people gathering in front of statue
©Norbu GYACHUNG

"Thérapies de conver­sion" : le Sénat ne cède pas aux sirènes d'une pré­ten­due idéo­lo­gie du genre

Le Sénat s’est largement prononcé, mardi 7 décembre, pour l’interdiction des « thérapies de conversion ». Et ce malgré les efforts combinés de sénateur·rices LR et de militantes féministes critiques du genre qui buttaient sur la mention « identité de genre » présente dans la proposition de loi.

305 voix pour, 28 contre. C’est avec engouement que les sénateur·rices ont adopté, ce mardi 7 décembre, la proposition de loi en faveur de l’interdiction des « thérapies de conversion ». Des pratiques qui visent, dans leur majorité, à imposer l’hétérosexualité aux personnes lesbiennes, gay, bi et trans en réprimant leur orientation sexuelle par un ensemble de traitements pseudoscientifiques appliqués par certaines communautés religieuses et certains soi-disant « thérapeutes ». Mais les thérapies de conversion peuvent aussi concerner les personnes trans, en cherchant à corriger leur identité de genre.

La proposition de loi, portée par la députée LREM, Laurence Vanceunebrock inclut donc la protection des personnes trans en visant par l'interdiction toutes les thérapies de conversion, qu'il s'agisse d'orientation sexuelle ou identité de genre. C'est sur ce dernier point - l'identité de genre - que se sont moblisé·es certain·es sénateur·rices Les Républicains (LR) ainsi que des militantes féministes qui se disent critiques du genre, dans une alliance de circonstance inédite.

Au Sénat, les débats n’ont pas manqué d’être « houleux » comme nous le raconte le sénateur du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) Hussein Bourgi. En cause, les onze amendements portés par Jacqueline Eustache-Brinio et co-signés par une quarantaine de sénateur·rices (LR). Ces derniers visaient à supprimer de la proposition de loi la mention « identité de genre », jugée « floue et mal définie ». Selon Jacqueline Eustache-Brinio cette mention d'identité de genre apporte « de la confusion dans le droit ». « Ces amendements rétrogrades ont provoqué des discussions mouvementées dans l’hémicycle, raconte Hussein Bourgi à Causette.   Mais au final, ils ont été massivement rejetés comme cela avait déjà été le cas plus tôt en commission. »

Supprimer la mention « identité de genre »

La mention « identité de genre » n’a pas seulement fait réagir sur les bancs de la Chambre haute. Elle agite aussi depuis quelques jours les réseaux féministes et ravive de nouveau les tensions entre les féministes « critiques du genre » et les militant·es trans. La veille du vote, les militantes féministes critiques du genre Dora Moutot et Anissia Docaigne-Makhroff, qui défendent une conception du féminisme excluant, de fait, les personnes trans, avaient affirmé sur Instagram avoir été reçues par la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, Marlène Schiappa. La rencontre avait pour but, selon Dora Moutot, la présentation de leur dossier « ressources au sujet des problématiques sur l’idéologie d’identité de genre ». À ce jour, ni Dora Moutot ni le cabinet de Mme Schiappa n’ont souhaité répondre à nos sollicitations.

« J’ai été choqué de voir les arguments de la manif pour tous être repris par des personnes se présentant être des militants féministes »

Hussein Bourgi

Ce qui est certain, c'est qu'elles ne se sont pas limitées à l'interpellation de la ministre. Dès le lundi 6 décembre, Dora Moutot a invité ses 79 000 abonné·es Instagram à participer à une action de lobbying à l'adresse des sénateur·rices. Arguant que la mention « identité de genre » « met en danger l’effectivité du texte » car elle « repose sur des stéréotypes sexistes », l'influenceuse a demandé à ses abonné·es d'écrire aux sénateur·rices pour leur réclamer de ne pas voter le texte en l'état et de l'amender. Plus précisément « d'éclaircir la notion d’identité de genre » et à défaut, de « l'écarter » du texte de loi.

