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© Charles Deluvio / Unsplash

Série Puberté pré­coce – Ep 2 : le tâton­ne­ment des parents face au trai­te­ment hormonal

Episode 2/​3

Cette semaine, Causette vous plonge dans les affres de la puber­té pré­coce à tra­vers une série en trois épi­sodes. Après avoir décor­ti­qué l’implication des per­tur­ba­teurs endo­cri­niens, il est temps de s’intéresser au trai­te­ment hor­mo­nal pres­crit aux petites filles de moins de 8 ans pour frei­ner leur puber­té. Un trai­te­ment recom­man­dé par les méde­cins qui sus­cite nombre d’inquiétudes et de contro­verses du côté des parents. 

“C’est bizarre maman, j’ai déjà des nénés qui poussent.” Nous sommes le 11 décembre 2020, et le cœur d’ève vient de faire un bond dans sa poi­trine. Après avoir enten­du cette phrase sor­tir de la bouche de sa fille, Romy*, même pas 8 ans, elle s’empresse de pal­per sa poi­trine et sent effec­ti­ve­ment une boule de la taille d’une olive. “C’est un coup de mas­sue et je pense tout de suite à la puber­té pré­coce”, confie ève à Causette. Moins d’un mois plus tard, le 31 décembre, les exa­mens médi­caux confirment ses doutes. À même pas 8 ans, Romy a déjà l’utérus d’une petite fille de 12 ans. “Le méde­cin m’a infor­mée que la puber­té avait clai­re­ment démar­ré et que si on par­ve­nait à tenir un an avant ses pre­mières règles, ce serait déjà pas mal”, se sou­vient ève. 

Le trai­te­ment hor­mo­nal est pres­crit dans deux indi­ca­tions : le pro­nos­tic de taille une fois adulte et le reten­tis­se­ment psy­cho­lo­gique. “Dans le cadre de la puber­té pré­coce, un des prin­ci­paux risques si on ne fait rien, c’est un pro­nos­tic de taille défa­vo­rable, sou­ligne Amélie Perrière, pédiatre endo­cri­no­logue à l'hôpital Trousseau à Paris. C’est le point sur lequel on sera par­ti­cu­liè­re­ment vigi­lants. Si une fille com­mence sa puber­té à 1,25 m et qu’elle prend 15 cm, elle fini­ra pro­ba­ble­ment avec une taille adulte infé­rieure à la moyenne.

Une course contre la montre s’engage alors pour ève et Romy. Le pédiatre endo­cri­no­logue pres­crit à la fillette du Decapeptyl pour stop­per le pro­ces­sus enclen­ché bien trop tôt. Comme le Gonapeptyl ou l’Enantone, il s’agit d’un trai­te­ment hor­mo­nal par injec­tion, en géné­ral tous les trois mois, et qui dure envi­ron deux ans. Aujourd’hui, hor­mis les très rares cas de puber­té pré­coce liés à une tumeur, ces trai­te­ments hor­mo­naux sont néces­saires pour faire régres­ser ou du moins sta­bi­li­ser les signes de déve­lop­pe­ment pubertaire. 

“Dans le cadre de la puber­té pré­coce, un des prin­ci­paux risques si on ne fait rien, c’est un pro­nos­tic de taille défavorable”

Amélie Perrière, pédiatre endo­cri­no­logue à l'hôpital Trousseau à Paris 

Et dans cer­tains cas, il s’agit en effet d’une course contre la montre. Car pour pou­voir en béné­fi­cier, les petites filles ne doivent pas encore avoir eu leurs règles, qui arrivent à la fin de la puber­té, en moyenne deux ans après les pre­miers symp­tômes. “Les parents remarquent sou­vent en pre­mier la pous­sée mam­maire ou l’accélération de la crois­sance. Tout d’un coup, leur enfant se met à chan­ger en trois mois de taille de chaus­sures ou de taille de pan­ta­lons, c’est sou­vent ce qui leur met la puce à l’oreille, explique Amélie Perrière, pédiatre endo­cri­no­logue à l’hôpital Trousseau à Paris. Mais on a aus­si des cas de jeunes filles où cela est imper­cep­tible. Quand il y a un sur­poids et donc un petit peu de graisse au niveau de la glande mam­maire, ça peut pas­ser inaper­çu pen­dant long­temps. Quand elles arrivent alors en consul­ta­tion, les règles sont déjà là. Et là, mal­heu­reu­se­ment, il n’y a pas de trai­te­ment, c’est trop tard.” 

