décryp­ter ces codes. “Quand j’étais petite, il n’y avait pas la sphère d’Internet qui ren­trait en compte. Aujourd’hui, tout va plus vite : les infor­ma­tions, la dés­in­for­ma­tion, les fake news”, déplore Nina. À cela se mêlent l’adolescence et la réti­cence des enfants à par­ta­ger leurs pen­sées avec leurs parents. “Dès que j’essaie de ren­trer dedans, il va me dire que je ne com­prends rien, que ce n’est pas mon époque, pas ma géné­ra­tion”, explique Marine, qui constate chez son fils “un rejet mas­sif, parce que c’est l’intrusion dans sa vie pri­vée”. Les jeunes “parlent de cer­taines choses à l’abri du regard des adultes, c’est le prin­cipe même de l’adolescence”, tem­père la jour­na­liste Pauline Ferrari. 

“Le prin­cipe aus­si, ren­ché­rit Manon, c’est de s’opposer. Puisqu’il sait que je suis fémi­niste, ça lui plaît de me pro­vo­quer là-​dessus.” Pour une géné­ra­tion de mères qui ont vu la socié­té s’ouvrir à davan­tage de fémi­nisme et ont sous­crit à ces idées, les dis­cours aux relents miso­gynes de leur enfant s’apparentent éga­le­ment à de la rébel­lion. “En plus, je suis une femme. Donc évi­dem­ment, c’est encore pire, parce que j’essaie de prê­cher pour ma paroisse”, ajoute Marine. La défiance envers un parent se couple alors à la méfiance envers les femmes, encou­ra­gée par ces conte­nus en ligne.

Féminisme vs masculinisme

Les influen­ceurs mas­cu­li­nistes capi­ta­lisent sur la peur pro­vo­quée par ces avan­cées fémi­nistes. Certains “jeunes hommes qui ont gran­di avec #MeToo, explique Pauline Ferrari, ne se sont pas sen­tis concer­nés et peuvent donc se sen­tir mena­cés par la perte de pri­vi­lèges”. Une “menace fan­tôme”, pré­cise la jour­na­liste, mais que les mas­cus vendent comme une réa­li­té. Dans cette dis­tor­sion, le fémi­nisme est ain­si pré­sen­té comme une idéo­lo­gie prô­nant la domi­na­tion des femmes. “Un jour, je me suis vrai­ment fâchée, parce qu’il oppo­sait fémi­nisme et mas­cu­li­nisme, mais on ne parle pas du tout de la même chose”, raconte Marine à pro­pos de son fils. Nina remarque pour sa part que son ado tend à “mini­mi­ser” l’oppression subie par les femmes, dont la conquête des droits est per­çue comme un sou­dain déséquilibre. 

Les mas­cu­li­nistes aiment ain­si s’emparer de thé­ma­tiques comme la garde des enfants de parents sépa­rés ou les accu­sa­tions de vio­lences sexistes et sexuelles, cas où les femmes obtiennent par­fois gain de cause. “Il s’est dit qu’en fait, le fémi­nisme était injuste, ana­lyse Nina, que c’est pour que les femmes ‘prennent le pou­voir’”. Or, ces créa­teurs de conte­nus mas­cus le savent : “Les ado­les­cents sont très sen­sibles à la notion d’injustice”, sou­ligne Pauline Ferrari. Leurs dis­cours brossent les jeunes gar­çons dans le sens du poil, les ras­surent sur leur posi­tion domi­nante dans le monde. Ça les conforte dans une place et ça conforte le patriar­cat, qu’ils ima­ginent en train de lâcher”, assène Manon.

Lire aus­si I Masculinisme décom­plexé : un influen­ceur TikTok égrène les inter­dic­tions aux­quelles devra se sou­mettre sa future épouse

Ces conte­nus ren­forcent aus­si un autre aspect bien éta­bli de l’expérience mas­cu­line : la mas­cu­li­ni­té toxique. Il y a “un côté hyper viri­liste” au dis­cours de ces influen­ceurs, constate Marine. Nina observe éga­le­ment de son côté cette “injonc­tion à la mas­cu­li­ni­té toxique” faire son bout de che­min dans l’esprit de son fils, qui veut “être un homme qui ne pleure pas, un homme fort, pas une tapette”, lui dit-​il. Manon, elle, note une repré­sen­ta­tion sté­réo­ty­pée du suc­cès au mas­cu­lin dans les conte­nus vision­nés par son enfant : “Finalement, ce sont des conte­nus très mas­cu­lins qu’il me montre, avec des jeunes hommes qui ont réus­si avec tous les cli­chés : la grosse voi­ture, le busi­ness, même la coupe de che­veux gomi­née. Ce n’est pas que l’homme alpha, c’est aus­si la réus­site sociale, la réus­site fami­liale, le busi­ness, l’argent, ces valeurs-​là.” Des idéaux de mâle alpha capi­ta­liste qui trouvent leur apo­gée en la per­sonne d’Andrew Tate, influen­ceur mas­cu­li­niste dont la popu­la­ri­té a conduit, en 2022, à une explo­sion “de pro­pos vio­lents de la part de jeunes gar­çons, cou­plés d’agressions sexistes et sexuelles à l’encontre de pro­fes­seurs, de cama­rades de classe et de cas de cybe­rhar­cè­le­ment à carac­tère sexiste” en Grande-​Bretagne, relate Pauline Ferrari. 

