Santé, éducation, justice… Le collectif Nos services publics publie, le 24 janvier, le premier Rapport sur l’état de nos services publics. Sur près de cinq cents pages, une centaine d’agent·es, chercheur·euses et citoyen·nes passent au crible les transformations des services publics comme de la société. Alors ? Causette vous résume l’essentiel.
Le nombre de fonctionnaires a augmenté
Ces vingt dernières années, le nombre d’agent·es public·ques est passé de 4,8 à 5,4 millions. Mais cette augmentation apparente masque en réalité un décrochage par rapport à l’évolution des besoins sociaux de la population. Et tous les secteurs ne sont pas logés à la même enseigne. “Les effectifs des forces de sécurité ont augmenté de manière importante entre 2010 et 2020, en particulier dans la lutte contre l’immigration illégale (+ 31 %) et dans le maintien de l’ordre public (+ 10 %), alors qu’ils ont baissé de 10 % dans la sécurité et la paix publiques. Dans les secteurs considérés comme moins prioritaires, tels que l’éducation nationale, les augmentations de moyens ponctuelles n’ont pas suffi à compenser l’accumulation de lacunes structurelles”, souligne ainsi le rapport.
Les emplois publics n’ont plus la cote
Dans la fonction publique de l’État (FPE), le nombre de candidat·es aux concours a été divisé par 2,5 entre 1997 et 2017, pour un même nombre de postes offerts. Dans la fonction publique hospitalière (FPH), le nombre de candidat·es au concours d’attaché d’administration hospitalière a chuté de 18 % entre 2014 et 2017, alors que le nombre de postes à pourvoir augmentait. “L’attractivité des emplois publics est en baisse, tendance qui s’explique tant par la dégradation continue des conditions d’exercice des métiers et, corrélativement, de la santé des agents publics que par la priorité donnée ces dernières décennies à une stratégie de maîtrise de la masse salariale publique, reposant principalement sur la maîtrise des effectifs et la stagnation voire diminution des rémunérations”, observent les rapporteur·euses. Qui rappellent que la rémunération moyenne réelle dans la fonction publique a diminué de 0,9 % depuis 2009… quand elle a augmenté de 13,1 % pour les salarié·es du privé.
L’offre privée se développe, financée par l’argent public
“[L’] écart croissant entre les besoins de la population et les services publics conduit à l’existence, dans tous les secteurs, d’un espace grandissant pour une offre privée […] Fortement subventionnés, voire totalement solvabilisés par la puissance publique, ces services privés se développent sur des segments précis”, note le rapport. À commencer par l’école : si les établissements privés sous contrat accueillent à peu près le même nombre d’élèves qu’il y a vingt ans (soit 17 % des effectifs du primaire et du secondaire), ils scolarisent de plus en plus d’enfants issu·es de familles à fort capital culturel.
En 2021, 40 % venaient ainsi de familles “très favorisées”, contre 29 % en 2003. Des établissements qui bénéficient de financements globalement équivalents à ceux de l’éducation publique (soit 8,5 milliards d’euros par an pour le privé). Sans compter le marché du soutien scolaire (plus de 2 milliards d’euros), largement défiscalisé, qui ne cesse de croître (+2 % par an), mais profite surtout aux foyers les plus riches. Quant au domaine de la santé, il a vu les effectifs doubler dans les établissements privés à but lucratif, entre 2012 et 2021. En 2020, les biens et services médicaux fournis par des structures représentaient ainsi une dépense de 21,9 milliards d’euros, majoritairement constituée de financements publics.
Les inégalités se creusent
“Les inégalités sociales et géographiques dans l’accès aux principaux services publics, voire dans le traitement des différents publics par l’action publique, ont connu une augmentation dans tous les secteurs”, pointe le rapport. Par exemple, dans le secteur de la santé, le reste à charge est aujourd’hui trois fois plus élevé pour les 10 % les plus précaires que pour les 10 % les plus aisé·es, alors même qu’ils·elles sont plus exposé·es à la maladie et qu’ils·elles renoncent plus fréquemment aux soins. Tandis que, côté justice, les délais de jugement sont trois fois plus longs dans les affaire économiques et financières (dont la fameuse “délinquance en col blanc”) que pour les autres types d'infractions, jugés bien plus rapidement.
