À l'occasion de la Journée internationale du pardon qui se tient ce dimanche 18 septembre 2022, Causette s'est intéressée à des histoires concrètes, au sein des relations interpersonnelles, dans lesquelles nos lectrices ont fait – ou non – le choix de pardonner et de demander pardon.
Il y a des histoires qui marquent plus particulièrement nos vies. Parce qu'elles sont navrantes et douloureuses. Parce qu'elles dépassent nos propres limites morales. Parce qu'elles nous renvoient au dilemme critique d'accepter – ou non – les excuses d'une personne qui nous a blessé·e.
À l'occasion de la 4ème édition de la Journée Internationale du Pardon, instaurée par l'Association laïque Pardon international, qui se tient ce dimanche 18 septembre 2022, Causette s'est intéressée à des histoires concrètes, où des lectrices ont eu, au sein de leurs relations interpersonnelles, à faire face au pardon.
Trois lectrices ont accepté de témoigner à coeur ouvert. L'une d'elle nous a raconté ce moment où elle a accepté les excuses d'aïeules qui l'ont blessée. L'autre, à l'inverse, a fait le choix fatidique de ne pas pardonner un mari infidèle. La dernière, quant à elle, s'est excusée auprès d'un ancien amant qu'elle a indélicatement éconduit.
Marjorie
29 ans
"Enfant, je partais chaque été en famille – avec mon père, mon oncle, ma tante, ma soeur et mon frère – dans une grande maison familiale dans un village italien. Nous sommes quatre enfants. Mon grand frère et ma grande soeur sont issus du premier mariage de mes parents. Petite fille, je ne sentais pas de différences de traitement avec mes frères et soeurs. Nous étions choyés : pas de corvées à faire, ni d'humiliations ! Inutile de débarrasser la table, la mettre, ou faire son lit… Cette maison était mon havre de paix. Là-bas, je pouvais être pleinement une enfant.
Mais tout a basculé lorsqu'âgée de quatorze ans, à la puberté, j'ai eu mes règles et commencé à avoir de la poitrine. Si pour ma tante et ma grand-mère, c'était plutôt valorisé d'être devenue une « femme », j'ai très vite déchanté. Le changement d'attitude à mon égard de grand-mère et ma tante a été radical. « Pas de garçons », telle était la mise-en garde principale, accompagnée d'une flopée de critiques sur mon comportement.
Puis les remarques et les critiques se sont intensifiées « Tu as grossi ! », « Tu as pleins de boutons », « Tu n'es qu'une feignante »,« Tu sors avec trop de garçons » et puis elles me culpabilisaient que je vienne moins souvent. Lorsqu'âgée de quinze ans, j'ai eu une amourette avec un garçon, si mon père m'a totalement soutenu, ma tante et ma grand-mère étaient outrées. Dans une famille italienne à tendance très sexiste voire machiste, m’imaginer embrasser un garçon était inimaginable. Pour elles, je bafouais l'image de la famille.
L'autre souci était que ma soeur, ayant eu un grave accident, a été handicapée très tôt. C'est pourquoi elle a toujours été très gâtée. Elle appelait ma grand-mère maman, et mon grand-père papa. Mais je n'ai jamais parlé de ces différences de traitements. Une fois, lors d'une violente brouille avec ma grand-mère, elle m'a balancé que j'étais « une sale feignante ». Puis mon père est mort. À partir de là, j'ai été ostracisée de chez elle. En même temps, je ne voulais pas la voir. C'était en quelque sorte une phase nécessaire pour faire le deuil de mon père. À cette période, j'avais dix-huit ans. Mes occupations étaient : petit copain, pétards et boîtes de nuit. Chose que ma famille supporte très mal. Faire passer ma vie avant l’obligation familiale faisait de moi une paria.