Le pro­nos­tic de taille a long­temps inquié­té Corinne. Le cas de sa fille, Emma*, 12 ans et demi, est par­ti­cu­lier. Elle est née pré­ma­tu­ré­ment, avec donc une très petite taille. “On m’avait dit que les bébés nés pré­ma­tu­ré­ment avaient plus de risques d’être ensuite confron­tés à la puber­té pré­coce”, raconte Corinne à Causette. Une infor­ma­tion que nuance Amélie Perrière qui pré­cise que “ce n’est pas tel­le­ment le fait de naître bien avant le terme qui est en cause, mais sur­tout le fait de naître petit en taille”. “On sait que les retards de crois­sance intra-​utérine favo­risent la puber­té pré­coce”, ajoute la pédiatre. Que l’enfant naisse pré­ma­tu­ré­ment ou pas. Ce sont des enfants qui vont être sui­vis dès la petite enfance par un pédiatre endo­cri­no­logue.” À la dif­fé­rence d’ève, Nathalie et d’autres mères inter­ro­gées par Causette qui ont décou­vert la puber­té pré­coce de leur fille avec fra­cas, Corinne a donc eu la chance d’être infor­mée tout de suite. Emma a pu être sui­vie depuis sa nais­sance. À 9 ans, des exa­mens de contrôle confirment les craintes de sa mère. Emma n’est pas dans ce qu’on appelle une puber­té pré­coce mais dans une puber­té avan­cée puisqu’elle a dépas­sé l’âge de 8 ans. “Elle ris­quait de faire 1,40 m une fois adulte, donc elle a pu béné­fi­cier du trai­te­ment même si elle avait dépas­sé l’âge cli­nique, sou­ligne Corinne. C’était une évi­dence, on ne s’est pas du tout posé la question.” 

Des bons résultats 

Un mois après l’annonce du diag­nos­tic, Emma entame son trai­te­ment. Une injec­tion par tri­mestre pen­dant dix-​huit mois. Selon sa mère, elle a très bien vécu cette période et les effets sur son corps se sont vus assez rapi­de­ment. “Ça a frei­né sa puber­té, a consta­té Corinne. Sa crois­sance a repris mais de façon plus régu­lière.” Avec le trai­te­ment hor­mo­nal, la pédiatre a aus­si obser­vé une dimi­nu­tion de la glande mam­maire chez ses petites patientes. Après l’arrêt du trai­te­ment, la puber­té reprend et les règles sur­viennent en moyenne douze à dix-​huit mois après la der­nière injec­tion. Emma a eu ses règles à 12 ans. “On m’avait dit qu’elle aurait ses règles en CM2, elle les a eues en cin­quième”, se réjouit Corinne. Elle espère aujourd’hui que sa fille atteigne les 1,57 m à l’âge adulte. 

Si Corinne n’a pas hési­té une seule seconde, pour d’autres parents le trai­te­ment est source d’incertitudes, d’inquiétudes et de tâton­ne­ments. “Le trai­te­ment est quand même lourd, ce n’est pas rien des injec­tions d’hormone à son âge, raconte par exemple ève, la mère de Romy. J’ai com­plè­te­ment pani­qué, je ne savais pas quoi faire.” Comme elle, beau­coup de parents craignent des effets secon­daires néfastes et se tournent vers Internet et les réseaux sociaux pour trou­ver des réponses et du sou­tien. Sur le groupe Facebook, “Puberté précoce/​avancée”, nom­breux sont ain­si les parents – sur­tout les mères, charge men­tale oblige – à décrire pertes de che­veux, prises de poids, troubles dépres­sifs et anxieux chez leurs filles. 

“Je culpa­bi­lise énor­mé­ment d’avoir don­né mon accord sur la mise en place du traitement”

Une mère sur un groupe Facebook de sou­tien parental

Exemple, en mai 2022, lorsqu’une mère parle du cas de sa fille de 9 ans qui a enta­mé les injec­tions depuis dix-​huit mois. “Les effets sur sa prise de poids ont été catas­tro­phiques, explique-​t-​elle en pré­ci­sant que sa fille était déjà en sur­poids lorsqu’elle a com­men­cé. Aujourd’hui, elle fait 1,55 m et 72 kilos. Elle a pris 25 kilos en dix-​huit mois. Cela m’affole, elle a tout le temps faim, impos­sible de la ras­sa­sier et de la rai­son­ner. Je constate éga­le­ment beau­coup de chan­ge­ments d’humeur, des crises de larmes, une baisse hal­lu­ci­nante de sa confiance en elle… Difficile à dire si tout cela est à cause du trai­te­ment ou si c’est l’adolescence qui pointe le bout de son nez. On revoit l’endocrinologue pour une der­nière injec­tion, mais j’hésite à ne pas la faire. Je culpa­bi­lise énor­mé­ment d’avoir don­né mon accord sur la mise en place du trai­te­ment. Je pense qu’elle aurait beau­coup mieux sup­por­té d’avoir ses règles à 9 ans.” 

