Alors que l'Union européenne envisage de bannir du marché européen les produits issus du travail forcé, le Parlement de Bruxelles a accueilli en son sein mardi une performance artistique et un défilé de mode éthique afin de sensibiliser les consommateur·rices.
« Attention à ce que vous portez ». C'est le message que le Parlement européen a voulu transmettre aux citoyen·nes mardi 28 mars en organisant au sein de son siège bruxellois un happening tranchant avec la sobriété feutrée des lieux. Au programme, une performance artistique réalisée avec la participation d'ex-victimes du travail forcé ainsi que le défilé de la créatrice de mode éthique Louise Xin, Chino-suédoise travaillant à Paris : une manière de faire connaitre les ambitions de l'Union européenne au sujet du travail forcé.
Mi septembre, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a en effet dévoilé les contours d'un plan pour éradiquer du sol européen les produits issus ou partiellement issus du travail forcé. Dans le viseur de la Commission, sans toutefois la nommer : la Chine et ses camps de redressement des Ouïgour·es, forcé·es de confectionner des vêtements dans des usines qui sous-traitent à de grandes marques occidentales. Selon de nombreux·euses défenseur·euses des droits humains, cette minorité musulmane chinoise est victime d'un véritable « génocide ».
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À titre de comparaison, les États-Unis et le Canada n'ont, eux, pas hésité à bannir spécifiquement de leurs importations les produits provenant du Xinjiang comme le rappelait alors Libération, qui regrettait que le principe du libre-échange ait prévalu dans la construction du texte européen. En réponse, un haut fonctionnaire européen cité par Le Monde indiquait : « Notre règlement est non discriminatoire. Il a été pensé pour être compatible avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce. »
En tout état de cause, le processus engagé pour contraindre les États membres à appliquer une telle règlementation sera long. Interrogés par Causette, les services du Parlement européen précisent que le rapport parlementaire étudiant le texte de la commission ne serait pas voté par les commissions parlementaires concernées (marché intérieur et commerce international) avant septembre. Le texte devra ensuite passer en session Plénière. En parallèle, le projet de règlement doit être adopté par une majorité qualifiée du Conseil des ministres où siègent les ministres de l'Économie des Vingt-Sept (55 % des Etats représentant 65 % de la population). Selon Libé, il faudra ensuite attendre deux ans pour une mise en application, « soit à la mi-2026 au plus tôt », calcule le journal. En attendant donc, le Parlement européen tente de faire évoluer les pratiques de consommation en menant des actions de sensibilisation des citoyen·nes européen·nes sur la question de la provenance de leurs vêtements.
Vers un devoir de vigilance des multinationales européen ?
Du côté du collectif militant Éthique sur l'étiquette, invité ce mardi pour suivre l'événement, les espoirs se portent plus directement sur l'élaboration en cours au sein de l'Union d'une directive européenne sur le devoir de vigilance des multinationales, inspirée par la loi française entrée en vigueur il y a de cela six ans. Cette dernière impose aux multinationales siégeant en France de veiller, au sein de leurs entreprises sous-traitantes, au respect des droits humains des salarié·es et des normes environnementales. « La loi française sur le devoir de vigilance des entreprises était pionnière et historique, elle a d'ailleurs inspiré une loi allemande similaire, souligne Nayla Ajaltouni, porte-parole du collectif Éthique sur l'étiquette. Nous attendons de l'actuel projet de directive européenne qu'il aille encore plus loin que ces standards français et allemands et pallie les manquements, notamment en ce qui concerne le mécanisme de contrôle pour la loi française. » En tout état de cause, qu'il s'agisse d'un potentiel devoir de vigilance européen ou d'une interdiction d'importation de produits issus du travail forcé, c'est le niveau des sanctions des entreprises récalcitrantes qui fera la différence, insiste Nayla Ajaltouni.
Plainte pour recel de crime contre l'humanité
En parallèle, c'est sur ce principe de responsabilisation des acteurs économiques qu'Éthique sur l'étiquette et d'autres associations ont d'ailleurs porté plainte en France en 2021 pour recel de crime contre l'humanité contre plusieurs multinationales de l'habillement qu'elle soupçonne de sous-traiter à des camps de travaux forcés en Chine : Inditex (qui détient notamment les marques Zara, Bershka, Pull and Bear, Massimo Dutti), Uniqlo, SMCP (qui détient les marques Sandro, Maje, Claudie Pierlot, De Fursac) et Skechers USA. Dans le cadre de l'instruction, menée par le Parquet national anti-terroriste, les ONG ont été auditionnées en décembre 2021. Depuis, elles patientent.