Alors qu'étudiant·es en médecine, organisations féministes et professionnel·les de santé appellent à manifester mercredi contre les violences sexistes et sexuelles, Causette est allée à la rencontre de Sophie-Hélène Zaimi, alias Thefrenchradiologist qui aborde ces questions dans son livre Docteure, médecine aux rayons X.
Mercredi 29 mai, étudiant·es en médecine, organisations féministes et professionnel·les de santé appellent à manifester devant le ministère de la Santé, à Paris, pour demander des “mesures concrètes et immédiates” de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans les universités et les établissements de santé. À cette occasion et dans le cadre du #MeToo hôpital, Causette est allée à la rencontre de Sophie-Hélène Zaimi, alias @thefrench.radiologist sur Instagram. Dans son premier livre Docteure, médecine aux rayons X, illustré par Jul et paru récemment, Sophie-Hélène raconte en détail son parcours d’étudiante en médecine en tant que femme, son expérience à l’hôpital et son quotidien en tant que jeune radiologue. Une vraie boîte à outils pour les étudiant·es en médecine ou simplement pour ceux et celles qui souhaitent se plonger dans l’univers des couloirs de l’hôpital public à travers les yeux d’une jeune femme. Interview.
Causette : Quels défis spécifiques avez-vous rencontrés en tant qu’étudiante en médecine puis en tant que femme médecin ? Comment avez-vous surmonté ces obstacles liés au genre ?
Sophie-Hélène Zaimi : Pour commencer, dès mon stage d’externe, j’ai remarqué que les patients me percevaient différemment que mes collègues masculins. Par exemple, un jour, je rentre dans la chambre d’hôpital d’un patient qui était au téléphone à ce moment-là et je l’entends dire à l’autre personne au bout du fil : “Je te laisse, il y a l’infirmière qui vient d’arriver”… Pour mes collègues masculins, c’était “docteur” mais jamais infirmier. À l’hôpital, c’est très fréquent ce genre de situation. Dans l’imaginaire des patients, une femme médecin, et jeune en plus, c’est rare. Et puis, concernant la période de mon internat, cette distinction ne venait plus que des patients, mais des autres étudiants masculins avec qui je travaillais. Eux n’avaient aucun problème à s’imposer, à imposer leurs congés, leurs idées ou même à contredire nos cheffes lorsque c’étaient des femmes… Ils avaient souvent une confiance en eux écrasante qui frôlait parfois la prétention et le mépris. Par contre, mes consœurs, elles, s’enfermaient dans une sorte d’autocensure, de discrétion. Cette autocensure, je l’ai vécue et ça m’a beaucoup impactée. J’avais une copine qui avait fait un stage durant son externat dans un bloc opératoire, dans lequel j’allais effectuer un stage après elle. Je lui demandais donc très souvent comment se passait son expérience au bloc afin de savoir à quelle sauce j’allais être mangée. Vous imaginez bien mon étonnement quand mon amie m’a dit : “Ça s’est hyper mal passé. Le chirurgien m’a demandé si j’avais un chat, je lui ai répondu que non et il m’a répondu : ‘C’est pas grave, de toute façon, t’as une chatte.’ Je lui ai répondu : “Oui j’ai une chatte, et alors ?” Et là, il s’est énervé et a rétorqué : “Tu es insolente Laure, tu dégages du bloc.’” Mon amie s’est ensuite rendue à la scolarité de sa faculté, où on lui a dit que rien ne pouvait être fait. Quand ça a été mon tour de me rendre dans ce même bloc opératoire pour mon stage, je n’ai pas échappé à la grivoiserie de ce chirurgien, qui a jugé normal de me demander si j’était “libertine”. Ne sachant pas ce que le mot libertine signifiait, j’ai simplement hoché les épaules. Il s’est alors mis à chanter à tue-tête : “Je suis libertine, je suis une catin.” Au mot “catin”, j’ai compris. Je me suis sentie humiliée et rabaissée… mais je n’ai rien dit. Parce que je savais que si je parlais, moi aussi, je risquais de me faire virer du bloc, tout comme mon amie.
Que pensez- vous de la répartition des postes à l’hôpital entre médecins femmes et hommes ? Avez-vous eu des modèles ou des mentors féminins qui vous ont inspirée ?
S.H.Z : À l’hôpital, aujourd’hui, 52 % du personnel est féminin. Plus de la moitié des internes sont des femmes. Par contre, quand on regarde de plus près la parité au niveau des postes à responsabilité, la tendance s’inverse. Parmi les PUPH [professeur·es des universités, praticien·nes hospitalier·ères, ndlr], seuls 20 % sont des femmes. Uniquement 13 % des doyens d’universités sont des femmes. Donc oui, certes, on assiste à une féminisation des emplois de la médecine, mais l’accès aux postes à haute responsabilité reste majoritairement masculin. Pourtant, les meilleurs stages en internat que j’ai eus ont été ceux que j’ai réalisés auprès de cheffes de services. Je me rappelle de deux cheffes de service en radiologie qui m’ont beaucoup inspirée. Je me rappelle avoir été impressionnée par leur justesse, leurs compétences, la manière dont elles tenaient le service. Ce sont des femmes qui en plus de l’hôpital, font de la recherche, donnent des cours, participent à des congrès, font des vacations d’IRM, etc. Pour moi, ce sont des wonder women. Je me rappelle aussi avoir été très marquée pendant mon externat par une cheffe chirurgienne des plus talentueuses, mais qui se dévalorisait en permanence. Elle répétait sans cesse : “Je suis nulle, je suis nulle, je suis nulle”, alors qu’elle était connue pour être la cheffe super forte, qui donnait des cours à la fac, qui opérait hyper bien… Ça me choquait à chaque fois qu’elle disait ça parce que je n’avais jamais entendu un homme le dire. Ça rejoint un peu l’autocensure et la dévalorisation dont je vous parlais tout à l’heure.
