Pour cette nouvelle année scolaire, Causette vous propose de voguer sur la galère de celles et ceux qui ont choisi le réputé « plus beau métier du monde » avec sa série « Tohu Bahut » : un rendez-vous régulier avec Diane, jeune prof d'anglais qui débute dans un lycée de la région parisienne, la fleur au fusil.
Tohu Bahut, épisode 2
Un mois après la rentrée, nous retrouvons Diane1 dans un café du XII ème arrondissement de Paris, où elle vit. La professeure d’anglais de 24 ans ne donnera pas cours ce jour-là à ses élèves de seconde, première et terminale : pour la fraîchement nommée dans un lycée public du Val d’Oise (95), l’heure est plutôt aux revendications, ce jeudi 29 septembre. Comme d’autres professeur·es de son établissement, Diane a répondu présente à l’appel de la Journée de mobilisation nationale interprofessionnelle et intersyndicale. Une première dans sa carrière de prof débutante.
Avec quelques collègues, la jeune femme est descendue dans les rues de Paris pour exprimer sa colère, après une rentrée scolaire perturbée par la crise de recrutement des enseignant·es. Pour la néogréviste, la mobilisation a été l'occasion d'exiger aux côtés des habitué·es du pavé, des efforts sur l’attractivité salariale. Les manifestant·es dénoncent une revalorisation du point d’indice2 jugée insuffisante face à une inflation galopante et à la flambée des prix.
C’est armée de ces revendications, quelques heures avant de rejoindre la ferveur du cortège parisien place de la Bastille, que Diane a dressé pour Causette le bilan de ses premières semaines en tant que professeure titulaire. Si vous avez loupé l'épisode 1, c'est ici.
Mise en route. « Bon, je ne retiens pas encore tous les prénoms des élèves. J’en ai 155, donc c’est compliqué mais ça va venir. Pour l’instant je n’ai pas pris de retard dans mes cours mais heureusement que je les avais préparés jusqu’à Noël et que je suis assez organisée, parce que le rythme est déjà intense. J’ai déjà pas mal de copies à corriger. J’essaye de m’avancer au maximum pour ne pas me retrouver submergée avant les vacances de la Toussaint.
Ce qui peut s’avérer difficile, c’est qu’à chaque heure de cours, il faut divertir les élèves, créer une sorte d’émulation et la maintenir pendant tout le cours et recommencer l’heure d’après avec d’autres élèves. C’est un exercice fatiguant, un peu comme du théâtre finalement. Parfois je me dis que mes cours sont de vrai one-woman show ! J’y mets toute ma personne. J'ai l'impression qu'is aiment mes cours. Les terminales étaient vraiment intéressés lorsqu'on a parlé de la communauté des Amish.
Autre chose : je vois vraiment une grosse différence avec l’année dernière, je ne me culpabilise plus pour ce que je ne maîtrise pas. Le soir, je ne ressasse plus ce qu’il s'est passé dans ma journée. Je prends mon temps, même si le rythme va s'accélérer. Mi-octobre, on va commencer à dresser la liste des élèves pour qui ça roule et ceux qui sont en difficulté. Et on va devoir voir les parents de ceux pour qui ça ne va pas. Je n’appréhende pas trop ces rendez-vous, même si parfois c’est difficile de dire à un parent que ça ne va pas à l'école. »
Implication. « On vient d’attaquer la période des premiers contrôles. Si je suis impressionnée par le niveau d’anglais de certains, je sais déjà que pour d’autres, l’année va être longue. Avec 0,5 de moyenne en maths, 4 en histoire et 8 en anglais, ça va être compliqué. En même temps, beaucoup ne font pas leurs devoirs et n’apprennent pas leurs leçons. Pourtant, je ne donne jamais beaucoup de devoirs. Je sais que certains élèves ont de longs trajets pour rentrer chez eux et doivent ensuite s’occuper de leurs frères et sœurs. Beaucoup de mes élèves n’ont pas des vies forcément faciles, c'est à prendre en compte. »
Comportements sexistes. « Dans l’ensemble ça se passe bien, sauf avec une classe de seconde assez compliquée. D’ailleurs, j’ai viré deux garçons de cette classe lundi dernier. Le travail n’est jamais fait, les punitions ne sont jamais rendues et ils essayent d’esquiver les heures de colle. Ils n’arrêtent pas de parler depuis le début de l’année, je leur ai dit six, sept fois d'arrêter, au bout d’un moment j’ai dit stop. Ce n’est pas de gaieté de cœur que je les vire de cours, mais c’est difficile de les séparer dans une salle à 35 quand tous les sièges sont occupés. On était à 15 minutes de finir le cours donc ça n’a sûrement pas servi à grand-chose, mais c’était plus pour le côté symbolique.