Les années ont passé. Sept ans plus tard, je suis partie à Reims pour faire mon master. Et miraculeusement, quelque chose s’est profondément apaisé. Elles ont réalisé que j'avais réussi ! J'étais indépendante financièrement même si j'étais précaire, je continuais mes études. Je menais de front la vie d'adulte. J'ai reçu un premier appel de ma tante. Elle s'inquiétait de savoir comment j'allais, si j'étais bien installée, là-haut dans le Nord. Puis elle me rappelle en m'expliquant qu'elle a discuté avec ma grand-mère et qu'elles se sont aperçues de leur absence totale de soutien financier ou matériel. J'en suis restée interdite. Pour la première fois, elles reconnaissent l'injustice et veulent rattraper le temps perdu. C'était tout ce que j'espérais. Enfin, j'étais quelqu'une de bien, de sérieux, d'autonome. Enfin je méritais qu'on m'aide ponctuellement ! Ça a été un soulagement énorme. Ça a apaisé mon orgueil et ma confiance en moi.
J'entretiens aujourd'hui une relation de confiance avec ma tante, qui m'appelle régulièrement. Nous nous confions l'une à l'autre. Elle a toujours un mot gentil, soutenant ou valorisant. C'est le retournement de situation le plus radical que j'ai eu dans ma vie. Même si il n'y a pas eu d'excuses explicites. J'en suis heureuse. À mon sens, c'est la preuve que les personnes peuvent changer, s'améliorer et réparer."
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Alice
52 ans
"Avec mon mari – avec lequel j'étais en relation depuis trente-et-un ans – nous avions une relation basée sur la confiance. Je ne surveillais rien. Je ne lui demandais pas : « Quand est-ce que tu rentres » ? L'adultère m’est tombé dessus et je ne peux pas lui pardonner. Il y a un passif et la vie n’est pas un long fleuve tranquille.
Je m'en suis aperçue le 18 août dernier, par pur hasard. Je suis quelqu’un plutôt confiante dans la vie. J’ai reçu une éducation catholique, même je ne suis pas croyante. J'ai appris qu'il me trompait de façon fortuite. Ça s'était déjà produit, il y a plusieurs années de cela. À l'époque, j'avais fait une croix sur ma carrière pour le suivre. Et j'ai accepté de lui pardonner. Pourquoi ? Parce qu’à l’époque j’étais jeune, à l’autre bout du monde, avec des enfants en bas-âge. Et aussi parce que la vie continue.
Malheureusement, des années plus tard, la leçon n'a pas été retenue. Une fois trahie, notre dignité est foulée aux pieds et cette fois-ci, j'ai décidé d’être ferme. Je demande le divorce parce que je ne peux plus avoir confiance en lui. J’ai également découvert qu’il a eu d’autres liaisons. Et puis donc cette dame qu'il fréquente depuis 4 ans.
Il faut savoir que mon mari est quelqu'un qui n’a pas confiance en lui. Avec nos caractères respectifs – je suis dans le contrôle – c'est moi qui ai tenu la barque pendant toutes ces années. C'est pourquoi, j'ai vraiment ressenti cela comme une double trahison. Dans une relation, la confiance est essentielle. J’essaye de rester droite mais à mes yeux, accepter et pardonner c'est aller à l’encontre de tout ce qui fait ma vie quotidienne. C’est juste que ça ne peut pas passer. Je ne veux pas le détester, je ne suis pas dans la rancune, je ne veux pas le dépouiller financièrement. Je veux juste m'en débarrasser.
C’est dur de me projeter mais je souhaite ne pas modifier mon quotidien. Dans ces circonstances, j’attends qu’il soit souple avec les conditions que j’ai posées. J’ai le soutien de ma famille et de mes ami·es également. Me venger ? Je ne me priverai pas de passer un coup de fil à la dame. Même si mes enfants sont adultes et ont leurs vies, ils ont pris ça dans la figure. C’est un beau gâchis."
Pénélope
29 ans
"C’est une histoire qui s’est échelonnée sur plusieurs années. Un triangle amoureux un peu entortillé.
