La chro­nique de Cathy Yerle : Mars en mai

Meat on your Bones RachelFeinstein 1
© Rachel Feinstein

Aujourd’hui, c’est le 8 mai. Jour de mon anni­ver­saire. Et de diverses com­mé­mo­ra­tions : vic­toire des Alliés sur les nazis, fin de la Seconde Guerre mon­diale, début des mas­sacres de Sétif et donc pré­mices d’une autre guerre, celle d’Algérie. 

La famille est réunie autour d’un gâteau gar­ni de bou­gies que je dois souf­fler et, comme chaque année, on avance en ter­rain miné essayant de ne pas bles­ser Tata Josiane, orphe­line de 39–45 ; Tonton Roger, qui a été appe­lé en Algérie ; Günter, le mari de la cou­sine Juju, qui est alle­mand ; et Samir, le fian­cé de ma sœur, qui est algérien. 

Mais au moment du rituel hap­py bir­thday, sans aucune som­ma­tion, Barbara balance un scud au milieu du salon. « Ça se chante com­ment “joyeux anni­ver­saire” en russe, Maman ? » 

Je la mitraille du regard. Son frère lui répond qu’on s’en fiche. Elle lui demande com­ment il compte par­ler aux sol­dats russes quand ils nous auront enva­his. Fiston dit qu’il ne col­la­bo­re­ra pas. Provocante, Barbara clai­ronne qu’elle se ver­rait bien cou­cher avec un Russe pour « goû­ter »

Tata, offus­quée, lui explique qu’elle risque d’y perdre sa pré­cieuse crête bleue, qu’elle se sou­vient d’une voi­sine, dans l’temps, la boule à zéro, à Chartres, et elle met un doigt sur sa bouche en regar­dant dans la direc­tion de Juju. Tonton Roger fan­fa­ronne qu’il a son fusil de chasse, qu’il les attend de pied ferme, tous ces cocos. Je lui rap­pelle que la Russie n’est plus com­mu­niste et Samir rajoute que lui, il ne se bat­tra pas pour la France, son grand-​père l’a déjà fait et pour ce que ça lui a rap­por­té… Roger, tout rouge, rétorque ver­te­ment à Samir et à Günter – qui n’a rien deman­dé – que s’ils veulent cou­cher avec nos femmes, il faut qu’ils disent clai­re­ment de quel côté ils sont. 

J’essaie de désa­mor­cer la bombe avec un brin d’humour, raconte que, moi, j’irais bien me cacher à la cam­pagne parce qu’en treillis, je n’aurais sûre­ment pas la classe des Ukrainiennes. Chéri approuve, l’œil égrillard. Ça me vexe. Je lui sug­gère de com­men­cer à éri­ger des bar­ri­cades devant la mai­son avec toutes les vieille­ries qu’il entasse sans jamais les ran­ger. Ça le vexe. 

Et là, Roger balance que c’est nor­mal que je veuille fuir : je suis une femme. Ma sœur contre-​attaque en disant que c’est bien des trucs de mecs, ces his­toires d’invasion, de domi­na­tion, de per­sé­cu­tion, de des­truc­tion. Juju approuve.

C’est comme si on avait appuyé sur le bou­ton rouge, Roger explose, il a le cham­pi­gnon nucléaire qui lui sort des narines. Il donne un grand coup de poing sur la table. Le gâteau s’effondre. Tata, effrayée, se réfu­gie sous la nappe en deman­dant où est la cave. Je lui dis qu’il n’y en a pas, qu’elle n’a qu’à se cacher sous le tapis.

C’est la débâcle, les belligérant·es fuient un·e à un·e le champ de bataille en cla­quant des portes et je me retrouve devant les décombres de mon gâteau pen­dant que Fiston siphonne les verres de cham­pagne aban­don­nés et que Barbara, fière de son coup, se bidonne en chan­tant « Ra Ra Rasputin, Lover of the Russian Queen » de Boney M.

Ce que la « grip­pette » n’avait pas réus­si en deux années, Barbara l’a fait. Oh, Barbara, quelle conne­rie, la guerre !

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