Les affections de longue durée augmentent
Si l’espérance de vie à la naissance n’a cessé de croître ces dernières décennies, c’est aussi le cas des affections de longue durée (ALD). Diabète, tumeurs malignes, affections psychiatriques, maladies coronaires, insuffisances cardiaques… En 2020, 12 millions de personnes étaient concernées (soit plus d’une sur six), alors qu’elles étaient environ 9 millions dix ans plus tôt. Pour bonne part liées à des déterminants comportementaux (consommation d’alcool, de tabac…) et environnementaux (pollutions, logements dégradés…), les maladies chroniques et leur prise en charge représentent aujourd’hui 60 % des dépenses de santé. À quoi s’ajoutent, de plus en plus, les maladies relatives à la santé mentale, dont certaines (comme le syndrome dépressif) ne sont pas considérées comme des ALD, mais sont bel et bien en augmentation.
La dépendance à la voiture s’est accrue
Désindustrialisation, concentration des emplois et services dans les métropoles, étalement urbain… Entre 1982 et 2019, le parc automobile a augmenté cinq fois plus que la population, passant de 20 à 40 millions de voitures. Et le nombre de kilomètres parcourus, lui, a été multiplié par 4,7 depuis les années 1960. Aujourd’hui, pendant la semaine, les Français·es effectuent 1,2 milliard de kilomètres quotidiens : dans 92 % des cas, en voiture. Et l’écart ne cesse de se creuser avec les populations qui vivent en centre-ville, où les ménages sans voiture sont trois fois plus nombreux que dans le périurbain.
La criminalité a baissé (et ce n’est pas grâce à la vidéosurveillance )
Si le sentiment d’insécurité persiste, les études réalisées sur le temps long montrent que le nombre d’homicides n’a cessé de baisser depuis les années 1980. Passé de 1 400 en 2002 à 800 en 2009, le nombre d’homicides est stable depuis une décennie. Quant à la délinquance, elle est également stable depuis le milieu des années 1990, le taux de victimes de violences physiques non mortelles ne dépasse jamais 3 % de la population (avec, toutefois, de fortes disparités selon les territoires). Et ce n’est pas grâce aux caméras de surveillance. Alors que leur nombre sur la voie publique a été multiplié par plus de six entre 2010 et 2018 (on en comptait alors 60 000, installées dans plus de quatre mille communes), elles permettent, en moyenne, d’élucider une affaire chaque mois, en France. Plus questionnant encore : on observe “une hausse de la délinquance plus forte dans les villes où la vidéosurveillance est plus implantée”, note le rapport.
La justice française est l’une des moins dotées d’Europe
La part du budget allouée au ministère de la Justice a beau être relativement stable depuis 1995, elle ne permet pas de compenser l’inflation ni de répondre aux évolutions de la société. Ainsi, les effectifs de juges des enfants ont augmenté de 11 % entre 2011 et 2021, mais le nombre de ces magistrats affectés à une activité civile (et non pénale) n’a augmenté que de 5 %, alors que le nombre de dossiers par juge augmentait de 33 % sur la même période. À titre de comparaison, le nombre de magistrat·es professionnel·les des ordres judiciaires et administratifs s’élève en France à 11,2 juges pour 100 000 habitant·es, alors que la médiane du Conseil de l’Europe est de 17,6 juges professionnel·les pour 100 000 habitants. “Parmi les 15 pays membres du Conseil de l’Europe disposant du PIB par habitant le plus élevé, la France est [celui] qui consacre le plus faible budget par habitant à son système judiciaire”, résume le rapport.
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