Episode 2/3
Cette semaine, Causette vous plonge dans les affres de la puberté précoce à travers une série en trois épisodes. Après avoir décortiqué l’implication des perturbateurs endocriniens, il est temps de s’intéresser au traitement hormonal prescrit aux petites filles de moins de 8 ans pour freiner leur puberté. Un traitement recommandé par les médecins qui suscite nombre d’inquiétudes et de controverses du côté des parents.
“C’est bizarre maman, j’ai déjà des nénés qui poussent.” Nous sommes le 11 décembre 2020, et le cœur d’ève vient de faire un bond dans sa poitrine. Après avoir entendu cette phrase sortir de la bouche de sa fille, Romy*, même pas 8 ans, elle s’empresse de palper sa poitrine et sent effectivement une boule de la taille d’une olive. “C’est un coup de massue et je pense tout de suite à la puberté précoce”, confie ève à Causette. Moins d’un mois plus tard, le 31 décembre, les examens médicaux confirment ses doutes. À même pas 8 ans, Romy a déjà l’utérus d’une petite fille de 12 ans. “Le médecin m’a informée que la puberté avait clairement démarré et que si on parvenait à tenir un an avant ses premières règles, ce serait déjà pas mal”, se souvient ève.
Le traitement hormonal est prescrit dans deux indications : le pronostic de taille une fois adulte et le retentissement psychologique. “Dans le cadre de la puberté précoce, un des principaux risques si on ne fait rien, c’est un pronostic de taille défavorable, souligne Amélie Perrière, pédiatre endocrinologue à l'hôpital Trousseau à Paris. C’est le point sur lequel on sera particulièrement vigilants. Si une fille commence sa puberté à 1,25 m et qu’elle prend 15 cm, elle finira probablement avec une taille adulte inférieure à la moyenne.”
Une course contre la montre s’engage alors pour ève et Romy. Le pédiatre endocrinologue prescrit à la fillette du Decapeptyl pour stopper le processus enclenché bien trop tôt. Comme le Gonapeptyl ou l’Enantone, il s’agit d’un traitement hormonal par injection, en général tous les trois mois, et qui dure environ deux ans. Aujourd’hui, hormis les très rares cas de puberté précoce liés à une tumeur, ces traitements hormonaux sont nécessaires pour faire régresser ou du moins stabiliser les signes de développement pubertaire.
“Dans le cadre de la puberté précoce, un des principaux risques si on ne fait rien, c’est un pronostic de taille défavorable”
Amélie Perrière, pédiatre endocrinologue à l'hôpital Trousseau à Paris
Et dans certains cas, il s’agit en effet d’une course contre la montre. Car pour pouvoir en bénéficier, les petites filles ne doivent pas encore avoir eu leurs règles, qui arrivent à la fin de la puberté, en moyenne deux ans après les premiers symptômes. “Les parents remarquent souvent en premier la poussée mammaire ou l’accélération de la croissance. Tout d’un coup, leur enfant se met à changer en trois mois de taille de chaussures ou de taille de pantalons, c’est souvent ce qui leur met la puce à l’oreille, explique Amélie Perrière, pédiatre endocrinologue à l’hôpital Trousseau à Paris. Mais on a aussi des cas de jeunes filles où cela est imperceptible. Quand il y a un surpoids et donc un petit peu de graisse au niveau de la glande mammaire, ça peut passer inaperçu pendant longtemps. Quand elles arrivent alors en consultation, les règles sont déjà là. Et là, malheureusement, il n’y a pas de traitement, c’est trop tard.”
