Very bad tripes

Militant de la lutte contre le sida, le Dr Kpote intervient depuis une vingtaine d’années dans les lycées et centres d’apprentissage d’Île-de-France comme « animateur de prévention ». Il rencontre des dizaines de jeunes avec lesquel·les il échange sur la sexualité et les conduites addictives.

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© K. Wojtas

Le 8 mars dernier, Journée internationale des droits des femmes, j’ai affûté mes punchlines de militant pour ferrailler avec des membres du bras armé du « zoolocauste », comme les qualifient les ultra véganes : une classe de jeunes en CAP boucherie. Du coup, évoquer les discriminations avec ces nouveaux ennemis du climat allait dans le sens de l’actu. Sur le ­chemin, j’apprenais, à la radio, que « bienveillance » avait été élu mot de l’année 2018 par les internautes, battant sur le fil le mot « climat » ! Je me suis dit que l’info pourrait dépanner en cas d’échanges trop saignants. Un sentiment de nostalgie m’envahissait puisque, dix-huit ans auparavant, j’avais été dépucelé professionnellement dans ce CFA par un groupe sévèrement burné. Cette fois, la présence de six filles m’a fait penser qu’on sortirait des stéréotypes d’antan. Comme je leur demandai s’ils et elles ne craignaient pas trop les attaques antispécistes, ils et elles ont tous et toutes éclaté de rire. Entre un bon pâté de tête et une salade au tofu, ils et elles étaient convaincu·es que la fête était bien plus folle avec du cholestérol. 

« Monsieur, la bienveillance, c’est pas toujours bien. La personne juste va envoyer le violeur en prison alors que la personne bienveillante va l’excuser en disant qu’il peut se rattraper ! » s’est ainsi attaqué au mot de l’année un jeune au premier rang. La prof a rebondi en rappelant que la bienveillance devait surtout être de mise vis-à-vis de la victime !

8 mars oblige, j’ai évoqué les nuisances du « système patriarcal », qu’ils et elles ont curieusement associé au patriotisme. De la préférence nationale à celle du genre, il n’y avait qu’un pas, que j’ai jovialement sauté.

J’ai projeté la photo de la COP 21 très costard-cravate avec seulement trois femmes sur cent cinquante chefs d’État. « Pourquoi si peu de femmes dans les postes à haute responsabilité ? » leur ai-je demandé. « Elles n’ont pas les épaules », a rétorqué l’un d’entre eux. Un autre nous a expliqué qu’en entérinant l’existence de la « Journée de la femme », celles-ci reconnaissaient officiellement leur infériorité. Autrement dit, avant de mettre un coup de tête au plafond de verre, elles seraient plus avisées de faire d’abord le ménage dans leurs engagements. « Pendant la guerre, c’étaient les femmes qui travaillaient aux champs et dans les usines. On est un pays macho, c’est pour ça qu’on les considère inférieures », a poursuivi un troisième larron. Celui-ci a ensuite reconnu sa propension au machisme, en signalant que, en cours de sport, il présageait systématiquement de la faiblesse physique des filles. Je lui ai expliqué qu’il était bien engagé sur le chemin de la déconstruction et, tout sourire, il n’a pas craché sur ce temps de valorisation. 

Un autre garçon, un œil disant merde à l’autre pour mieux mater la réaction d’une des filles manifestement à son goût, a donné dans le lyrisme sirupeux : « Les femmes sont les sources de la vie. On a besoin d’elles pour se reproduire ! » Un rien réac, le mec nous vendait une vision de la sexualité plutôt reproductive, l’aseptisant à grand renfort d’hygiénisme : « Un lieu où il y a une femme, c’est bien plus propre… »

«Au travail, on m’a dit que le sang de mes règles ferait du mauvais boudin, car j’étais trop vénère»

J’ai interpellé les filles de la classe à ce sujet et l’une d’elles s’est exprimée timidement : « Il y a des familles où les rôles habituels sont inversés. C’est l’homme qui fait le ménage, les repas… » Elle s’est mangé un bon manterrupting que j’ai tenté d’expliciter. Mais ce néologisme féministe ne leur parlait pas et, pour ambiancer la salle, l’un d’eux s’est ­risqué à la vanne corporatiste. Dans la grande surface où il travaillait, un collègue avait adressé à une caissière : « Toi, t’es du genre à avoir vu plus d’une saucisse se faux-filet dans ta culotte. » Chaînon manquant dans la dynastie des viandards, ce #BalanceTonPorc au rayon boucherie actait la naissance d’un nouveau procédé rhétorique, la « Totologie », fruit du coït entre le pléonasme et des blagues à Toto.  

Les filles semblaient sidérées. Alors les mecs, pas si bégueules, ont fait un grand pas vers l’égalité en leur ouvrant les portes du commerce. « À la caisse, ça rassure et attire le client. Elles sont plus sociables que nous », a assuré l’œil qui disait toujours merde à l’autre. Un autre a surenchéri : « Dans les bars, ils mettent des filles hyper bonnes au service pour que les mecs picolent. C’est la base du business. »

Vu que c’était leur fête, les filles passaient donc à la caisse. Elles ont désapprouvé, du bout des lèvres, gênées par la tournure de la discussion. L’une d’elles a témoigné : « Au travail aussi, les collègues font des blagues sexistes. On m’a dit que le sang de mes règles ferait du mauvais boudin, car j’étais trop vénère. » Rabaisser les femmes en associant états d’âme et menstruations reste un grand classique du sexisme ordinaire. Force était de constater que les étals sanguinolents du rayon boucherie n’invitaient pas à la tempérance.

« Une femme avec un couteau, c’est flippant, monsieur. Ça fait débander », a fini par déclarer un probable adepte du genre gore. Plusieurs filles ont souri tristement, se disant qu’il en faudrait des 8 mars avant qu’elles soient reconnues dans leur travail autrement que pour tailler la bavette au bout du comptoir avec les client·es. Cette phrase illustrait bien la grande peur du masculin, celle d’être émasculé, dépossédé de son pouvoir. Ça faisait sens en présence de bouchères bien outillées pour y arriver. 

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