Il y a des années, pour Halloween, je suis invitée par une copine de fac à une fête. Attirée par un type au regard sombre et parfois triste, prénommé Alex, nous passons la soirée ensemble à discuter. Les heures passent et tandis que je m’ouvre à lui, il devient glacial. Au petit matin, je me réveille à ses cotés dans une chambre. Nous n’avons rien fait. Déçue, je décide alors de quitter la maison très tôt pour ne pas avoir à faire des adieux malaisants. Au moment du départ, un petit mec aux cheveux bouclés et l’air filou pénètre dans la chambre. Nous discutons. Je comprends que ce garçon, qui s'appelle Idrys, habite ici. Cette chambre est la sienne et Alex est son ami d’enfance.
Un peu plus tard, j’apprends qu’Idrys a le béguin pour moi. Naturellement, nous devenons ami·es. Parfois plus. C’est une personne positive qui me regarde avec joie, m'encourage, m'aide à dépoussiérer certaines de mes capacités cachées. Grâce à lui je découvre la randonnée, les nuits à la belle étoile et le voyage solitaire. Idrys a l’air amoureux. Moi pas. Je n’ai jamais eu une relation officielle avec lui. À cette époque, je ne voulais pas qu'Alex sache que je vis quelque chose de sérieux avec son ami. Lorsqu’Idrys me parle de ses aventures d’enfance avec Alex, les miettes d’informations sont précieuses. Ce garçon m’intrigue et je veux connaître son histoire.
Je décide alors de sauter le pas et prendre les devants avec Alex. Au cours de l’année, s’ensuivirent quelques rencontres ponctuelles. Très brèves. Je dors chez lui dans son lit, concrétise ce que je souhaitais depuis longtemps. Les lendemains sont douloureux : il se montre fuyant, et dans son regard, je me dégoute. Je guette fiévreusement le message qu’il ne m’envoie jamais. J’en veux davantage mais lui ne veut rien. Durant cette année, je perds totalement confiance en moi. Mes seules sources de joies sont des appels nocturnes inhabituels ou des messages furtifs.
Pour Idrys, c’est une situation délicate. Je garde avec lui une relation amoureuse floue. Je souhaite que cela reste flou. Alex est très présent dans mon esprit. Je lui en parle et il ne dit rien. Il cache sa tristesse. Alors que mes moment passés avec Alex sont sombres et difficiles, ceux avec Idrys sont légers et lumineux. Les années passent, et peu à peu je m’éloigne d’eux deux. Nous avons continué nos vies. J’ai voyagé et j’en ai aimé d’autres. Régulièrement, cette histoire revenait.
Jusqu’à ce que cette année, je sois dans une amourette douloureuse. Un garçon qui me considère explicitement comme la numéro deux. C’est là que j’ai ressenti le besoin de m’excuser auprès d’Idrys. Je me reconnais dans Idrys, avec cette sensation d’être nulle. Je ne savais pas comment lui présenter mes excuses, parce que j'ai appris qu'entre temps, il s'était engagé avec une fille. Lettre ou message… j’ai décidé d'envoyer mon pardon sur Messenger. C’était une urgence, il fallait que je le fasse vite, ce soir, à ce moment-là. Et dans sa réponse il a encore fait preuve de lumière : « Je ne t’en veux pas en tout cas, tu peux avoir l’esprit tranquille. »
Il y a quelques jours, j’ai appris qu’il vivait à côté de chez moi. Très vite, je lui propose de le voir. Un rendez-vous est fixé. En le revoyant, je suis exaltée. Il n’a presque pas changé. Parfois dans nos regards, dans l’air et au-delà des mots, un autre langage fugace s’installe. Au moment de partir, nous nous prenons dans les bras. Ça m’a tellement apaisée. Ces excuses me font me sentir bien. Dans mes futures relations, je souhaite faire preuve d’empathie. Et puis faire attention aux gens et ce qu’ils ressentent. À l’avenir, j'espère que je serai moins égoïste."
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