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Dégradation du tableau de Miriam Cahn au Palais de Tokyo : un ancien élu du Front natio­nal en garde à vue

Une enquête pour dégra­da­tion de bien cultu­rel expo­sé a été ouverte par le par­quet de Paris après l’interpellation de Pierre Chassin, l’homme qui a volon­tai­re­ment pro­je­té de la pein­ture mauve sur l’œuvre de Miriam Cahn dimanche 7 mai, au Palais de Tokyo. 

Pierre Chassin, ancien élu du Front natio­nal (aujourd’hui Rassemblement natio­nal) au conseil muni­ci­pal des Mureaux (Yvelines) jusqu’en 2015, est sus­pec­té d’avoir van­da­li­sé dimanche 7 mai le tableau Fuck abs­trac­tion !, de l’artiste suisse Miriam Cahn, a indi­qué Le Monde. Plus pré­ci­sé­ment, il est accu­sé d’avoir volon­tai­re­ment pro­je­té de la pein­ture mauve sur l’œuvre expo­sée au Palais de Tokyo depuis la mi-​février et dont plu­sieurs asso­cia­tions de pro­tec­tion de l’enfance avaient récem­ment dénon­cé le carac­tère « pédo­por­no­gra­phique ». Selon Le Parisien, l’homme de 80 ans était « mécon­tent de la mise en scène sexuelle d’un enfant et d’un adulte repré­sen­té selon lui sur ce tableau ». Il a réus­si à asper­ger le tableau de pein­ture qu'il avait préa­la­ble­ment dis­si­mu­lé dans un fla­con de sirop. Après son geste, il a aus­si­tôt été inter­cep­té par un gar­dien du musée. 

Le Palais de Tokyo a dépo­sé plainte pour dégra­da­tion volon­taire lun­di, tan­dis que le par­quet de Paris a annon­cé dans la fou­lée l’ouverture d’une enquête pour dégra­da­tion de bien cultu­rel expo­sé. L’homme actuel­le­ment en garde à vue encourt une peine de sept ans de pri­son et 100 000 euros d’amende, pré­cise Le Monde. Sans connaître l'identité du res­pon­sable, dimanche, la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, a poin­té sur Twitter la res­pon­sa­bi­li­té du Rassemblement natio­nal dans cette action. Interrogée à ce sujet ce mar­di matin au micro de Sud Radio, Marine Le Pen, cheffe de file des député·es du RN à l’Assemblée natio­nale, a nié l’implication de son par­ti, attri­buant ce geste à un « com­por­te­ment indi­vi­duel »

Exposée au centre d’art contem­po­rain pari­sien dans le cadre de l'exposition Ma pen­sée sérielle, de Miriam Cahn, l’œuvre en ques­tion fait polé­mique car elle repré­sente une per­sonne frêle aux mains liées dans le dos, for­cée de pra­ti­quer une fel­la­tion à un homme mus­clé dont le visage n’est pas repré­sen­té par l'artiste. Pour les détracteur·trices de la pein­ture, la vic­time repré­sen­tée est un enfant, ce que dément l’artiste de 73 ans. Cette der­nière a affir­mé qu’aucun·e enfant n’était repré­sen­té dans ce tableau. Pour elle, il s’agit de la repré­sen­ta­tion du viol comme une arme de guerre et un crime contre l’humanité. 

Dispositif d'accompagnement du public 

Le musée pari­sien avait d’ailleurs anti­ci­pé la polé­mique en ins­tal­lant, à côté de l’œuvre, un pan­neau qui indique aux visiteur·teuses que Miriam Cahn a peint cette toile après avoir décou­vert en avril 2022 les viols com­mis par des mili­taires russes en Ukraine, notam­ment à Boutcha. Un autre pan­neau, ins­tal­lé à l’entrée, décon­seille d’ailleurs la salle où se trouve le tableau aux mineur·es. « Nous avions anti­ci­pé les réac­tions parce que ces œuvres sont puis­santes et peuvent cho­quer. C’est pour ça qu’on avait mis en place un dis­po­si­tif d’accompagnement du public », expli­quait ain­si la direc­trice géné­rale du Palais de Tokyo, Marianne Berger-​Laleix, auprès de fran­cein­fo.