Ce qui va être plus compliqué, c’est que ces garçons font régulièrement des remarques sexistes aux filles. Ce sont d’ailleurs elles qui ont levé la main en début de cours pour se plaindre de réflexions misogynes, lancées dans un autre cour, du style "Tais-toi, tu es une femme". Le plus grave c’est qu’en les confrontant, ils m’ont répété avec beaucoup d’aplomb que les hommes étaient supérieurs aux femmes. C’est compliqué de faire de la pédagogie dans ces cas-là. Suite à ça, j’ai débarqué le soir même comme une furie dans le bureau du proviseur pour lui expliquer la situation et lui donner les noms. Il leur a remonté les bretelles mais ça n’a pas suffit. En dehors de ça, ça se passe plutôt bien mais là il faut être vigilant. Au début, ils se tenaient à carreaux et là, c’est la période ou ils commencent à se lâcher. »
Poser ses limites. « Certains ont un sérieux problème avec l’autorité féminine. Je me suis rendu compte aussi que l’éducation bienveillante ne marche pas à trente-cinq. Tu ne peux pas faire entendre raison à 35 élèves qui ne t’écoutent pas. Donc il faut savoir être ferme et donner des sanctions. Ce qui est un vrai exercice car je n’aime pas crier, je me trouve horrible quand je les punis. J’apprends à poser mes limites et à installer mon autorité, notamment en passant par l’humour. Je les tacle mais ce n’est jamais méchant. Bon, par contre, ils ne comprennent pas tous l’ironie. Mais je serais bien incapable d’être vraiment sèche. Être prof, c’est comme jouer un rôle et c’est parfois dur de rentrer dedans.
L’autorité passe aussi par le physique, ce qui n'est pas simple vu que je suis plus petite que beaucoup d’entre eux. Je me suis coupé les cheveux pour me vieillir un peu et j’ai même hésité à changer ma garde-robe. »
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Cohésion. « Ça n’a clairement rien à voir avec mon précédent lycée. Ici, j’ai vraiment l’impression qu’on est une équipe. Quand je suis venue me plaindre du comportement sexiste de mes élèves de seconde auprès de mes collègues, on m’a tout de suite dit "une remarque comme ça, c’est dehors". Ça m’a rassurée, je ne me suis pas sentie défaillante mais soutenue. Il y a beaucoup de transparence et de communication entre nous. On ose se dire "aujourd’hui avec les premières, c’était le bazar, je n’ai pas pu faire cours". Il y a moins d’histoires d’égo que dans mon ancien établissement. Ça me fait du bien. C’est beaucoup moins culpabilisant. Ne pas réussir à faire son cours ou tenir sa classe, ce n'est pas vu comme un échec. »
Premier conseil d’enseignants. « J’ai vécu mon premier conseil d’enseignants la semaine dernière. Ça a duré deux heures, j’en suis ressortie lessivée. On a fait remonter toutes les choses qui ne vont pas au sein du lycée. Par exemple, ils ont recruté des profs contractuels pour boucher les trous mais on n’a toujours pas d’infirmière et d'assistante sociale. C’est en cours de recrutement apparemment, mais ça m’inquiète un peu car la plupart des élèves ont été fragilisés par la crise du Covid. Je l’ai remarqué dans mes classes : beaucoup souffrent d’anxiété sociale. Une de mes élèves de première rencontre un psychologue chaque semaine. Elle est terrifiée à l’idée de passer à l’oral. Ça m’inquiète un peu pour l'épreuve du grand oral du bac. Pour l’instant, rien n’a été organisé pour elle.
On a aussi fait remonter la mauvaise organisation des emplois du temps. Moi, par exemple, j'ai quatre heures de trou le mercredi mais on m’a clairement dit qu’on ne pourrait rien faire.
On s’est aussi plaint des multiples changements de salle. Parfois, j’ai trois heures de cours et je change de salle à chaque fois. Aller d’un bout à l’autre du lycée, ça me fait perdre du temps. Le proviseur a assuré qu’il améliorerait les choses. On a aussi parlé des problèmes techniques, comme les coupures de courant régulières et les ordinateurs qui ne fonctionnent pas correctement, tout comme les vidéoprojecteurs d’ailleurs. On passe notre vie à faire venir le technicien pour régler les problèmes. Et dans le même temps, le proviseur nous demande de faire attention à notre quota de photocopies pour l’environnement. C’est bien gentil mais on fait comment avec des vidéoprojecteurs qui ne fonctionnent pas ? On regrette un peu le manque de transparence et de communication de ce coté-là. »
Rythme intense. « Je suis très épanouie dans mon établissement et dans ce que je fais mais je suis quand même épuisée physiquement, je viens déjà de tomber malade. Ce n’est pas à cause des deux heures de trajets par jour ( j’en profite pour corriger mes copies) mais plus à cause du rythme général de la reprise de la rentrée. J’adore mon métier mais je sais déjà que je ne ferai pas prof toute ma vie parce que les conditions sont dures et que ce n’est pas assez bien payé. Ma participation à la manifestation, c'est pour exprimer ma colère. D’ailleurs je viens de me syndiquer à la CGT, c’était important pour moi de pouvoir faire entendre ma voix. Je sais que le mois de septembre est le plus chargé pour les profs donc je vais m’accrocher. »
Causette a décidé de donner la parole pendant toute une année à cette professeure débutante pour comprendre les rouages d'un métier exercé avec passion et pourtant si décrié. D'un commun accord, nous avons choisi de rendre son témoignage anonyme, afin qu'elle soit plus libre de ses propos.