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© Calem institute

À Marseille, le lieu de culte Calem ouvre ses portes pour croi­ser islam et LGBTQIA+

La mai­son Calem existe depuis quelques mois à Marseille, mais n’a pu ouvrir ses acti­vi­tés au public que ce mois-​ci. À tra­vers ce lieu de for­ma­tion, d’insertion et de prières, cet ins­ti­tut musul­man espère « apai­ser les consciences » afin que chacun·e trouve sa place. Reportage.

Ils et elles s’appellent Moussa, Souleymane, Nadia, Sofiane… Ils et elles sont musulman·es et LGBT. Iels sont pris entre deux caté­go­ries de pré­ju­gés, qu’elles soient de genre, d’orientation sexuelle ou reli­gieuse. Certain·es sont né·es ici, d’autres ont trou­vé refuge en France après avoir été vic­times d’homophobie dans leur pays d’origine, mais iels souffrent des mêmes dis­cri­mi­na­tions croi­sées. Alors iels se sont uni·es pour pra­ti­quer leur reli­gion en paix, à Marseille. Leur imam, Ludovic-​Mohamed Zahed, est un Franco-​Algérien arri­vé en France à l’âge d’un an. Il n’est pas tout à fait incon­nu des médias euro­péens, sur­tout depuis qu’il s’est posi­tion­né publi­que­ment en sou­tien aux femmes musul­manes por­tant le voile, ou en faveur de la PMA pour toutes, dès 2013. 

La deuxième ville de France a cette par­ti­cu­la­ri­té de déte­nir un centre-​ville encore (très) popu­laire. Le troi­sième arron­dis­se­ment de Marseille, la Belle de mai, résiste à la gen­tri­fi­ca­tion accé­lé­rée. Les habitant·es y résident comme dans un vil­lage, dou­ce­ment, met­tant sou­vent la soli­da­ri­té au cœur de leur quo­ti­dien. Il y a encore beau­coup de mai­sons de ville, par­fois tris­te­ment décré­pies. Celle de l’institut Calem a la façade modeste, très modeste. Mais à l’arrière, un joli jar­din fleu­ri détonne, don­nant sur la salle de prière. En ce début du mois de juin, un petit groupe de per­sonnes migrantes y est assis sur des cous­sins bro­dés, pre­nant le soleil autour d’une chi­cha. Il faut se déchaus­ser en arri­vant. Le lieu de culte qui ouvre ses portes à la mi-​juin com­mence d’ores et déjà à accueillir des proches de l’imam.

Zahed, l’imam gay, semble très occu­pé mais accueillant. D’emblée, il invite ses amis à « prendre de la dis­tance avec les éti­quettes ». Le cher­cheur en sciences sociales raconte qu’il lui a fal­lu « beau­coup tra­vailler pour se sor­tir de la tête la repré­sen­ta­tion de l’islam » avec laquelle il a gran­di, « homo­phobe, miso­gyne, anti­sé­mite », dit-​il. Il le répète, l’islam n’est pas « une per­sonne à qui je peux télé­pho­ner », l’islam c’est « nous, les musul­mans » et c’est « à nous de nous libérer ». 

Assis en tailleur, il prend le temps de racon­ter son vécu. « Il y a dix ans, être gay et musul­man cho­quait beau­coup de per­sonnes. Aujourd’hui, je ren­contre d’autres imams qui me posent des ques­tions très ouvertes sur mes recherches [qui se concentrent sur la ques­tion de cette double iden­ti­té, ndlr] », mais « il reste beau­coup à faire », insiste celui qui forme une dizaine d’imams chaque année depuis 2015. À l’université d’Aix-Marseille, mais aus­si à Genève ou à Amsterdam, il par­ti­cipe à des études uni­ver­si­taires sur ces ques­tions inter­sec­tion­nelles. L’auteur du livre Le Coran et la chair cherche à démon­trer que la reli­gion « n’est pas un sys­tème fas­ci­sant de contrôle des iden­ti­tés », mais un « outil d’émancipation », qui « nous relie les uns aux autres ». Dans la droite lignée de cette pen­sée, son ins­ti­tut Calem se donne pour mis­sion de « construire des iden­ti­tés alter­na­tives aux modèles dominants ». 