Le dis­po­si­tif n’a pas suf­fi à éteindre le feu de la polé­mique. Le 5 mars der­nier, l’ancien jour­na­liste Karl Zéro, allume la mèche sur Twitter en appe­lant à se mobi­li­ser contre l’œuvre de Miriam Cahn. Le débat se pro­page ensuite des réseaux sociaux à la sphère poli­tique. Le 21 mars, la dépu­tée RN du Pas-​de-​Calais, Caroline Parmentier, inter­pelle ain­si la ministre de la Culture à l'Assemblée à l’occasion des ques­tions au gou­ver­ne­ment : « Je vous demande si l’exposition de ce genre de tableau sera l’un des mar­queurs de votre man­dat, un glis­se­ment vers la démo­cra­ti­sa­tion et l’acceptation de ce type d’œuvre ? Et si ce n’est pas le cas, je vous le demande solen­nel­le­ment, quand ce tableau va-​t-​il être décroché ? »

Six asso­cia­tions réclament le décro­chage de l'oeuvre

Sept jours plus tard, six asso­cia­tions de pro­tec­tion de l’enfance (Enfance en par­tage, Pornostop, Face à l’inceste, Innocence en dan­ger, Juristes pour l’enfance et le Collectif fémi­niste contre le viol) sai­sissent le tri­bu­nal admi­nis­tra­tif de Paris en référé-​libéré. Elles réclament le décro­chage de l’œuvre, invo­quant l’article 227–23 du code pénal qui inter­dit la dif­fu­sion des images, mais aus­si des repré­sen­ta­tions pédo­por­no­gra­phiques. Elles demandent à défaut que la salle où elle est expo­sée soit inter­dite d’accès aux mineur·es. La requête des asso­cia­tions est reje­tée par la juge des réfé­rés, jus­ti­fiant que « le tableau n’a pas de carac­tère pédopornographique ». 

Les six asso­cia­tions sai­sissent alors le Conseil d’État mi-​avril. Ce der­nier rejette éga­le­ment la demande de décro­chage, consi­dé­rant que « l’unique inten­tion de l’artiste est de dénon­cer un crime et que la socié­té Palais de Tokyo a entou­ré l’accès au tableau Fuck Abstraction ! de pré­cau­tions visant à en écar­ter les mineurs non accom­pa­gnés et dis­sua­der les per­sonnes majeures accom­pa­gnées de mineurs d’y accéder ». 

Sur son site, l’association Face à l’inceste a fait part de sa décep­tion le 6 mai face à la déci­sion du Conseil d’État, tout en annon­çant ne pas pour­suivre son action sur le plan pénal. « La liber­té de l’expression encore une fois sanc­ti­fiée, au détri­ment de la pro­tec­tion des enfants », a‑t-​elle dénon­cé. De son côté, l’association Juristes pour l’enfance a assu­ré dimanche auprès de l’AFP ne pas être en lien avec la dégra­da­tion, rap­porte Le Parisien. « Juristes pour l’enfance et les autres asso­cia­tions (ont) agi comme nous le fai­sons tou­jours, en sai­sis­sant la jus­tice, en écri­vant aux res­pon­sables et en infor­mant l’opinion », a‑t-​elle affir­mé, selon le quotidien.

L'oeuvre res­te­ra expo­sée telle quelle 

Sur Twitter, Arnaud Gallais, acti­viste des droits de l’enfant et cofon­da­teur du col­lec­tif « Prévenir et pro­té­ger », a quant à lui dénon­cé la dégra­da­tion du tableau de l'artiste. « Miriam Cahn est une fémi­niste qui dénonce toutes les vio­lences ! Une alliée et non une adver­saire ! » a‑t-​il décla­ré, ajou­tant éga­le­ment que « ceci n’a rien à voir avec Bastien Vivès, dont les ouvrages pédo­por­no sont clas­sés dans les rayons éro­tique ou BD cul et qui montre clai­re­ment des repré­sen­ta­tions de viols d’enfants dans les détails ! »

En accord avec Miriam Cahn, le Palais de Tokyo a déci­dé de conti­nuer à pré­sen­ter l’œuvre endom­ma­gée jusqu’à la fer­me­ture de l’exposition le dimanche 14 mai prochain. 

Lire aus­si l Une Fnac pari­sienne place "La Décharge men­tale" de Bastien Vivès en tête de gon­dole avant de rétro­pé­da­ler face aux critiques

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