crucifix on wall with flowers
© Laura Allen

Crimes sexuels dans l’Église : payer permet-​il de réparer ?

Le 8 novembre, à l’issue d’une semaine d’assemblée plé­nière, les évêques de France ont annon­cé une série de réso­lu­tions visant à lut­ter contre la pédocriminalité. 

Un mois après le séisme du rap­port de la Ciase, la Commission indé­pen­dante sur les abus sexuels dans l’Église, les évêques de France ont acté, entre autres mesures, la créa­tion de l’Instance natio­nale indé­pen­dante de recon­nais­sance et de répa­ra­tion (Inirr) et un fonds d’indemnisation finan­cé par la vente de biens mobi­liers et immo­bi­liers des évêques et des dio­cèses. Un vrai tournant ?

Édouard Durand

Magistrat et copré­sident de la Commission indé­pen­dante sur l’inceste et les vio­lences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) 

« La répa­ra­tion se fait d’abord par la parole et le lan­gage. Il faut recon­naître la trans­gres­sion de la loi. Puis, la répa­ra­tion se fait par le soin. Ce psy­cho­trau­ma est très spé­ci­fique et doit béné­fi­cier d’un sui­vi spé­cia­li­sé, hélas encore trop peu répan­du. Enfin se pose la ques­tion finan­cière, qui ne sera jamais suf­fi­sante si les deux autres volets n’ont pas été trai­tés. Mais l’argent reste le moyen trou­vé par les humains pour avan­cer. On peut se deman­der quelle est sa valeur. Payer per­met plu­sieurs choses : cela vient notam­ment conso­li­der rétros­pec­ti­ve­ment le fait d’avoir par­lé ou d’avoir endu­ré un pro­cès. Comment bien éva­luer la somme ? Doit-​elle être sym­bo­lique ou doit-​elle aller au-​delà ? Je pense que ça doit être les deux à la fois. L’instance mise en place par l’Église compte ins­tau­rer un sys­tème d’indemnisation indi­vi­dua­li­sée des vic­times, chose que je salue. Le mon­tant ne peut pas être le même pour tout le monde. Il faut éva­luer tous les pré­ju­dices : par exemple, cer­taines per­sonnes souffrent de dou­leurs chro­niques, d’autres ont des dif­fi­cul­tés dans leur vie affec­tive. Il est impor­tant de prendre en compte la souf­france infli­gée pour attri­buer quelque chose de proportionnel. » 

Yolande du Fayet de la Tour

Membre du col­lec­tif d’associations de vic­times De la parole aux actes !

« C’est irré­pa­rable. Mais deman­der de l’argent met les vic­times dans un pro­ces­sus de parole qui peut répa­rer. Pour cer­taines, l’argent per­met aus­si de réa­li­ser un pro­jet de vie qui n’a pas pu être fait à cause de la vio­lence subie – parce qu’on a dû arrê­ter son acti­vi­té, divor­cer… Cinq ans de psy­cho­thé­ra­pie, c’est 35 000 euros. L’argent, enfin, est une recon­nais­sance. Ça rend les choses concrètes, ce qui peut aider les vic­times à sor­tir d’un état de dis­so­cia­tion. Mais la manière dont ça va être dis­tri­bué est déci­sive. Aujourd’hui, c’est aux ins­ti­tu­tions – et donc aux évêques et à Rome – que j’en veux le plus. Il y a une cores­pon­sa­bi­li­té. Si chaque membre du per­son­nel reli­gieux voyait un pour­cen­tage de sa rému­né­ra­tion pré­le­vé pour les vic­times – 1,2 % par exemple –, cela mon­tre­rait une soli­da­ri­té. Je suis aus­si pour la pos­si­bi­li­té de récla­mer de l’argent à l’agresseur. Cela per­met­trait aux res­pon­sables de sen­tir les consé­quences de leur acte en les dépos­sé­dant de quelque chose. Il va fal­loir nous asso­cier aux déci­sions sur le mode d’indemnisation. Si on veut vrai­ment aider, il faut enfin inter­ro­ger chaque vic­time sur son besoin réel. Pour cer­tains, c’est plu­tôt être reçu par un évêque, avoir accès au dos­sier cano­nique ou ren­con­trer son agresseur. »

