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Frédéric Mitterrand en 2008. ©MEDEF/Wikipedia creative commons

Mort de Frédéric Mitterrand : de nom­breux hom­mages et beau­coup d’amnésie

Notre malaise est palpable face à l’hommage médiatique et politique rendu à Frédéric Mitterrand, décédé jeudi 21 mars. On loue l’homme de la Culture en fermant les yeux sur sa participation au tourisme sexuel en Thaïlande ou son soutien à Roman Polanski et à Gabriel Matzneff. On aurait pourtant pensé que, peut-être, après #MeToo, après La Familia grande, après Le Consentement, les choses auraient, enfin, changé. Il n’en est rien. 

Frédéric Mitterrand est mort hier soir. Et dans les médias, depuis, on assiste à une pluie d’hagiographies larmoyantes, d’hommages solennels et de louanges dithyrambiques. On a lu les nécrologies élogieuses, revenant dans les détails sur la vie de celui qui fut à la fois ancien ministre de la Culture sous Sarkozy, écrivain, journaliste et producteur de télévision. On a ainsi vu le site de France Inter évoquer “les contenus riches et intelligents” proposés à la télévision par Mitterrand à partir des années 2000, Le Monde parler d’un “dandy érudit et populaire”, Le Point s’attarder sur ses liens privilégiés avec la Tunisie, ou encore France Info lister ses “cinq livres mémorables”, dont La Mauvaise Vie, dans lequel Mitterrand raconte sa participation au tourisme sexuel en Thaïlande.  

On a vu les larmes de Stéphane Bern sur le plateau de C à vous, sur France 5, apprenant en direct la mort de l’homme de 76 ans, qui fut “son modèle”. On a entendu l’émotion dans la voix de l’ex-ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, invitée à réagir sur le plateau de BFM-TV : “J’ai vraiment un chagrin immense […] C’était un type adorable […] Frédéric a été un grand ministre de la Culture, mais il a été un grand écrivain, un grand cinéaste, un très bon directeur de l’Institut de France, la Villa Médicis.” 

On a vu, aussi, les tweets du monde politique et de la culture. “Frédéric Mitterrand portait sa mélancolie comme une élégance. Nous serons nombreux à garder en mémoire le sourire lumineux de Frédéric et l’inimitable grain de sa voix”, écrit ainsi l’actuelle ministre de la Culture, Rachida Dati, sur X, louant “sa profonde humanité, son humour, sa gentillesse, sa douceur et son attention permanente aux autres”. Tandis que le président de la République, Emmanuel Macron, s’est, lui, fendu d’un tweet : “Des cinémas d’art et d’essai à la rue de Valois, Frédéric Mitterrand vécut mille existences, toutes tissées d’un fil rouge : la culture pour chacun.”

Malaise 

Oui, Frédéric Mitterrand a fait beaucoup pour démocratiser la culture et la rendre notamment accessible à chacun·e, du moins au plus grand nombre. Mais en lisant, depuis hier, le concert de louanges et d’épitaphes à son égard, difficile de cacher notre malaise. Ses confessions sur sa participation au tourisme sexuel en Thaïlande tout comme son soutien actif à Roman Polanski et à Gabriel Matzneff – tous deux accusés de pédocriminalité – semblent soit avoir été passés au second plan, soit avoir été totalement éclipsés. 

Dans sa nécrologie, Le Monde parle ainsi de “turbulences sexuelles” pour évoquer ces affaires. Tandis que BFM-TV leur consacre trois lignes : “En 2005, il publie La Mauvaise Vie, récit autobiographie, dans lequel il évoque sans fard son homosexualité et le tourisme sexuel en Thaïlande, dont il se dit friand.” C’est en réalité un peu plus que cela. En septembre 2009, Frédéric Mitterrand, alors ministre de la Culture, vole au secours du cinéaste Roman Polanski, accusé d’avoir violé une jeune fille de 13 ans. Le premier juge “d’absolument épouvantable” l’arrestation du second “pour une histoire ancienne qui n’a pas vraiment de sens”. Il confirmera plus tard sa position affirmant sans ambages qu’un “ministre de la Culture et de la Communication s’occupe des artistes et ne les abandonne pas”.

