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Redoublement : vraie solu­tion ou fausse bonne idée ? On fait le point avec les premier·ères concerné·es

Bien déci­dé à “remettre de l’exigence” à l’école, Gabriel Attal s’est empa­ré, comme d’autres avant lui, de la ques­tion du redou­ble­ment. Causette fait le point sur cette pra­tique contro­ver­sée, accu­sée par les un·es de favo­ri­ser l’échec sco­laire et défen­due par les autres comme l'opportunité d’une seconde chance.

Avant même ses annonces offi­cielles, et sans attendre les conclu­sions de la mis­sion minis­té­rielle “Exigences des savoirs” qu’il a lan­cée, l’affaire sem­blait pliée : Gabriel Attal, ministre de l’Éducation Nationale, veut s’attaquer à “ la ques­tion du tabou du redou­ble­ment”, a‑t-​il lais­sé entendre dès le 20 novembre. Véritable ser­pent de mer, le sujet est-​il vrai­ment “tabou”? “Un peu, oui, car c’est une ques­tion qui est poli­ti­que­ment sen­sible et qui est inves­tie d’enjeux idéo­lo­giques. Le redou­ble­ment est l’un des sym­boles de l’école sélec­tive, méri­to­cra­tique, que cer­tains abhorrent. En vou­lant reve­nir là-​dessus, le ministre dit aus­si son inten­tion de réaf­fir­mer une cer­taine vision de l’école. Avec l’ambition de prendre, peut-​être, le contre-​pied de l’école telle qu’elle a évo­luée ces trente der­nières années, à tra­vers des réformes qui ont plu­tôt cher­ché à aller contre cette école per­çue comme étant du pas­sé”, ana­lyse le socio­logue Hugues Draelants, ensei­gnant à l’université de Louvain (Belgique), spé­cia­liste de ce sujet.

En dix ans, la France a ain­si chan­gé du tout au tout sa poli­tique en matière de redou­ble­ment. Alors que le pays comp­tait, dans les années 80 et 90, un taux de redou­ble­ment par­mi les plus éle­vés des pays de l’OCDE, la loi de 2013 a ren­du cette pra­tique “excep­tion­nelle”, car jugée inef­fi­cace et coû­teuse. Le redou­ble­ment se restrei­gnant dès lors aux seules situa­tions où il peut “pal­lier une rup­ture impor­tante des appren­tis­sages sco­laires” (par exemple dans le cas d’une longue mala­die), comme le pré­ci­sait un décret paru l’année sui­vante. Mais quatre ans plus tard, en 2018, un autre décret est reve­nu sur cette limi­ta­tion, à la demande du ministre de l’Éducation Nationale de l’époque, Jean-​Michel Blanquer. “À titre excep­tion­nel, dans le cas où le dis­po­si­tif d’accompagnement péda­go­gique (…) n’a pas per­mis de pal­lier les dif­fi­cul­tés impor­tantes d’apprentissage ren­con­trées par l’élève, un redou­ble­ment peut être pro­po­sé par le conseil des maîtres”, pré­cise le texte. 

Reste que, sur le ter­rain, la pra­tique est désor­mais rela­ti­ve­ment rare. Et les taux de redou­ble­ment demeurent, ces der­nières années, “his­to­ri­que­ment bas”, comme le relèvent les ser­vices d’évaluation de l’Éducation Nationale. Y com­pris dans les années char­nières pour l’orientation sco­laire et professionnelle. 

"Le redou­ble­ment peut avoir du sens"

En Seconde géné­rale et tech­no­lo­gique, par exemple, le taux de redou­ble­ment s'élevait à 2,9% en 2021 – en 2005, il avoi­si­nait les 15%. En Troisième, il pla­fon­nait à 1,9% en 2021 – il était de 7% en 2000, et de 3,5% en 2011. Et en CM2, il était de 0,6% en 2021 – contre 1,3% en 2013. Cette dimi­nu­tion du recours au redou­ble­ment a‑t-​elle favo­ri­sé la réus­site sco­laire des élèves ? “Difficile à dire car, à ce stade, on ne peut pas vrai­ment dres­ser de bilan rigou­reux des effets qu’ont eu, ou pas, ces mesures. Ce qu’on sait, en revanche, c’est que dans les éta­blis­se­ments sco­laires, les ensei­gnants se plaignent que ce soit deve­nu qua­si impos­sible de faire redou­bler un élève. Et que cer­tains élèves, cer­taines familles, estiment par­fois que le redou­ble­ment peut avoir du sens”, résume Hugues Draelants.