Sophie Lebrun

Journaliste à La Vie et autrice d’Omerta. La pédo­phi­lie dans l’Église de France (Tallandier, 2019)

« Ce qui m’est appa­ru comme LA grande vic­toire de ces annonces, c’est qu’on en a fini avec le “geste sym­bo­lique”, le “geste finan­cier”, le “secours” – les termes que les évêques uti­li­saient jusqu’à pré­sent quand ils par­laient de répa­ra­tion finan­cière. Depuis 2016 que la ques­tion leur est posée, il y avait un blo­cage psy­cho­lo­gique à par­ler d’indemnisation : cer­tains, par volon­té de ne pas se sub­sti­tuer à la jus­tice et de ne pas don­ner l’impression d’acheter le silence des vic­times, d’autres, par volon­té de dire “nous ne sommes pas res­pon­sables, nous n’avons pas à payer”. 
Il aura fal­lu ces cinq années de tra­vail pour que la prise de conscience advienne et se tra­duise, enfin, par l’utilisation du mot “indem­ni­sa­tion”. Les évêques ont acté des mesures qu’ils refu­saient jusqu’alors de consi­dé­rer, à com­men­cer par la créa­tion de cette Instance natio­nale indé­pen­dante de recon­nais­sance et de répa­ra­tion. Ils ont com­pris que la répa­ra­tion finan­cière était indis­pen­sable et que, pour être un élé­ment de jus­tice répa­ra­trice, elle devait être pro­po­sée par une ins­tance exté­rieure – et non régu­lée par les évêques. Par le pas­sé, dans des cas rares et très spé­ci­fiques, l’Église a pu don­ner de l’argent à des familles de vic­times pour enter­rer des affaires. Mais jamais elle n’a pro­po­sé une indem­ni­sa­tion offi­cielle, trans­pa­rente pour un pro­blème sys­té­mique qu’elle aurait pro­duit et recon­nu, comme elle le fait aujourd’hui. » 

Olivia Mons

Porte-​parole de l’association France Victimes, sol­li­ci­tée par la Ciase

« Notre expé­rience montre que payer ne per­met pas de tout répa­rer. C’est une béquille en cas de besoin maté­riel. Mais on a aus­si des per­sonnes qui refusent parce qu’elles y voient de l’argent sale. La recon­nais­sance de la vio­lence peut pas­ser par la jus­tice res­tau­ra­tive. Il s’agit de ren­contres entre la per­sonne vic­time et son agres­seur ou un auteur de faits simi­laires, dans un cadre sécu­ri­sé, avec une asso­cia­tion. C’est un droit, ini­tié par Christiane Taubira, depuis 2014. D’abord, on demande aux deux per­sonnes ce qu’elles attendent de ce contact. Puis on essaie de recréer la parole. Si la ren­contre n’a pas lieu, un faci­li­ta­teur peut relayer les ques­tions de l’une à l’autre. L’effet expri­mé par les vic­times est un grand sou­la­ge­ment. Le fait de par­ler sans avoir à se jus­ti­fier est libé­ra­teur. Elles peuvent témoi­gner des réper­cus­sions extrê­me­ment fortes de la vio­lence sur leur vie. Cela per­met d’avoir des réponses aux frus­tra­tions du pro­ces­sus judi­ciaire. Pour l’auteur, le dia­logue per­met de faire pas­ser la vic­time du sta­tut d’abstraction à une image concrète, ce qui a un effet de respon­sabilisation. Ce der­nier point répond à l’un des sou­haits les plus forts des vic­times, qui les aide à avan­cer : faire en sorte que les vio­lences ne se repro­duisent pas. »

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