Le pronostic de taille a longtemps inquiété Corinne. Le cas de sa fille, Emma*, 12 ans et demi, est particulier. Elle est née prématurément, avec donc une très petite taille. “On m’avait dit que les bébés nés prématurément avaient plus de risques d’être ensuite confrontés à la puberté précoce”, raconte Corinne à Causette. Une information que nuance Amélie Perrière qui précise que “ce n’est pas tellement le fait de naître bien avant le terme qui est en cause, mais surtout le fait de naître petit en taille”. “On sait que les retards de croissance intra-utérine favorisent la puberté précoce”, ajoute la pédiatre. Que l’enfant naisse prématurément ou pas. Ce sont des enfants qui vont être suivis dès la petite enfance par un pédiatre endocrinologue.” À la différence d’ève, Nathalie et d’autres mères interrogées par Causette qui ont découvert la puberté précoce de leur fille avec fracas, Corinne a donc eu la chance d’être informée tout de suite. Emma a pu être suivie depuis sa naissance. À 9 ans, des examens de contrôle confirment les craintes de sa mère. Emma n’est pas dans ce qu’on appelle une puberté précoce mais dans une puberté avancée puisqu’elle a dépassé l’âge de 8 ans. “Elle risquait de faire 1,40 m une fois adulte, donc elle a pu bénéficier du traitement même si elle avait dépassé l’âge clinique, souligne Corinne. C’était une évidence, on ne s’est pas du tout posé la question.”
Des bons résultats
Un mois après l’annonce du diagnostic, Emma entame son traitement. Une injection par trimestre pendant dix-huit mois. Selon sa mère, elle a très bien vécu cette période et les effets sur son corps se sont vus assez rapidement. “Ça a freiné sa puberté, a constaté Corinne. Sa croissance a repris mais de façon plus régulière.” Avec le traitement hormonal, la pédiatre a aussi observé une diminution de la glande mammaire chez ses petites patientes. Après l’arrêt du traitement, la puberté reprend et les règles surviennent en moyenne douze à dix-huit mois après la dernière injection. Emma a eu ses règles à 12 ans. “On m’avait dit qu’elle aurait ses règles en CM2, elle les a eues en cinquième”, se réjouit Corinne. Elle espère aujourd’hui que sa fille atteigne les 1,57 m à l’âge adulte.
Si Corinne n’a pas hésité une seule seconde, pour d’autres parents le traitement est source d’incertitudes, d’inquiétudes et de tâtonnements. “Le traitement est quand même lourd, ce n’est pas rien des injections d’hormone à son âge, raconte par exemple ève, la mère de Romy. J’ai complètement paniqué, je ne savais pas quoi faire.” Comme elle, beaucoup de parents craignent des effets secondaires néfastes et se tournent vers Internet et les réseaux sociaux pour trouver des réponses et du soutien. Sur le groupe Facebook, “Puberté précoce/avancée”, nombreux sont ainsi les parents – surtout les mères, charge mentale oblige – à décrire pertes de cheveux, prises de poids, troubles dépressifs et anxieux chez leurs filles.
“Je culpabilise énormément d’avoir donné mon accord sur la mise en place du traitement”
Une mère sur un groupe Facebook de soutien parental
Exemple, en mai 2022, lorsqu’une mère parle du cas de sa fille de 9 ans qui a entamé les injections depuis dix-huit mois. “Les effets sur sa prise de poids ont été catastrophiques, explique-t-elle en précisant que sa fille était déjà en surpoids lorsqu’elle a commencé. Aujourd’hui, elle fait 1,55 m et 72 kilos. Elle a pris 25 kilos en dix-huit mois. Cela m’affole, elle a tout le temps faim, impossible de la rassasier et de la raisonner. Je constate également beaucoup de changements d’humeur, des crises de larmes, une baisse hallucinante de sa confiance en elle… Difficile à dire si tout cela est à cause du traitement ou si c’est l’adolescence qui pointe le bout de son nez. On revoit l’endocrinologue pour une dernière injection, mais j’hésite à ne pas la faire. Je culpabilise énormément d’avoir donné mon accord sur la mise en place du traitement. Je pense qu’elle aurait beaucoup mieux supporté d’avoir ses règles à 9 ans.”
