Pour cette nouvelle année scolaire, Causette vous propose de voguer sur la galère de celles et ceux qui ont choisi le réputé « plus beau métier du monde » avec sa série « Tohu Bahut » : un rendez-vous régulier avec Diane, jeune prof d'anglais qui débute dans un lycée de la région parisienne, la fleur au fusil.
Tohu Bahut, épisode 3
« Il était temps d’être en vacances ! » Diane1, sirote sa menthe à l’eau assise à la terrasse d’un café parisien, en évoquant les sept premières semaines de cours qui viennent de s’écouler. « J’étais épuisée physiquement, à la fin, j’avais vraiment du mal à réfléchir en cours », affirme la jeune professeure d’anglais. La cause de cet épuisement ne vient pas tant des deux heures quotidiennes de trajet entre son appartement de l'est parisien et son lycée public du Val‑d’Oise (95) mais du « combat » qu’elle mène depuis des semaines pour une élève de première dont elle est la professeure principale.
Nous vous parlions déjà, dans l’épisode 2, de cette élève terrifiée à l’idée de passer à l’oral. Pour lui permettre de passer sereinement celui du bac de français à la fin de l’année, Diane a multiplié les aller-retours dans le bureau du proviseur pour demander un aménagement personnalisé de l’épreuve. « La professeure de français a adapté son cours en lui faisant retranscrire les oraux par écrit par exemple, mais si ça ne suit pas au niveau du bac, ça n’aura servi à rien », se désespère Diane. Et pour cause, face à ses propositions d’aménagement (tiers temps, transcription par écrit, disposition particulière de la salle ou écoute bienveillante des profs), le proviseur est pour le moment resté « évasif ». « Je n’ai pas vraiment l’impression qu’il ait conscience de ce qu’est une crise d’angoisse, soupire Diane. L’élève en question a fourni un certificat établi par un psychiatre avant les vacances, j’espère que ça sera mis en place, le temps presse, les oraux blancs, c’est déjà en février. Je dois avouer que ça m’angoisse pas mal. »
Semaine de 40 heures
Pour la prof de 25 ans, les choses seraient plus faciles à gérer si le lycée disposait d’un·e infirmier·ière scolaire. Le proviseur a bien réussi à boucher les derniers trous des emplois du temps en recrutant à la hâte en septembre des profs contractuel·les, mais la place d’infirmier·ière est, elle, toujours vacante. « On nous a dit qu’il y aurait quelqu’un d’ici le 15 novembre », croise les doigts Diane. En dehors de ça, le quotidien s’est sensiblement amélioré au lycée. Plus de pannes de courant régulières et les ordinateurs et vidéoprojecteurs fonctionnent « à peu près » tous correctement. Reste l’imprimante, qui continue à faire des siennes de temps en temps.
Autre amélioration sensible, note Diane, celle de son porte-monnaie. Pour le mois d’octobre, elle a touché 1 637 euros net, soit 139 euros de plus qu’en septembre. « L’Éducation nationale m’a enfin payé mes heures supplémentaires et mes heures de prof principale », dit-elle soulagée. Le mois précédent avait été compliqué. La jeune femme vit dans un appartement exiguë avec son conjoint britannique qui ne travaille pas actuellement. « Il a fallu se serrer la ceinture », déclare Diane ajoutant d'emblée « en avoir [sa] claque » du mythe du prof fainéant et bien payé. D’ailleurs, elle confie à Causette que certains commentaires acerbes sur les réseaux sociaux suite à l’épisode 2 de notre série l’ont particulièrement blessée. « Les gens pensent qu’on travaille 18 heures par semaine et que le reste du temps, on glande, on est en vacances, mais c’est faux. Entre les corrections de copie, la préparation des cours et les cours eux-mêmes, je pense être à plus de quarante heures par semaine », assure-t-elle, précisant bosser même pendant les vacances. « Il me reste 35 audios d’élèves à écouter et une vingtaine de copies à corriger d’ici la rentrée. »
« Je garde en tête que moi non plus, je n’étais pas bonne partout au lycée. »