Que dit concrè­te­ment la méde­cine sur ces réac­tions ? “Déjà, il faut savoir que dans le cadre de la puber­té pré­coce, le trai­te­ment est un ana­logue d’hormones, ce qui veut dire que ça res­semble à ce que le corps pro­duit lui-​même, assure Amélie Perrière. Par ailleurs, on com­mence à avoir pas mal de recul, ce sont des trai­te­ments qui sont uti­li­sés depuis près de trente ans. Et en termes d’effets indé­si­rables, il y en a quand même très peu. Le prin­ci­pal est une réac­tion cuta­née en lien avec l’injection elle-​même.” Les spé­cia­listes pointent aus­si une aug­men­ta­tion de l’appétit sur­tout dans les pre­miers mois du trai­te­ment. “Il y a plu­sieurs études en cours pour mesu­rer l’impact du poids et du méta­bo­lisme dans la puber­té pré­coce, explique Amélie Perrière. Mais on a déjà l’impression qu’avant de débu­ter, il y a une prise de poids plus impor­tante chez les patientes.” 

En quête de méde­cine douce 

Dans les effets secon­daires poten­tiels du trai­te­ment, la pédiatre endo­cri­no­logue évoque aus­si de pos­sibles liens avec le syn­drome des ovaires poly­kys­tiques (SOPK) :On sus­pecte un lien mais il existe peu de preuves claires. Savoir si c’est le fait d’avoir fait sa puber­té pré­coce ou le fait d’avoir eu le trai­te­ment, pour l’instant les études n’ont pas encore répon­du.” En ce qui concerne les troubles dépres­sifs pro­vo­qués par le trai­te­ment, rien non plus n’a été scien­ti­fi­que­ment démon­tré. “On sait au contraire que chez les jeunes filles qui n’ont pas été trai­tées, il y a une aug­men­ta­tion à la fois des troubles anxieux, dépres­sifs, et aus­si des conduites à risque”, sou­ligne Amélie Perrière. Tandis qu’au niveau de la fer­ti­li­té, des études ont mon­tré que le recours à la pro­créa­tion médi­ca­le­ment assis­tée (PMA) était plus fré­quent chez les femmes ayant eu une puber­té pré­coce non traitée. 

De son côté, Eve, la mère de Romy, a pesé le pour et le contre pen­dant des mois, avant de fina­le­ment refu­ser le trai­te­ment pres­crit par son pédiatre, qui n’est pas obli­ga­toire. Elle choi­sit à la place de se tour­ner vers la méde­cine alter­na­tive, l’acupuncture notam­ment. Après quelques séances, elle indique que le bour­geon mam­maire de sa fille a dis­pa­ru deux mois après son appa­ri­tion. Rien ne peut pour autant attes­ter scien­ti­fi­que­ment les bien­faits de la méde­cine alter­na­tive sur la puber­té pré­coce.“Je com­prends que les parents puissent se sen­tir incon­for­tables à l’idée d’aller trai­ter un pro­blème de per­tur­ba­tion hor­mo­nale avec des hor­mones de syn­thèse. Mais, on a beau­coup de recul sur ces trai­te­ments, assure Mélanie Popoff, méde­cin sco­laire et autrice du livre Perturbateurs endo­cri­niens : on arrête tout et on réflé­chit ! Ils ont peu d’effets secon­daires et sont bien tolé­rés et, sur­tout, le rap­port bénéfice/​risque est clai­re­ment en faveur du trai­te­ment. L’homéopathie et l’acupuncture n’ont démon­tré aucune effi­ca­ci­té dans le trai­te­ment des puber­tés pré­coces, et je trouve que ce choix est une perte de chance pour les enfants souf­frant de puber­té pré­coce, quand on sait les consé­quences aux­quelles cela expose.” 

“On se sent sou­vent très seules face à tout ça” 

Nathalie, mère de Ella, 6 ans et demi

Qu’importe, de nom­breuses mères, sou­vent déses­pé­rées par la situa­tion, cherchent comme ève des “alter­na­tives douces” sur les forums et les groupes Facebook. “Le pro­blème, c’est que l’on a sou­vent peu de temps pour réagir et des injec­tions d’hormone à cet âge ça fait for­cé­ment peur, explique Nathalie, dont la puber­té pré­coce de sa fille est soup­çon­née mais n’a pas encore été diag­nos­ti­quée. On se sent sou­vent très seules face à tout ça, ce n’est pas rien de faire le choix d’injecter des hor­mones à sa fille.” 

À l’image de Nathalie, l’épreuve est sou­vent dif­fi­cile à vivre pour les mères, autant que pour les filles sur qui les réper­cus­sions psy­cho­lo­giques peuvent être reten­tis­santes. Alors, com­ment réagir, expli­quer la puber­té pré­coce à son enfant alors même que la plu­part des parents n’ont encore jamais évo­qué la sexua­li­té ou les règles avec elle, et sur­tout, com­ment l’accompagner ? Ce sera l’objet du troi­sième et der­nier épi­sode de notre série.

Retrouvez les autres épi­sodes de notre série sur la puber­té pré­coce :

Épisode 1 – Puberté pré­coce, un pro­blème de san­té publique ?

Épisode 3 – Comment faire face aux inquié­tudes de son enfant ?

* Les pré­noms ont été modifiés.

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