Que dit concrètement la médecine sur ces réactions ? “Déjà, il faut savoir que dans le cadre de la puberté précoce, le traitement est un analogue d’hormones, ce qui veut dire que ça ressemble à ce que le corps produit lui-même, assure Amélie Perrière. Par ailleurs, on commence à avoir pas mal de recul, ce sont des traitements qui sont utilisés depuis près de trente ans. Et en termes d’effets indésirables, il y en a quand même très peu. Le principal est une réaction cutanée en lien avec l’injection elle-même.” Les spécialistes pointent aussi une augmentation de l’appétit surtout dans les premiers mois du traitement. “Il y a plusieurs études en cours pour mesurer l’impact du poids et du métabolisme dans la puberté précoce, explique Amélie Perrière. Mais on a déjà l’impression qu’avant de débuter, il y a une prise de poids plus importante chez les patientes.”
En quête de médecine douce
Dans les effets secondaires potentiels du traitement, la pédiatre endocrinologue évoque aussi de possibles liens avec le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) : “On suspecte un lien mais il existe peu de preuves claires. Savoir si c’est le fait d’avoir fait sa puberté précoce ou le fait d’avoir eu le traitement, pour l’instant les études n’ont pas encore répondu.” En ce qui concerne les troubles dépressifs provoqués par le traitement, rien non plus n’a été scientifiquement démontré. “On sait au contraire que chez les jeunes filles qui n’ont pas été traitées, il y a une augmentation à la fois des troubles anxieux, dépressifs, et aussi des conduites à risque”, souligne Amélie Perrière. Tandis qu’au niveau de la fertilité, des études ont montré que le recours à la procréation médicalement assistée (PMA) était plus fréquent chez les femmes ayant eu une puberté précoce non traitée.
De son côté, Eve, la mère de Romy, a pesé le pour et le contre pendant des mois, avant de finalement refuser le traitement prescrit par son pédiatre, qui n’est pas obligatoire. Elle choisit à la place de se tourner vers la médecine alternative, l’acupuncture notamment. Après quelques séances, elle indique que le bourgeon mammaire de sa fille a disparu deux mois après son apparition. Rien ne peut pour autant attester scientifiquement les bienfaits de la médecine alternative sur la puberté précoce.“Je comprends que les parents puissent se sentir inconfortables à l’idée d’aller traiter un problème de perturbation hormonale avec des hormones de synthèse. Mais, on a beaucoup de recul sur ces traitements, assure Mélanie Popoff, médecin scolaire et autrice du livre Perturbateurs endocriniens : on arrête tout et on réfléchit ! Ils ont peu d’effets secondaires et sont bien tolérés et, surtout, le rapport bénéfice/risque est clairement en faveur du traitement. L’homéopathie et l’acupuncture n’ont démontré aucune efficacité dans le traitement des pubertés précoces, et je trouve que ce choix est une perte de chance pour les enfants souffrant de puberté précoce, quand on sait les conséquences auxquelles cela expose.”
“On se sent souvent très seules face à tout ça”
Nathalie, mère de Ella, 6 ans et demi
Qu’importe, de nombreuses mères, souvent désespérées par la situation, cherchent comme ève des “alternatives douces” sur les forums et les groupes Facebook. “Le problème, c’est que l’on a souvent peu de temps pour réagir et des injections d’hormone à cet âge ça fait forcément peur, explique Nathalie, dont la puberté précoce de sa fille est soupçonnée mais n’a pas encore été diagnostiquée. On se sent souvent très seules face à tout ça, ce n’est pas rien de faire le choix d’injecter des hormones à sa fille.”
À l’image de Nathalie, l’épreuve est souvent difficile à vivre pour les mères, autant que pour les filles sur qui les répercussions psychologiques peuvent être retentissantes. Alors, comment réagir, expliquer la puberté précoce à son enfant alors même que la plupart des parents n’ont encore jamais évoqué la sexualité ou les règles avec elle, et surtout, comment l’accompagner ? Ce sera l’objet du troisième et dernier épisode de notre série.
Retrouvez les autres épisodes de notre série sur la puberté précoce :
Épisode 1 – Puberté précoce, un problème de santé publique ?Épisode 3 – Comment faire face aux inquiétudes de son enfant ?
* Les prénoms ont été modifiés.