Contrairement à cer­taines idées reçues, le redou­ble­ment n’est pas for­cé­ment vécu comme un échec par les enfants et leurs familles. “J’ai redou­blé ma classe de CP. J’étais com­plè­te­ment à l’ouest, je savais très bien lire, mais pas écrire ! À l'époque, la maî­tresse a recom­man­dé le redou­ble­ment. Mes parents étaient d’accord, et même sou­la­gés. Moi, j’ai le sou­ve­nir de m’être sen­tie beau­coup moins stres­sée pour ma deuxième année de CP, je com­pre­nais mieux ce qu’on atten­dait de moi. Et le CE1 a été un suc­cès, tant au niveau sco­laire que sur la confiance en moi. Pour moi, le redou­ble­ment a été la meilleure solu­tion. J’ai été diag­nos­ti­quée TDAH [trouble de l’attention avec hyper­ac­ti­vi­té, ndlr] il y a deux ans, ce qui explique sûre­ment mes dif­fi­cul­tés au CP”, raconte Gabrielle, 34 ans aujourd’hui. 

Contrairement à elle, Martial, 38 ans, a vécu l’annonce de son redou­ble­ment comme “une injus­tice”. “En seconde, j’ai eu un acci­dent qui m’a immo­bi­li­sé la main pen­dant le troi­sième tri­mestre. Je ne pou­vais plus prendre de notes, je ne pou­vais plus faire mes contrôles cor­rec­te­ment et mes notes ont dégrin­go­lé. Jusque-​là, je n’étais pas un super bon élève mais ça allait : au deuxième tri­mestre, j’avais même un avis de pas­sage favo­rable. Quand l’annonce du redou­ble­ment est tom­bée, j’ai été sur­pris et sur­tout dégoû­té. J’avais peur de la réac­tion de mes parents, peur de perdre mes potes… Mes parents ont fait appel, mais on a obte­nu seule­ment un pas­sage en Première S [scien­ti­fique, ndlr]. Comme je vou­lais faire ES [éco­no­mique et social], on a pré­fé­ré le redou­ble­ment”, se souvient-​il.

Mais pas­sé le choc de l’annonce, et contre toute attente, l’adolescent d’alors a trou­vé cette année de redou­ble­ment plu­tôt posi­tive. “Ça m’a fait l’effet d’un “joker”, ça m’a ren­du plus sérieux, plus mature. Et puis sco­lai­re­ment, j’étais dans ma zone de confort, je me suis sen­ti plus en confiance. A par­tir de là, j’ai eu des supers notes. Si j’avais eu de gros sou­cis, je pense que ça n’aurait pas réglé le pro­blème. Mais dans mon cas, le redou­ble­ment m’a été favo­rable”, juge Martial.

Démotivation et décro­chage scolaire 

Comme lui, Doriane, 37 ans, a vécu le redou­ble­ment de sa Seconde comme une injus­tice. Mais contrai­re­ment à lui, elle n’en n’a pas tiré grand-​chose de posi­tif. “J’étais dans un contexte fami­lial com­pli­qué, et je sor­tais beau­coup avec mes potes, qui étaient comme une seconde famille. Quand le redou­ble­ment est tom­bé, j’ai trou­vé ça vrai­ment injuste parce que mes potes, eux, sont qua­si­ment tous pas­sés dans la classe supé­rieure. Et sur­tout, j’aurais eu besoin qu’on me tende la main pen­dant cette période dif­fi­cile, mais aucun adulte n’est venu vers moi, ni à la mai­son ni à l'école, pour essayer de com­prendre ce qu’il se pas­sait ou essayer de m’accompagner. Au final, pen­dant ma deuxième seconde, j’étais dégoû­tée, peu moti­vée, je traî­nais les pieds, je res­tais avec les redou­blants… L’année s’est pas­sée comme ça, sans grand inté­rêt, sans trop savoir ce que je fai­sais là. Tout ça ne te tire pas vers le haut”, estime-​t-​elle rétros­pec­ti­ve­ment. Dans son cas, la moti­va­tion sco­laire est reve­nue en Terminale, lorsqu’elle a trou­vé sa voie pro­fes­sion­nelle, et elle a décro­ché son Master quelques années plus tard. 

Lire aus­si I Exclusion sco­laire : effi­ca­ci­té, zéro pointé

Mais pour d’autres, comme Kévin, le redou­ble­ment a signé le divorce défi­ni­tif d’avec l’institution sco­laire. “J’avais des gros pro­blèmes de concen­tra­tion, d’apprentissage et, en plus, j’avais des dif­fi­cul­tés fami­liales assez impor­tantes et pas beau­coup de sou­tien à la mai­son. Depuis petit, je crois que j’avais inté­gré que j’étais nul et que l’école, ce n’était pas pour moi. J’ai redou­blé mon CP, puis ma 6eme. Je ne sais pas com­ment j’ai fait pour arri­ver jusqu’en 3eme. Mais à la fin du col­lège, on m’a de nou­veau pro­po­sé le redou­ble­ment, ou alors l’orientation dans une voie tech­nique qui ne m’intéressait pas du tout. Ça a été le coup de grâce : j’ai lâché l’école et j’ai com­men­cé à faire des petits bou­lots à droite et à gauche. Pourtant, je pense que si quelqu’un s’était vrai­ment inté­res­sé à moi, qu’on m’avait un peu plus encou­ra­gé au lieu de me cata­lo­guer comme un cancre, j’aurais pu avoir un autre par­cours”, confie Ben, 42 ans, deve­nu tra­vailleur saisonnier. 

