Militant de la lutte contre le sida, le Dr Kpote intervient depuis une vingtaine d’années dans les lycées et centres d’apprentissage d’Île-de-France comme « animateur de prévention ». Il rencontre des dizaines de jeunes avec lesquel·les il échange sur la sexualité et les conduites addictives.
![Le «Mila gate», une question de doigté 1 109 Kpote © Marta Blue](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/02/109-Kpote-©-Marta-Blue-768x1024.jpg)
À Marc, qui sait, lui, maintenant.
Le 18 janvier restera comme le Fucking Mila Day dans les limbes de la mémoire Twitterienne. Petit récap pour celles et ceux qui étaient en zone blanche à ce moment-là : Mila, une jeune ado de 16 ans, échangeait en livesur Instagram avec ses abonné·es. Jusqu’ici, tout va bien. Dans le fil, un internaute dragueur relou est recalé par Mila, qui officialise son homosexualité. Castré dans son amour propre, le mec l’aurait insultée, l’accusant de racisme et d’islamophobie, aussitôt followé par d’autres. En représailles, la jeune fille a posté une vidéo très critique sur l’islam, qualifiant la religion ainsi : « Le Coran est une religion de haine […] Votre religion, c’est de la merde, votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul, merci au revoir. » À la seconde où elle a cliqué sur « publier », c’est comme si elle avait ouvert la mallette nucléaire en cuir de couilles de Donald, tourné la clé et déclenché la troisième guerre mondiale. Menaces de mort, de viol, insultes homophobes, sur Twitter les haters et autres désœuvré·es de la life se sont sauvagement étripé·es derrière des hashtags #JeSuisMila ou #JeNeSuisPasMila. Dans mes séances d’éducation à la sexualité, les religions influencent souvent les débats. C’est dans l’air du temps, les jeunes cherchent ce qui peut faire sens dans un monde pas hyper optimiste pour leur avenir. Le petit pas de côté, l’humour, permet souvent de dépassionner les échanges avec les ados. Et comme je suis plus travailleur social que théologien, j’ai eu envie de sortir du débat sociétal pour faire un peu de prévention anale.
Un doigt fourré dans le cul comme ça, à l’arrache, et « merci au revoir », ça ne se fait pas, Mila. Et encore moins dans le sphincter du Grand Tout, fort de millions de fidèles, constipés comme jamais quand il s’agit d’aborder ce type de sujet. La sodomie nécessite le plein accord de son partenaire, son consentement. Et Dieu, tu ne lui as pas laissé de temps, tu l’as fourré direct, bien vénère. Preuve que les trois séances d’éducation à la sexualité par an ne seraient pas de trop. Sodomiser réclame du doigté et de la patience. D’abord, il convient de se nettoyer et de se couper les ongles, pour éviter la transmission de bactéries à la con et limiter les microlésions. L’anus est fragile, qu’il soit divin ou mortel. Et puis il convient de bien lubrifier, car la fameuse « porte de derrière » présente une voie moins facilement pénétrable. Il faut travailler le sphincter en douceur après avoir caressé les fesses, le SIF (sillon interfessier) et le périnée pour préparer au mieux l’acte. Ensuite, on y met un, puis deux doigts et on accompagne les mouvements de celui ou celle qui les reçoit. Il est recommandé d’aller à la selle avant cette pratique et de laver la région anale, pour ôter le stress du contact avec la matière fécale. Avais-tu anticipé les pestilentiels relents sur ton doigt et la Toile, Mila ?
Mais là où bon nombre y ont traduit une volonté d’agresser toute une communauté, peu se sont demandé si les paroles de Mila n’avaient pas vocation à détendre Dieu, à donner du plaisir à celui qu’on a de cesse de nous présenter comme peu affable et toujours prompt à nous faire subir son courroux. Quelqu’un·e s’est déjà demandé si Dieu avait une sexualité ? S’il aimait se faire titiller la prostate, si tant est qu’il soit ou fût (difficile de trouver le bon temps pour un·e intemporel·le) assigné masculin ? On pourrait le décréter non binaire, ce serait plus égalitaire. Mais que ses ouailles se rassurent, iel resterait Dominant avec un D majuscule s’il le faut, puisque, après tout, iel a tendance à nous prendre de haut, voire de Très-Haut.
Le lendemain de cette affaire, un jeune novice de l’Islam m’a lâché : « Monsieur, vous, les chrétiens blancs, vous distribuez des préservatifs à vos gamins et vous leur parlez de sexe tout le temps.
– Mais qui te dit que je suis chrétien ?, ai-je rétorqué.
– Ben vous êtes quoi, alors ? »
Il posait là une question révélatrice de cette génération pour qui il faut en être. L’« agnostiphobie » gagne chaque jour du terrain sans que personne ne s’émeuve de cette discrimination. Sheitan en diable, j’ai eu une illumination : « Je ne suis pas chrétien, mais Stéphanois ! » Devant l’air dubitatif de la classe, j’ai développé : « Le Stéphanois n’a qu’une religion, le foot. Et un seul Dieu, Dominique Rocheteau. »
J’avoue, c’était un rien inapproprié, mais ça a eu le mérite d’apporter un peu de diversité chez les monothéistes, la touche queer dans le monde des curés. J’ai quand même ajouté que je ne parlais pas « cul » avec mes gosses H24 ni ne leur servais des capotes sans gluten au petit déj. J’ai mes pudeurs bon sang ! Les raccourcis religieux à la sauce ado, c’est mon quotidien, et je trouve que c’est souvent une bonne base pour déconstruire les stéréotypes. Sauf que, depuis quelque temps, le simple fait de citer une religion devient suspect et impossible d’échapper au nouveau point Godwin depuis le 7 janvier 2015, être Charlie ou pas… Franchement à Saint-Étienne, on est plus tolérant avec notre prochain. Hormis les jours de derby. Mais comme je suis devenu un allié « islamogauchiste, indigéniste à tendance intersectionnelle avec les ‑racisé·es victimaires » (d’après Twitter), estimant que la parole des concerné·es doit primer sur l’universalité des luttes, j’accueille avec bienveillance leurs bonnes – et moins bonnes – paroles et interroge toutes les contradictions. Certains médias et certaines personnalités ont regretté que les « gens de gauche » ne se positionnent pas en faveur de Mila et contre l’« obscurantisme ». Mais l’adulte doit-il tweeter sans cesse sa petite morale perso, polémiquer sur les causes de chaque blasphème de récré ? D’ailleurs, fut un temps (béni ?) où l’outrage de Mila n’aurait pas passé le portail du bahut. Qu’on lui foute la paix. Et qu’on foute la paix aux musulmans. Parce que toutes ces injonctions à penser, qui leur sont adressées, fouettent le vieux colon à plein nez. Comme quoi, c’est bien derrière que ça se passe.