« Comment faire de nos dis­cri­mi­na­tions des outils d’émancipation, et non pas de rejet de l’autre ? » Tel était d’ailleurs le débat abor­dé le 5 juin à l’institut Calem, à la suite de la pro­jec­tion d’un film queer. « Cela nous per­met d’aller mieux, tout sim­ple­ment », explique Aissa, 32 ans, qui ne pra­tique pas. Né·e assigné·e femme dans un quar­tier voi­sin, iel ne veut se gen­rer ni au fémi­nin ni au mas­cu­lin. « Je ne compte plus toutes les fois où j’ai été agressé·e, raconte Aissa, qui tra­vaille dans une radio asso­cia­tive. J’ai par­fois du mal à me faire com­prendre dans ma famille ou dans mon milieu pro­fes­sion­nel, c’est incroyable comme les gens sont per­dus quand ils ne peuvent plus t’identifier, alors que nous sommes tous des humains. »

Moussa Fone Fofana, réfu­gié malien homo­sexuel, pré­sident de l’association RML (pre­mier Réseau-​Migrant-​LGBT de Marseille, fon­dé en jan­vier) explique de façon très claire le contexte obs­cur dans lequel il a évo­lué et les vio­lences extrêmes subies. Il conti­nue de se battre ici : « Beaucoup de migrants, quand ils arrivent, s’attendent à être bien reçus, à pou­voir vivre enfin en paix, mais en fait, c’est rare­ment le cas. Je dirais même qu’on est par­fois per­çus comme non humains. » Alors, « il faut se défendre, cela ne finit jamais. » Pourtant, « on tente de s’émanciper dans un contexte social qui nous échappe tota­le­ment, on prend conscience qu’il faut faire cent fois plus que les autres [les per­sonnes blanches, ndlr] pour être accep­tés. » Naïma, les­bienne et musul­mane, qui vient d’obtenir son diplôme d’avocate, l’écoute avec beau­coup d’inquiétude. Elle estime qu’avec l’actualité « nau­séeuse », « tous les ingré­dients sont là pour entrer dans une période pré­fas­ci­sante » avec ce « déchaî­ne­ment des identités ».

Selon Ludovic-​Mohamed Zahed, c’est « le patriar­cat » et ses « mythes viri­listes » qui ont entraî­né une « inter­pré­ta­tion des textes sacrés qui condamne cette orien­ta­tion sexuelle ». Mais ce qui est net­te­ment condam­né dans les textes, c’est « le viol, que ce soit sur des femmes ou sur des hommes », notam­ment à Sodome et Gomorrhe. 

Quand Ludovic-​Mohamed a com­men­cé à s’exprimer sur le sujet publi­que­ment, notam­ment lors de la ten­ta­tive de créa­tion d’une mos­quée inclu­sive avec deux femmes imames en 2012, « bien sûr [qu’il a] reçu des menaces », dit-​il, à ce moment il y avait même « [son] numé­ro de por­table et [son] adresse pos­tale sur Internet », mais « il ne s’est jamais rien pas­sé, Dieu soit loué ». Aujourd’hui, on pour­rait pen­ser que le contexte n’est pas pro­pice à une telle ini­tia­tive pro­gres­siste, avec, d’un côté, un islam sala­fiste qui se fait entendre en France, et de l’autre, l’irruption dans le débat public d’un soup­çon « d’islamo-gauchisme » dont se ren­drait cou­pable une frange des uni­ver­si­taires. Mais là encore, l’imam sur­prend par ses décla­ra­tions : « Malgré quelques mal­adresses, il y a du mieux de la part de l’État (davan­tage de cartes de séjour déli­vrées pour des per­sonnes LGBT et musul­manes mena­cées dans leur pays d’origine, une recon­nais­sance des dis­cri­mi­na­tions de genre, par exemple). Cela avance, trop dou­ce­ment certes, mais je suis recon­nais­sant envers l’administration publique. » D’ailleurs, il assure avoir reçu « beau­coup plus d’encouragements et de féli­ci­ta­tions, de la gen­tillesse », d’élu·es. Et de rap­pe­ler : « la France est le pre­mier expor­ta­teur de dji­ha­distes euro­péens, ce que nous fai­sons est très utile pour la paix. »

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