Quels changements espérez-vous voir pour les futures générations de femmes médecins ?
S.H.Z : Déjà, je pense qu’il y a déjà des choses qui sont en train de se mettre en place qui sont super ! Par exemple, le syndicat des externes, l’ANEMF (Association nationale des étudiants en médecine de France) commence de plus en plus à communiquer sur les violences sexistes et sexuelles, ce qui est primordial. À l’époque où j’étais externe, ça n’existait pas, on n’en parlait pas du tout. Et en 2023, ils [l’ANEMF, ndlr] ont donc commencé à communiquer sur ces sujets en sortant Le Guide de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans les études de médecine. J’ai trouvé ça super comme initiative parce que c’est crucial de sensibiliser à ces sujets-là dès le début de la vie étudiante. C’est à cette période-là, dès la première ou la deuxième année de médecine, qu’on banalise les chants paillards, qui peuvent être particulièrement sexistes ; les étudiants qui se mettent nus en soirées ; les blagues sexuelles à longueur de journée ou les grossièretés insultantes. Je me rappelle être dans un groupe Facebook, une sorte de boîte à ragots, et on pouvait y lire des messages comme : “Allez, les petites putes, balancez-nous, qui a pécho qui?” Pute, salope, ce sont des mots qu’on entend à longueur de journée et qu’on banalise alors que ce sont des insultes qui concernent uniquement les femmes. Cette banalisation de traditions sexistes insensibilise les étudiants en médecine à des situations qui ne devraient jamais être minimisées… Ce qui me dérange le plus, c’est quand, sous couvert de ces traditions, on se permet des violences sexistes et sexuelles. J’espère donc que ces traditions vont évoluer avec leur temps.
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![Sophie-Hélène Zaimi, alias @Thefrenchradiologist : “Avec ce #MeToo hôpital, je vois le bout du tunnel” 3 plance 1](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2024/05/plance-1.jpg)
Le mouvement #MeTooHôpital a mis en lumière des témoignages de VSS dans le milieu médical et notamment à l’hôpital. Comment percevez-vous ce mouvement ? Et qu’en attendez-vous concrètement ?
S.H.Z. : Pour moi, les langues ont commencé à se délier au même moment que le #Balancetonhôpital, en 2019, durant lequel j’avais reçu des témoignages dénonçant le traitement des externes à l’hôpital public. Maintenant, avec le #MeToo hôpital, plus récent, je pense que ce qui ressort le plus, c’est le clivage entre l’ancienne et la nouvelle génération de médecins. La nouvelle est beaucoup plus sensibilisée aux questions des violences sexistes et sexuelles tandis que les anciennes générations ont évolué dans un milieu qui était très masculin, très phallocrate et très macho. Donc, on n’a pas été conçu dans le même œuf déjà. En 2021, j’avais posté un appel à la libération de la parole sur mon compte Instagram et j’ai reçu des dizaines de témoignages tous plus révoltants les uns que les autres. Une jeune femme me racontait par exemple que lors de son premier stage en tant qu’externe, l’un de ses supérieurs lui aurait lancé : “Ah toi, tu as les yeux qui sentent la bite.” Une autre me racontait qu’après la réalisation de son premier toucher vaginal au service obstétrique, son supérieur lui aurait lancé : “Ah t’as aimé ça hein.” Maintenant, il faut que les choses bougent. Avec ce #MeToo hôpital, je vois le bout du tunnel. Cette prise de conscience collective donne espoir. Elle casse la barrière de la peur de la dénonciation qui régnait à l’hôpital. “Ça sert à rien de parler, de toute façon tu ne peux rien faire, c’est un grand chef”, ça on l’entendait souvent étant donné que les violences sexistes et sexuelles sont fréquemment commises par des supérieurs dans le domaine médical, et j’ai l’espoir que cette nouvelle ère permettra aux victimes de parler, sans peur, et d’être entendues. Et j’espère que les bourreaux arrêteront de profiter des traditions pour agresser.
Pour finir, Causette a remarqué que Patrick Pelloux figurait dans vos remerciements. Or, peu avant la parution de votre livre, il a été accusé de harcèlement, voire d’agression sexuelle, par l’infectiologue Karine Lecombe. Comment vous positionnez-vous quant à ces accusations ?
S.H.Z. : J’ai rencontré Patrick Pelloux juste avant la pandémie de Covid, d’abord via les réseaux sociaux, puis dans le cadre privé. C’est grâce à lui que j’ai rencontré Julien Berjeaut, alias Jul, le dessinateur de mon livre. Je n’ai jamais été témoin d’agissements répréhensibles de la part de Patrick Pelloux. Je n’ai par ailleurs jamais côtoyé Patrick dans un cadre professionnel. J’ai donc été, comme beaucoup, très étonnée d’apprendre les accusations portées contre lui dans la presse. Cela ne change pas le fait que je soutiendrai toujours les femmes qui libèrent leur parole et dénoncent.
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Docteure, médecine aux Rayons X, de The French Radiologist et Jul. © Editions L'Iconoclaste.