“Au-dessus de 14 ans c’est dégueulasse !”

Un mois plus tard, Frédéric Mitterrand est accusé par Marine Le Pen – alors députée européenne du Front national –, sur le plateau de Mots croisés, sur France 2, de participer au sordide tourisme sexuel en Thaïlande et d’en faire l’apologie. Quatre ans auparavant, il publiait en effet, La Mauvaise Vie aux éditions Robert Laffont, dans lequel il racontait ses aventures à Bangkok et ses relations tarifées avec de jeunes garçons thaïlandais. “La plupart d’entre eux sont jeunes, beaux, apparemment épargnés par la dévastation qu’on pourrait attendre de leur activité […] Quelques-uns sont plus âgés et il y a aussi un petit contingent de malabars mal dégrossis qui a manifestement son public. C’est le côté ménine de l’exposition : leur présence fait ressortir la séduction juvénile de tous les autres”, écrit-il.

Il dit encore : “Tous ces rituels de foire aux éphèbes, de marché aux esclaves m’excitent énormément. La lumière est moche, la musique tape sur les nerfs, les shows sont sinistres et on pourrait juger qu’un tel spectacle, abominable d’un point de vue moral, est aussi d’une vulgarité repoussante. Mais il me plaît au-delà du raisonnable. La profusion de garçons très attrayants, et immédiatement disponibles, me met dans un état de désir que je n’ai plus besoin de refréner ou d’occulter. L’argent et le sexe, je suis au cœur du système, celui qui fonctionne enfin, car je sais qu’on ne me refusera pas.”

L’auteur de ces lignes a donc conscience et assume d’avoir été l’oppresseur d’un système patriarcal et colonialiste particulièrement sordide qui exploite et violente des milliers de mineur·es en Thaïlande au profit de riches occidentaux. Et lorsque l’affaire éclate en 2009 et qu’une partie de la gauche demande sa démission de son poste de ministre de la Culture, il refuse. Sur le plateau de TF1, il réfutera les accusations de pédocriminalité, affirmant que les “garçons” en question étaient tous majeurs. 

À la même époque, un extrait de l’émission 93, Faubourg Saint Honoré (Paris Première), datant de 2005 refait surface. On y entend les invité·es débattre de l’âge limite que peut avoir un partenaire sexuel lorsque Frédéric Mitterrand lance, goguenard : “Au-dessus de 14 ans, c’est dégueulasse !”. Dix ans plus tard, Frédéric Mitterrand, alors invité des Grandes Gueules, sur RMC, est cette fois interrogé sur les accusations de pédocriminalité à l’encontre de l’écrivain Gabriel Matzneff. Il ne condamne pas ce dernier mais dénonce au contraire“la meute” médiatique contre l’écrivain.

Minimisation 

Il ne s’agit pas de faire ici le procès par contumace de Frédéric Mitterrand. Mais en passant sous silence ou en éludant ses propos problématiques, les médias et les personnalités politiques participent de fait à la minimisation et à l’invisibilisation de l’ampleur des violences sexistes et sexuelles. Et comme souvent dans ce genre d'affaires, ce sont une fois de plus aux militant·es féministes de pallier cette absence.

On aurait pourtant pensé que, peut-être, après #MeToo, après La Familia grande, après Le Consentement, les choses auraient, enfin, changé. Il n’en est rien. “Il incarne un monde d’hier”, saluait Pascal Praud sur Europe 1, ce vendredi matin. C’est faux. Frédéric Mitterrand incarne bien le monde d’aujourd’hui. Un monde dans lequel, une actrice, Judith Godrèche, peut être auditionnée par le Sénat sur les violences sexuelles dans le milieu de la culture et “en même temps”, quinze jours plus tard, un président de la République rendre hommage publiquement à un homme plus qu’ambivalent sur ses pratiques sexuelles. Un monde dans lequel des militantes féministes sont poursuivies en diffamation pour avoir dénoncé des liens entre un élu à la culture et un homme accusé de pédocriminalité. Ce monde-là, celui de l’omerta, est bien celui d’aujourd’hui. 

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