Une semaine après l’émotion et l’indignation suscitées par la démission du maire de Saint-Brévin, la ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales, Dominique Faure, annonce ce mercredi 17 mai le lancement d’un Centre d’analyse et de lutte contre les atteintes aux élu·es, qui permettra d’identifier les menaces et améliorer la protection des élu·es.
Enrayer la hausse des violences envers les élu·es. Telle est l’ambition du nouveau Centre d’analyse et de lutte contre les atteintes aux élu·es locaux·cales et nationaux·ales. Mis en place depuis plusieurs semaines et lancé officiellement ce mercredi 17 mai par la ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales Dominique Faure, il vise à mieux identifier les menaces et les violences et protéger les élu·es qui en sont victimes.
Le gouvernement a d’ailleurs synchronisé l’annonce du lancement avec la rencontre entre la première ministre, Élisabeth Borne, et le maire de Saint-Brévin (Loire-Atlantique), Yannick Morez, qui a annoncé sa démission le 10 mai dernier après l’incendie criminel par un groupuscule d’extrême droite ayant visé son domicile en mars.
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L'agression violente du maire de Saint-Brévin n’est pas un cas isolé en France. Le lancement de ce dispositif intervient dans un contexte d’une montée des atteintes verbales et physiques, notamment à l’encontre des élu·es locaux·ales comme les maires et leurs adjoint·es. Selon les chiffres rendus publics mi-mars par le ministère des Collectivités territoriales, le nombre d’agressions répertoriées est passé de 1 720 en 2021 à 2 265 en 2022, soit un bond de 32 %. Une hausse qui se confirme par ailleurs en 2023, indique l’entourage de Dominique Faure, avec une hausse de 2% entre le premier et deuxième trimestre.
Responsabilité de l’extrême droite
Les élu·es, victimes de ces agressions, dénoncent souvent l’inaction de l’État. « J’ai pris cette décision pour des raisons personnelles, notamment suite à l’incendie criminel perpétré à mon domicile, et au manque de soutien de l’État, et après une longue réflexion menée avec ma famille », a expliqué l’élu sur la page Facebook de sa commune. Selon des informations de franceinfo, Matignon et le ministre de l’Intérieur ont ensuite demandé au préfet de Loire-Atlantique de ne pas accepter la démission de Yannick Morez avant sa rencontre avec la première ministre qui avait lieu ce mercredi après-midi.
Interrogée la veille à l’Assemblée nationale par un député sur la réaction de l’État face à la démission et à l'agression du maire, Élisabeth Borne a réitéré le soutien du gouvernement à Yannick Morez. Elle a également dénoncé la responsabilité de « groupuscules d’extrême droite » dans ces violences. Un changement de discours : il y a six jours, la première ministre évoquait « la montée d’extrémismes dans notre pays » sans préciser la responsabilité de l’extrême droite.
Mieux connaître les violences
En ce qui concerne la nature et l’origine des violences à l’égard des élu·es, elles font suite en majorité, selon le ministère des Collectivités territoriales, à l’intervention du maire sur des sujets liés à des troubles à l’ordre public. Elles relèvent également de l’opposition à un projet local d’aménagement ou d’urbanisme. C’est par exemple le cas du maire de Saint-Brévin, Yannick Morez. Auditionné par le Sénat cet après-midi, il est notamment revenu sur « la montée en puissance » des pressions de l’extrême droite suite au projet de création d’un centre d’accueil de demandeur·deuses d’asile dans sa commune. Autre cas similaire récent : en janvier, le maire de Callac (Côte d'Armor) s’est vu contraint d’abandonner un projet similaire d’accueil de réfugié·es sous la pression de militant·es d’extrême droite.
Difficile selon le ministère des Collectivités territoriales de dénombrer le nombre de violences attribuées à l’extrême droite. « On n’a pas constaté particulièrement une hausse des violences venant de l’extrême droite, mais on a observé une évolution ces dernières années : oui, les violences politiques structurées par des conflits sont de plus en plus présentes », indique l’entourage du ministère à Causette.
C'est pourquoi le Centre d’analyse et de lutte contre les atteintes aux élu·es est d'importance. Il permettra de mieux identifier ces violences en compilant toutes les données disponibles sur le territoire qui remontent des préfectures et des forces de l’ordre. « Cartographier et analyser ces violences nous permettra d’être en capacité d’adapter notre réponse, on a besoin de comprendre l’origine de ces agressions et de savoir comment ce phénomène évolue », explique le ministère.
Création d’un réseau de référent·es au sein des forces de l’ordre
Dans une volonté de renforcer la protection des élu·es français·es, le Centre contient également « une dimension opérationnelle » concrétisée dans un « pack sûreté ». Il s’agit de la création d’un réseau de « référents atteintes aux élus », à savoir 3 400 interlocuteur·trices privilégié·es dans tous les commissariats et gendarmerie pour permettre aux élu·es de rendre compte des violences plus facilement. « Ils seront les portes d’entrée des élus pour libérer leur parole et faciliter le lien avec les forces de l’ordre. On a constaté que souvent les maires ont du mal à parler de ce qu’ils subissent, soit ils n’osent pas extérioriser ces violences, soit ils ne veulent pas jeter de l’huile sur le feu », pointe l’entourage du ministère des Collectivités territoriales qui précise qu’une liste nominative sera transmise aux élu·es dès la semaine prochaine.
Les référent·es seront appuyé·es sur le terrain par un réseau de 5 000 gendarmes et 900 policier·ières formé·es à l’accompagnement des élu·es. Concrètement, ils·elles pourront proposer des actions de sécurisation spécifiques comme le renforcement des rondes au domicile de la personne ou la sécurisation d’une mairie. Le ministère des Collectivités territoriales indique également qu’un dispositif d’alerte sera mis en place à disposition des élu·es menacé·es ou susceptibles de l’être. Ils·elles seront enregistré·es dans un fichier spécifique au sein des commissariats et des gendarmeries. En cas d’appel au 17, l’intervention sera prioritaire. « Ce fichier permettra aussi d’évaluer le niveau de danger », explique le ministère.
Durcir les sanctions
Après le renforcement de la protection vient l’amélioration du traitement judiciaire et notamment le durcissement des sanctions. D’après les données du ministère de l’Intérieur, ce sont près de 2 265 plaintes et signalements qui ont été déposés en 2022. Et nombre d’entre elles sont classées sans suite faute de moyen d’enquête, déplorait l’Association des maires de France (AMF) le 13 mai dernier dans un appel à la mobilisation contre les violences.
C’est pourquoi le gouvernement va prochainement porter une proposition de loi en lien avec les parlementaires, afin de renforcer les sanctions pour les agresseur·euses d’élu·es. Les peines encourues seront identiques à celles appliquées pour des atteintes sur les policier·ières ou gendarmes, soit des peines allant jusqu’à sept ans d’emprisonnement et 100.000 euros d’amende.
En 2020 déjà, le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, avait adressé une circulaire aux parquets généraux leur demandant d’apporter une réponse pénale systématique et rapide face aux violences contre les élu·es. En août de l'année précédente, le maire de Signes dans le Var, Jean-Mathieu Michel, 76 ans, avait été mortellement écrasé par un camion déversant des gravas dans une décharge sauvage, en tentant de s'y opposer. Le conducteur, un maçon de 25 ans, a été condamné à un an de prison ferme en mars 2022.