Dans le fond, ces militantes considèrent qu’en l'état, ce texte empêcherait les médecins de s’opposer au processus de transition d'un individu, pour ne pas tomber sous le coup de la loi. Pour ces féministes, le genre ne prévaut pas sur le sexe. L’identité de genre est donc pour elles une « idéologie qui relève de la croyance métaphysique d’être né·e dans le mauvais corps ».

« Les personnes trans sont suffisamment fragilisées par la société patriarcale pour que nous les mettions à l’index de nos luttes »

Hussein Bourgi

Comme nombre de ses collègues, Hussein Bourgi a reçu ce mail une bonne centaine de fois depuis lundi. À l’inverse de la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio, il se dit « atterré » de la « violence symbolique » de ces mails. « J’ai été choqué de voir les arguments de la manif pour tous être repris par des personnes se présentant comme des militants et des militantes féministes, confirme le sénateur de l’Hérault de 48 ans, membre de la délégation aux droits des femmes et militant LGBT. Mais peut-on vraiment être féministe et exclure les trans de l’interdiction des thérapies de conversion ? Les personnes trans sont suffisamment fragilisées par la société patriarcale pour que nous les mettre à l’index et les écarter de nos luttes. » A chacun de ces mails, Hussein Bourgi a rétorqué être « libre de soutenir et de voter cette loi ».

Le Sénat à majorité de droite a pourtant adopté la proposition de loi en rejetant les amendements de Jacqueline Eustache-Brinio. Toutefois, il a apporté des modifications au texte transmis par l'Assemblée. Contre l’avis du gouvernement, les sénateur·rices ont, par exemple, précisé que ne doivent pas être incriminées les personnes tenant des propos répétés visant à inciter à la prudence avant d’engager un parcours médical de changement de sexe. Pour la rapportrice centriste Dominique Vérien, il s’agit de répondre aux « inquiétudes » de parents et d’associations. Une modification jugée « inutile » pour la ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Elisabeth Moreno. « Les conseils prodigués de manière bienveillante et adaptée ne sont pas concernés par le texte », a-t-elle assuré à la Chambre haute.

Création d’un délit

Soutenu par la majorité ainsi que par le gouvernement, le texte prévoit la création dans le code pénal d’un délit spécifique contre les personnes qui pratiqueraient ces thérapies. Elles pourront ainsi être punies de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Trois ans et 45 000 euros d’amende lorsqu’il s’agit d’un mineur. En 2015, un rapport du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme avait appelé les États à interdire les « thérapies de conversion ». En 2018, le Parlement européen avait largement voté une motion appelant les pays membres à prononcer cette interdiction.

En France, actuellement, il est seulement possible de porter plainte sur les conséquences potentielles collatérales, lorsque la victime était blessée physiquement par exemple. Or, les témoignages qui affluent depuis quelques années montrent bien que les traces laissées par les thérapies de conversion sont davantage mentales que physiques et sont donc très difficiles à prouver. Lors d’une mission parlementaire en 2019, les députés Laurence Vanceunebrock (LREM) et Bastien Lachaud (LFI) avaient notamment évoqué une centaine de cas récents témoignant de traitements par « hypnose », « hormones », « électrochocs » ou encore des séances « d’exorcisme » ou le recours aux « viols correctifs » et « mariages forcés » hétérosexuels.

Déposé en mars dernier par la députée LREM, Laurence Vanceunebrock, le projet de loi avait été adopté à l’unanimité en première lecture à l'Assemblée en octobre dernier. Désormais adopté par le Sénat, le texte fera l’objet le 14 décembre d’une commission mixte paritaire (CMP) où sept député·es et sept sénateur·rices devront se mettre d’accord sur une version finale. Avant une dernière lecture en janvier dans les deux chambres, puis sa promulgation, promise avant la fin du quinquennat d’Emmanuel Macron.

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