Démotivation, stig­ma­ti­sa­tion, décro­chage sco­laire… C’est pré­ci­sé­ment ce type d’effets néga­tifs que pointent les détracteurs·trices du redou­ble­ment. Alors, faut-​il en finir une bonne fois pour toute avec cette pra­tique ? "Dans la majo­ri­té des études, le redou­ble­ment n'a pas d’effet sur les per­for­mances sco­laires à long terme", avance le Centre natio­nal d'étude des sys­tèmes sco­laires. En revanche, ajoute cette ins­tance indé­pen­dante, il “a tou­jours un effet néga­tif sur les tra­jec­toires sco­laires et demeure le meilleur déter­mi­nant du décro­chage". “Dans le contexte fran­çais, les tra­vaux scien­ti­fiques sur le sujet sont sou­vent pré­sen­tés sur le mode : “toutes les études convergent pour dire que le redou­ble­ment est inef­fi­cace”. Ça a pu être le cas dans les années 80–90, mais aujourd’hui ce n’est plus vrai. La lit­té­ra­ture scien­ti­fique est plus contras­tée, cer­taines études démontrent des effets néga­tifs, d'autres plus posi­tifs”, nuance cepen­dant Hugues Draelants. 

Les condi­tions d'un "bon" redoublement

“Certaines études montrent que les élèves qui redoublent sont par­fois plus à risque de décro­cher. Ou qu’ils sont plus sus­cep­tibles d'être moqués par les autres, d’être stig­ma­ti­sés. Donc il y a des effets néga­tifs sur le bien-​être qui peuvent inter­ve­nir. Mais, là aus­si, des tra­vaux montrent que ce n’est pas si évident que ça. Pour cer­tains, le redou­ble­ment peut tout à fait être l'occasion de déve­lop­per à nou­veau une confiance en eux-​mêmes, en voyant qu’ils réus­sissent plus faci­le­ment, qu’ils peuvent avoir de meilleurs résul­tats sco­laires…”, pour­suit le socio­logue. Plus que le prin­cipe du redou­ble­ment en lui-​même – qui n’existe pas dans tous les pays -, c’est sans doute les condi­tions dans lequelles il inter­vient qui méri­te­raient d’être interrogées. 

“Aujourd’hui, on a peu d’étude qua­li­ta­tives sur les condi­tions d’un bon ou d’un mau­vais redou­ble­ment. Mais l’un des élé­ments impor­tants qui appa­raît, c’est la façon dont la déci­sion est prise : est-​elle mûre­ment réflé­chie ? A‑t-​elle été prise col­lec­ti­ve­ment ? Est-​ce qu’on a cher­ché des alter­na­tives ? Ensuite, com­ment la déci­sion est-​elle com­prise par l’élève, par sa famille ? Le redou­ble­ment est-​il per­çu comme une sanc­tion, ou comme une seconde chance?”, déve­loppe le socio­logue, qui invite a sor­tir d’une approche dog­ma­tique – qu’elle soit “pour” ou “contre”. Pour lui, “le redou­ble­ment ne doit ni être auto­ma­tique, ni être la pre­mière option. Mais il doit être une option à laquelle on doit pou­voir recou­rir, en fai­sant confiance à l’expertise des ensei­gnants, qui sont les mieux pla­cés pour prendre les déci­sions, mais doivent aus­si la justifier. ”. 

Une approche qui semble en par­tie par­ta­gée par Gabriel Attal. Le 5 décembre, le Ministre de l’Education Nationale, qui veut faci­li­ter le recours au redou­ble­ment, a en effet annon­cé que "les pro­fes­seurs auront désor­mais le der­nier mot" – aujourd'hui, lorsque les parents font appel, la déci­sion revient à une com­mis­sion dépar­te­men­tale. Il veut aus­si que soient pro­po­sés aux élèves des dis­po­si­tifs de remé­dia­tion (stages de réus­site, accom­pa­gne­ment per­son­na­li­sé, tuto­rat) avant d'en arri­ver au redou­ble­ment. Reste à savoir com­ment – et avec quels moyens -, l’Éducation Nationale n'arrivant déjà pas à recru­ter suf­fi­sam­ment d'enseignant·es pour faire classe aux élèves.

Lire aus­si I Des enseignant·es inter­pellent Gabriel Attal au sujet de l’association “Parents Vigilants” et ses “idées nau­séabondes”

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