Radio Sexe : ni queue ni tête

Militant de la lutte contre le sida, le Dr Kpote inter­vient depuis une ving­taine d’années dans les lycées et centres d’apprentissage d’Île-de-France comme « ani­ma­teur de pré­ven­tion ». Il ren­contre des dizaines de jeunes avec lesquel·les il échange sur la sexua­li­té et les conduites addictives.

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© E. Szombat

« Du cul et du sexe ! » La pro­messe de Radio Sexe est sans équi­voque. Créé par les tes­teurs de jeux vidéo Kameto et Kotei et dif­fu­sé le dimanche soir sur la pla­te­forme Twitch, ce talk-​show, où de jeunes audi­teurs pré­sé­lec­tion­nés exposent leurs pro­blèmes de cul, est sui­vi par près de 500 000 inter­nautes sur YouTube, où l’émission est ensuite rediffusée.

En plus de Kameto et Kotei, la bande de docs géni­taux dif­fu­sant ses conseils sexo est com­po­sée de Zack, you­tu­beur, Joël, entre­pre­neur dans la mus­cu, Prime, pro­pul­sé à l’Olympia grâce à son mil­lion d’abonnés, et Yass, van­neur sur Twitter. Il n’y a pas de filles dans la team, ce n’est pas le genre de la mai­son très weshgros-​frérot-​­hétéro-​phallo-​centrée. Certaines se risquent à témoi­gner, mais elles sont sys­té­ma­ti­que­ment trai­tées de putes sur le live chat et « mans­ter­rup­tées » sur le pla­teau. À défaut d’être éga­li­taire, le groupe de jeunes you­tu­beurs ne fait que repro­duire les vieilles recettes miso­gynes de ses aînés. Et c’est bien dom­mage, car vu leur noto­rié­té auprès des gamers, popu­la­tion répu­tée sexiste, les ani­ma­teurs de Radio Sexe auraient pu faire le choix d’être des influen­ceurs plus posi­tifs ! Mais, pri­son­niers d’une noto­rié­té qui paie, ils ne sont pas vrai­ment prêts à bous­cu­ler toute une com­mu­nau­té, pathé­tique de confor­misme dans sa street atti­tude et sa masculinité.

Après avoir vision­né pas loin de six heures d’émission, force est de consta­ter que l’équipe de Radio Sexe est loin de maî­tri­ser son sujet. L’utilisation d’un voca­bu­laire très cru masque ­dif­fi­ci­le­ment la vacui­té de cer­taines recom­man­da­tions, à l’image du débat cen­sé déter­mi­ner si l’invité était un « bâtard » ou un « mini bâtard » pour avoir pécho une « go » (c’est-à-dire une fille) ciblée par un pote. 

Dans l’émission du 16 juin, l’invité, le rap­peur Alkpote, arbore un tee-​shirt « suce­pute », son fonds de com­merce sur la Toile. En se pré­sen­tant comme l’empereur des « anu­lin­gueurs », il pro­voque l’hilarité embar­ras­sée d’un Kameto qui sort juste de sa puber­té. Joël, gros bras, réplique : « Si une meuf essaie de me bouf­fer l’anus, je la recadre à grandes tartes dans sa tête. » Alkpote, plan­qué der­rière ses verres fumés, nous fait par­ta­ger sa vision du consen­te­ment pour obte­nir une fel­la­tion : « Tu pousses la tête de la meuf vers ton sexe. » Sur Radio Sexe, on peut faire la pro­mo de la culture du viol sans se sou­cier du CSA puisqu’on est sur le Web. 

La bande cause ensuite « gorges pro­fondes sur l’autoroute avec la bite qui tape la glotte à chaque nid de poule », rap­ports sexuels dans les cages d’escalier à 14 ans, « putes asia­tiques qui en ont ren­du fous plus d’un »… Ces gamins éle­vés à GTA et à Pornhub exposent leur cata­logue de fan­tasmes pour col­lé­gien en séance bran­lette sous la couette. Sur le chat en live, sans modé­ra­tion, les inter­nautes « pupu­putent » à tout-​va, cri de ral­lie­ment alk­po­tien. Pourtant, les rires gênés et les tics ner­veux ne mentent pas. Les ani­ma­teurs jouent la carte de la pro­voc pas tota­le­ment assu­mée, comme si cer­tains crai­gnaient que leurs mères viennent leur filer une bonne raclée. 

Dans l’émission Spécial Corée, plom­bée par le déca­lage horaire mal­gré les canettes de Red Bull ingur­gi­tées, le témoi­gnage d’un inter­naute évo­quant un rap­port sexuel avec une fille vierge « trop ser­rée » a cla­ri­fié les limites du groupe. Sur le pla­teau, on cherche des solu­tions express et les « doc­teurs » dévoilent leur incom­pé­tence en ana­to­mie fémi­nine. On est très loin de la pré­ven­tion par les pairs, d’autant plus que per­sonne n’interroge le res­sen­ti de la per­sonne concer­née au moment de la pre­mière fois. En évi­tant soi­gneu­se­ment de s’aventurer sur le registre des émo­tions, le groupe vire tech­nique en invo­quant le dieu lubri­fiant. Kameto tente bien de jouer les profs de SVT : « Quand tu as les blueballs[couilles bleues, ndlr], t’arrives plus à déban­der. Ça sécrète des trucs bizarres dans tes couilles et ça fait trop mal. » Mais son his­toire de tes­ti­cules de Schtroumpf pour évo­quer l’hypertension épi­di­dy­male, c’est bon pour les bleu-bites.

Prime, qui joue l’affranchi du cul dans ses clips, donne dans la morale et la répu­ta­tion : « Vous n’allez pas faire sor­tir des mecs de 18 ans avec des trucs de lubri­fiant dans les poches ? » Joël, plus expé­ri­men­té, ne voit pas le pro­blème alors que Yass estime que c’est un attri­but pour ceux qui veulent juste « four­rer de la chatte ». Autrement dit, plus tu es équi­pé, plus tu es per­vers. Aucun d’entre eux n’évoquera l’importance de lubri­fier pour évi­ter les rup­tures de capotes et pal­lier d’éventuelles séche­resses vaginales. 

Dans l’émission enre­gis­trée à L.A. avec Manuel Ferrara, acteur et réa­li­sa­teur por­no, la joyeuse bande « mans­preade » sur des sofas en cla­quettes chaus­settes. Kameto serre dans ses bras un cous­sin comme un dou­dou. Il a l’air d’un gosse éga­ré sur un tour­nage X et on appel­le­rait presque le juge des enfants pour faire un signa­le­ment. Pas à un para­doxe près, Prime s’interroge sur la manière « de trou­ver la mère de ses enfants ». On découvre alors que tous se rêvent en bons pères de famille plu­tôt qu’en serial baiseurs.

Radio Sexe n’est pas une émis­sion de conseils, mais bien un boys’ club qui veut faire du cash en jouant au doc­teur avec ses fol­lo­wers. Toutefois, en les écou­tant par­ta­ger leurs propres repré­sen­ta­tions, sans filtres, on est en droit de se deman­der si ce talk-​show n’a pas aus­si une voca­tion thé­ra­peu­tique pour eux-mêmes.

À la suite d’une chro­nique très cri­tique de Sonia Devillers sur France Inter, les ani­ma­teurs de Radio Sexe, beaux joueurs, se sont dits prêts à s’améliorer. Alors, une for­ma­tion à la vie affec­tive et sexuelle pour sor­tir du sexisme et par­ta­ger de vraies infos, ça vous dit, les gars ? 

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