Si Diane est satisfaite de cette augmentation, il manque toujours sur sa fiche de paie son avancement d’échelon. En devenant professeur titulaire, elle est, en effet, passée de l’échelon 1 à l’échelon 2 au mois de septembre. « Ça devrait tomber au mois de janvier ou février et je devrais gagner un peu moins de 2 000 euros nets par mois au total. C’est bien, mais je trouve que ce n’est pas cher payé pour ce que je fais », soutient-elle. C’est pourquoi la professeure d’anglais a déjà prévu de faire grève avec ses jeunes collègues, comme le 1er octobre dernier, si d'autres sont prévues cette année. « Certaines personnes me reprochent de déjà faire grève alors que c’est ma première année, je leur réponds “Il y en aura d’autres !” », affirme Diane. On n’est pas obligé d’avoir une vision binaire du métier, on peut aimer son travail de prof tout en critiquant l’institution. Travailler ne devrait pas être une souffrance et je suis assez contente de voir que ma génération revendique un équilibre entre le travail et la vie personnelle. »
Diane nous confie avoir la sensation de se donner corps et âme à ce métier et à ses élèves. En quelques semaines, elle sent d’ailleurs qu’elle a gagné en assurance face à ses classes. « Je ne culpabilise plus lorsque j’élève la voix, même si je me mets rarement en colère », nuance-t-elle. Une assurance obligatoire, compte tenu du comportement et des conditions d’enseignement parfois difficiles dans des classes à 35 élèves. À cette période de l’année bien entamée, les différences de niveaux se confirment. La prof d’anglais explique avoir remarqué une bonne aisance chez certain·es quand d’autres sont complètement largué·es lorsqu’elle leur demande de rédiger sept lignes en anglais.
S’adapter
Difficile dans ce cas de garder une homogénéité. « Je m’adapte, je fais moins participer les élèves en difficulté, car je sais que ça peut être ressenti comme une honte de ne pas être bon à l’oral, précise Diane. C’est frustrant d’interroger toujours les quatre mêmes volontaires, mais je n’ai pas le choix, il faut que j’avance sur le programme. Je suis aussi plus clémente avec eux tout en gardant une notation objective. On va dire que je garde en tête que moi moi non plus, je n’étais pas bonne partout au lycée. »
Parfois, il faut aussi composer avec des élèves qui n’ont pas du tout envie de bosser. « Les BTS s’en foutent complètement de l’anglais, beaucoup sont là par dépit, en fait. Ils se lancent des “Mange mon chibre !” et autres insultes à longueur de cours. Avec eux, je dois avouer que j’ai laissé tomber, je n’essaye plus de faire la police, je n’ai plus envie », confesse Diane en remettant ses lunettes rondes sur son nez.
« Aucun élève déteste apprendre, mais par contre le système éducatif n’est pas fait pour tout le monde. »
Pour la jeune prof, ce manque d’investissement vient surtout du système. « Aucun élève déteste apprendre, mais par contre, le système éducatif n’est pas fait pour tout le monde. » Dans un monde rêvé, Diane aimerait des classes allégées et, surtout, beaucoup plus d’Accompagnant·es d’élèves en situation de handicap (AESH) au sein des établissements. « Elles sont indispensables pour les élèves en difficulté, mais trop peu nombreuses, déplore-t-elle. J’ai un élève malentendant qui ne bénéficie pas d’AESH, je suis obligée de me mettre à côté de lui quand je parle. C’est un miracle qu’il n’ait pas encore décroché du système scolaire ! »
Malgré la fatigue et le poids du cartable, Diane confie avoir hâte de retrouver ses classes lundi prochain. Pour la reprise, elle a prévu des séquences sur Jack l’Éventreur et la période de la prohibition aux États-Unis. De quoi intéresser ses élèves, même les plus taciturnes.
Lire aussi I Tohu Bahut, Ep 2 – « J’adore mon métier mais je sais déjà que je ne ferai pas prof toute ma vie »
- Le prénom a été modifié[↩]