![La chronique de Cathy Yerle : Mars en mai 1 Meat on your Bones RachelFeinstein 1](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/05/Meat-on-your-Bones_RachelFeinstein-1-819x1024.jpg)
Aujourd’hui, c’est le 8 mai. Jour de mon anniversaire. Et de diverses commémorations : victoire des Alliés sur les nazis, fin de la Seconde Guerre mondiale, début des massacres de Sétif et donc prémices d’une autre guerre, celle d’Algérie.
La famille est réunie autour d’un gâteau garni de bougies que je dois souffler et, comme chaque année, on avance en terrain miné essayant de ne pas blesser Tata Josiane, orpheline de 39–45 ; Tonton Roger, qui a été appelé en Algérie ; Günter, le mari de la cousine Juju, qui est allemand ; et Samir, le fiancé de ma sœur, qui est algérien.
Mais au moment du rituel happy birthday, sans aucune sommation, Barbara balance un scud au milieu du salon. « Ça se chante comment “joyeux anniversaire” en russe, Maman ? »
Je la mitraille du regard. Son frère lui répond qu’on s’en fiche. Elle lui demande comment il compte parler aux soldats russes quand ils nous auront envahis. Fiston dit qu’il ne collaborera pas. Provocante, Barbara claironne qu’elle se verrait bien coucher avec un Russe pour « goûter ».
Tata, offusquée, lui explique qu’elle risque d’y perdre sa précieuse crête bleue, qu’elle se souvient d’une voisine, dans l’temps, la boule à zéro, à Chartres, et elle met un doigt sur sa bouche en regardant dans la direction de Juju. Tonton Roger fanfaronne qu’il a son fusil de chasse, qu’il les attend de pied ferme, tous ces cocos. Je lui rappelle que la Russie n’est plus communiste et Samir rajoute que lui, il ne se battra pas pour la France, son grand-père l’a déjà fait et pour ce que ça lui a rapporté… Roger, tout rouge, rétorque vertement à Samir et à Günter – qui n’a rien demandé – que s’ils veulent coucher avec nos femmes, il faut qu’ils disent clairement de quel côté ils sont.
J’essaie de désamorcer la bombe avec un brin d’humour, raconte que, moi, j’irais bien me cacher à la campagne parce qu’en treillis, je n’aurais sûrement pas la classe des Ukrainiennes. Chéri approuve, l’œil égrillard. Ça me vexe. Je lui suggère de commencer à ériger des barricades devant la maison avec toutes les vieilleries qu’il entasse sans jamais les ranger. Ça le vexe.
Et là, Roger balance que c’est normal que je veuille fuir : je suis une femme. Ma sœur contre-attaque en disant que c’est bien des trucs de mecs, ces histoires d’invasion, de domination, de persécution, de destruction. Juju approuve.
C’est comme si on avait appuyé sur le bouton rouge, Roger explose, il a le champignon nucléaire qui lui sort des narines. Il donne un grand coup de poing sur la table. Le gâteau s’effondre. Tata, effrayée, se réfugie sous la nappe en demandant où est la cave. Je lui dis qu’il n’y en a pas, qu’elle n’a qu’à se cacher sous le tapis.
C’est la débâcle, les belligérant·es fuient un·e à un·e le champ de bataille en claquant des portes et je me retrouve devant les décombres de mon gâteau pendant que Fiston siphonne les verres de champagne abandonnés et que Barbara, fière de son coup, se bidonne en chantant « Ra Ra Rasputin, Lover of the Russian Queen » de Boney M.
Ce que la « grippette » n’avait pas réussi en deux années, Barbara l’a fait. Oh, Barbara, quelle connerie, la guerre !