"Ça l'a imprégné"

Ces exemples de concré­ti­sa­tions par des ados de la haine répan­due en ligne ne sont pas à prendre à la légère, selon la jour­na­liste : “Même si tous les jeunes gar­çons qui vont consom­mer ces conte­nus ne vont pas deve­nir des tueurs de masse et vio­len­ter toutes les femmes qu’ils ren­contrent, ces conte­nus vont légi­ti­mer cer­tains pro­pos et com­por­te­ments vio­lents à l’égard des femmes. Ça peut être se sen­tir auto­ri­sé à mettre une main aux fesses à une cama­rade de classe, à har­ce­ler une femme en ligne ou hors ligne, ou encore à for­cer une petite copine à des actes sexuels non consen­tis.” Cette crainte, de voir son ado évo­luer dans un sché­ma miso­gyne, habite aus­si leur mère. “J’ai peur qu’il emporte cette vision-​là dans la construc­tion du couple, décrit Marine. Je ne veux pas qu’il se com­porte mal, qu’il ait de mau­vaises idées qui teintent ses rela­tions. J’espère qu’il com­pren­dra avec le temps.” Un sen­ti­ment par­ta­gé par Nina qui a peur que son fils “se marie, se mette en couple et ne res­pecte pas sa com­pagne”.

Alors que le fos­sé idéo­lo­gique entre les jeunes femmes et les jeunes hommes de la Génération Z se creuse, com­ment ne pas redou­ter que ce conte­nu mas­cu­li­niste gan­grène leurs futures rela­tions ? Quels adultes devien­dront ces ados bai­gnés dans une culture mas­cu­li­niste en ligne ? “Quand on est ado­les­cent, on va pio­cher un peu par­tout pour se construire, rela­ti­vise Manon, mais il en res­te­ra quelque chose, ça l’a impré­gné, ça lui a don­né d’autres idées que ce qu’il a connu à la mai­son.” En réac­tion aux esprits en pleine construc­tion de leur enfant, ces trois mères ont choi­si de s’accrocher au dia­logue, dans l’espoir d’y plan­ter une graine plus forte que celle des mas­cus d’Internet. L’idée est de “dis­cu­ter avec lui de ce que l’adolescent consomme en ligne, dans une vraie démarche d’intérêt pour ses goûts, c’est-à-dire pas juste pour for­cé­ment entrer en conflit avec lui autour de la miso­gy­nie crasse de ces conte­nus”, détaille Pauline Ferrari.

Une démarche pas tou­jours évi­dente pour ces parents, qui découvrent dans les réseaux sociaux un monde régi tout autre­ment. “J’ai tou­jours l’impression qu’Internet est un pays où il n’y a pas de loi et de droit”, explique Nina, qui regrette “que l’État ne régule pas davan­tage les réseaux”. “En tant que parents, on a notre rôle à jouer, mais j’ai l’impression que l’État a com­plè­te­ment lais­sé tom­ber et a déci­dé qu’Internet serait une place publique où ces per­sonnes sexistes peuvent s’exprimer tran­quille­ment”, poursuit-​elle. Pauline Ferrari sou­ligne éga­le­ment le devoir de l’État – là où les parents et les écoles sont sou­vent tenus res­pon­sables – “d’appliquer réel­le­ment la loi et de s’attaquer aux mul­ti­na­tio­nales qui se trouvent der­rière les réseaux sociaux pour for­cer à plus de modé­ra­tion et de régu­la­tion”. Elle conclut : “Ce n’est pas nor­mal que ces conte­nus res­tent en ligne, ça demande de taper un peu du poing sur la table. Pour l’instant, que ce soit au niveau natio­nal ou euro­péen, rien n’a pu être fait. Cela montre aus­si que ces entre­prises sont par­fois même plus puis­santes que des États.”

* Les pré­noms ont été modifiés.

Lire aus­si I Enquête sur la croi­sade anti­fé­mi­niste de Thaïs d’Escufon

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